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sur 292 notes
Par une habile adresse au lecteur longue de plus de deux cents pages, François Bégaudeau le dérange dans son confort intellectuel, l’interpelle sur ses multiples contradictions, le mène au pied du mur de ses engagements, passe en revue ses si nombreuses divergences et, dans un effet de miroir, lui expose ses propres convictions :
« Tu voteras jusqu’à la lie.
Tu es le sujet idéal de la monarchie républicaine. L’élection par quoi le citoyen délègue et donc abdique sa souveraineté est le pic de jouissance de ta libido citoyenne. Sur ce point comme sur le reste nous sommes à fronts renversés. Tu tiens l’élection pour le lieu exclusif de la politique, je tiens que la politique a lieu partout sauf là. Je sors du jeu au moment où tu y entres. »
(...)
Féroce voire caustique, brillant et bienveillant malgré tout.

Article complet sur le blog.

Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Comme beaucoup, je pense que ma « rencontre » avec François Bégaudeau, ou devrais-je dire ma découverte de François Bégaudeau, date du film Entre les murs réalisé par Laurent Cantet, dans lequel François Bégaudeau jouait le rôle d'un professeur de français d'une classe de 4ème dans un collège du XX° arrondissement de Paris. Ce long-métrage était adapté du livre portant le même titre et écrit par François Bégaudeau lui-même.

Depuis, j'avais vaguement suivi les publications littéraires de François Bégaudeau, ses interventions publiques, ses chroniques sur le football dans un quotidien national, mais sans y porter une attention démesurée. J'avais notamment lu son ouvrage intitulé Une vie périphérique, dans lequel il parlait de cette fameuse France périphérique dont on entend souvent parler ces derniers temps.

Cela m'amène à cette Histoire de ta bêtise dont j'ai découvert l'existence et la publication dans ces circonstances que je saurais bien incapable de raconter ici. J'ai sans doute vu un extrait d'un passage de l'auteur dans un quelconque talk-show, sans que je me souvienne duquel. Par contre ses propos et sa façon d'aborder certains sujets d'actualité m'avaient donné envie d'en savoir plus sur son dernier ouvrage.

" Tu es un bourgeois.

Mais le propre du bourgeois, c'est de ne jamais se reconnaître comme tel.

Petit test :

Tu votes toujours au second tour des élections quand l'extrême droite y est qualifiée, pour lui faire barrage.
Par conséquent, l'abstention te paraît à la fois indigne et incompréhensible.
Tu redoutes les populismes, dont tu parles le plus souvent au pluriel.
Tu es bien convaincu qu'au fond les extrêmes se touchent.
L'élection de Donald Trump et le Brexit t'ont inspiré une sainte horreur, mais depuis lors tu ne suis que d'assez loin ce qui se passe aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Naturellement tu dénonces les conflits d'intérêts, mais tu penses qu'en voir partout relève du complotisme.
Tu utilises parfois (souvent ?) dans une même phrase les mots racisme, nationalisme, xénophobie et repli sur soi.
Tu leur préfères définitivement le mot ouverture.

Si tu as répondu oui au moins une fois, ce livre parle de toi.
Prends le risque de l'ouvrir. "

Dans ce long texte de 220 pages, François Bégaudeau s'adresse à la bourgeoisie (plutôt de gauche) qui constitue une grande partie de son entourage. Il identifie cette classe sociale, il la nomme, et il l'accuse clairement de bêtise, à savoir de ne plus penser.

François Bégaudeau parcourt plusieurs sujets et développe une analyse que je ne pourrai pas détailler ni résumer ici. On y trouve notamment l'affirmation de l'existence de la bourgeoisie comme classe sociale, sa volonté – au moins inconsciente – de ne pas apparaître comme une classe sociale à part entière et de maintenir un ordre social dans elle profite.

Si je devais retenir un (long) extrait pour présenter la pensée développée par l'auteur, ce serait celui-ci :

" Quand tu t'es mis, comme un seul homme, à parler des populismes, on a d'abord cru que par là tu prenais acte de la multiplication des foyers européens de la peste –sur tes cartes de chaînes d'info, la Pologne, l'Italie, la Slovénie et l'Autriche étaient en noir. Puis il est apparu que le pluriel visait à inclure des mouvements de gauche. Or aux mille tares que tu prêtes aux Insoumis, entre allégeance vénézuélienne et archaïsme économique, tu n'aurais quand même pas l'indécence d'ajouter le racisme et autres bazinstincts à la flatterie desquels on reconnaît censément le populisme. Rien à faire, pas de trace d'un tweet xénophobe ou misogyne sur le compte de Mélenchon. Et ses ambiguïtés sur les migrants ne sont ambiguës que dans tes rêves.

Mais alors qu'est-ce qui vaut aux Insoumis leur intégration à l'axe du mal populiste ? La réponse n'est pas dans la récente réhabilitation du mot au sein de la gauche critique, via les travaux de Mouffe et Laclau que tu ignores. Elle n'est pas dans la mégalomanie du leader charismatique des Insoumis –ton Macron n'y est pas moins sujet, et pas moins autocrate. La réponse est dans le mot, dans sa morphologie. Peuple + isme, donc. Au plus sincère de ta perception, le populiste est bien celui qui, non pas trompe le peuple comme tu le prétends en le taxant de démagogie, mais le défend. Et par peuple ton inconscient social sait très bien ce que tu désignes. Ce signifiant creux est plein. Plein de ta peur. Plein de la vieille peur qui t'anime, te mobilise, te structure. Définition de peuple dans ton dictionnaire intime ? Ce qui te menace. Menace ta place. La repère, la conteste, parfois l'assiège.

Parlant du peuple, tu penses gens du peuple. Tu penses classes populaires. Dont tu crains qu'elles montent, en effet, qu'elles montent comme la Seine en crue jusqu'à ta position ; qu'elles dressent des échelles contre le mur du château et t'embrochent sur une fourche. Aussi vrai que le procès en égalitarisme sert de cheval de Troie au procès de l'égalité, l'hostilité au populisme est le masque présentable de ce que Rancière appelle ta haine de la démocratie, coextensive à ta sainte terreur de l'irruption des gueux dans tes hautes sphères. Les prolos, tu les aimes comme les racistes aiment les Africains : chez eux. Tu les aimes s'ils restent à leur niveau, et les hais quand ils prétendent s'asseoir à la table du conseil d'administration de la société.

Qui es-tu ? Qui est « tu » ?

Tu es celui que tout ébranlement des classes populaires inquiète et crispe en tant qu'il menace ta place. Celui que tout ébranlement des classes populaires inquiète et crispe en tant qu'il menace sa place peut sans écart de langage être nommé bourgeois.

« Tu » est un bourgeois.

Tu es un bourgeois. Un bourgeois de gauche si tu y tiens. Sous les espèces de la structure, la nuance est négligeable. Tu peux être conjoncturellement de gauche, tu demeures structurellement bourgeois. Dans bourgeois de gauche, le nom prime sur son complément. Ta sollicitude à l'égard des classes populaires sera toujours seconde par rapport à ce foncier de méfiance. Dans bourgeois de gauche, gauche est une variable d'ajustement, une veste que tu endosses ou retournes selon les nécessités du moment, selon qu'on se trouve en février ou en juin 1848, selon le degré de dangerosité de la foule.

Tu es de gauche si le prolo sait se tenir. Alors tu loues sa faculté d'endurer le sort –sa passivité. Tu appelles dignité sa résignation. Digne est le pauvre qui te ménage, qui t'épargne. S'il ne se tient pas, tu fais les gros yeux. À Ruffin en maillot de foot à la tribune de l'Assemblée, tu colles une amende, précédée d'un conseil de discipline où tu le sermonnes. Tu es le proviseur adjoint du lycée France, et le proviseur Attali en remet une couche à la télé, pose la limite, marque la règle, en rappelant qu'une tenue négligée n'est pas tolérable car député oblige. Oblige à quoi ? Oblige le gueux à se costumer avant d'entrer dans l'hémicycle. L'oblige à se déguiser en toi. En bourgeois. "

En lisant ce livre, j'ai passé beaucoup de temps à surligner des passages qui m'ont plu ou qui m'ont marqué. C'est généralement le signe que le livre va beaucoup me plaire, ce qui est bien le cas de celui-ci. J'y ai retrouvé des réflexions que je me suis souvent faites, même si évidemment je n'ai pas développé cette pensée aussi précisément et longuement que François Bégaudeau le fait dans cet ouvrage.

François Bégaudeau se présente comme un bourgeois qui n'accepte pas l'ordre social et qui se tient à l'écart de sa classe sociale. Je me suis retrouvé en partie dans cette description. Je suis un transfuge de classe mais je ne me suis jamais senti totalement intégré à cette bourgeoisie à laquelle mes revenus et mon mode de vie devraient pourtant me faire appartenir. Ce rejet, ou pour employer une expression moins forte, cette intégration seulement partielle, je pense qu'elle vient autant de moi que « d'eux » (de vous ?).

Comme François Bégaudeau, j'ai une certain radicalité de pensée, un besoin de m'interroger sur le monde et les rapports sociaux, qui s'accorde mal avec l'idéologie dominante mais aussi avec mes propres intérêts. A plusieurs reprises, j'ai eu l'impression récurrente de voter contre mes propres intérêts, parce que pour moi la pensée est plus forte que ses impacts sur mon mode de vie, qu'être cohérent avec mes valeurs est plus important que mon intérêt à court ou moyen terme.

Mais je suis peut-être coupable de la même hypocrisie que celle avouée par l'auteur à la fin de son texte : il souhaite la révolution et le bouleversement de l'ordre social, tant que cela paraît irréalisable.

J'ai dévoré ce livre en moins de trois jours et il m'a passionné. Je ne suis pas forcément d'accord à 100% avec tout ce que François Bégaudeau déclare dans ce texte, mais je pourrai en reprendre une très grande partie à mon compte. Je sais parfaitement que ce livre peut en agacer plus d'un, d'ailleurs l'auteur lui-même le savait certainement en l'écrivant. Pour ma part, c'est déjà l'une de mes lectures marquantes de 2019, et sans doute un livre que j'aurai plaisir à relire dans quelques années.
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« Tu votes toujours au second tour des élections quand l'extrême-droite y est qualifiée, pour lui faire barrage. Tu redoutes les populismes, dont tu parles le plus souvent au pluriel. Tu es bien convaincu qu'au fond les extrêmes se touchent (…) Si tu as répondu oui au moins une fois, ce livre parle de toi. » Voilà ce qu'on peut lire sur la quatrième de couverture du dernier livre de François Bégaudeau, qui délaisse ici le roman au profit de l'essai. Un essai né de l'agacement de l'auteur suite à la campagne présidentielle de 2017, mais surtout de son observation d'une classe sociale bien définie à laquelle il a eu affaire suite à ses différents succès littéraire : celle de la bourgeoisie. L'ouvrage consiste ainsi en une longue adresse de l'auteur à ce bourgeois (qui ne se reconnaîtra évidemment pas, « le propre du bourgeois étant de ne jamais se reconnaître comme tel ») et que Bégaudeau met face à ses contradictions, ses hypocrisies, son mépris et sa vacuité. Bon, autant dire que l'ouvrage ne fera pas plaisir à pas mal de monde, d'autant que l'auteur dispose d'une plume incisive qui met le doigt pile là où ça fait mal et qui ne ménage absolument pas son lectorat. Certains (beaucoup) trouveront les assertions de l'auteur scandaleuses, extrémistes, voire même dangereuses. Je les ai pour ma part trouvées très pertinentes, aussi ai-je pris un grand plaisir à lire cet essai qui propose une analyse de classe (l'influence de Marx est incontestable) qu'on peut, à mon sens, difficilement réfuter au vu des récents événements. Mais qu'entend-il exactement par « bourgeois » ? La bourgeoisie, pour Bégaudeau, est la combinaison de deux facteurs : l'occupation d'une certaine position sociale (qui s'évalue avant tout au patrimoine financier, mais pas seulement) ET l'adoption d'un système de pensée qui vise à légitimer idéologiquement cette position. Une définition relativement simple qui ne constitue pas le propos central de l'essai (il ne s'agit pas de démontrer qu'il existe bien une « classe bourgeoise ») qui choisit plutôt de l'interroger sur la bêtise de cette bourgeoisie, sur sa piètre défense du système en place et sur la médiocrité de sa pensée, particulièrement bien illustrée par les termes creux et les éléments de langage vidés de leur substance qu'elle utilise à tout bout de champ et qu'on retrouve partout dans les grands médias (le terme « progressisme » en est un merveilleux exemple).

« Tu n'as pas compris la tribune de Ruffin sur la haine que les classes populaires vouent à Macron. (…) Tu ne peux envisager une seconde être haïssable puisque tu es cool. Réaliseras-tu un jour que c'est justement ce cool qui est haïssable ? Qu'au delà de la violence sociale, c'est le coulis de framboise qui l'enrobe qui est obscène ? (…) C'est les 20000 euros d'indemnités pour qu'un ouvrier avale un plan social. C'est ta façon d'appeler plan de sauvegarde de l'emploi une vague de licenciements, d'appeler restructuration une compression de personnel, et modernisation d'un service public sa privatisation. » Tout au long de ces 200 pages, Bégaudeau épingle cette bourgeoisie bien pensante se revendiquant parfois de gauche (il oppose la bourgeoisie « cool » typique de Macron et ses suiveurs à celle de la « bourgeoisie hard », plus volontiers de droite qu'il juge plus dure mais au moins plus honnête sur la vision qu'elle défend de la société). Outre la bêtise de cette bourgeoisie, l'auteur expose aussi sa peur viscérale du pauvre et de la menace que celui-ci représente dès lors qu'il remet en cause « l'ordre social ». L'essai dénonce ainsi aussi bien les attaques de la bourgeoisie contre la fonction publique (« Un prof, qu'il prépare ou non son cours, sera payé pareil. Un guichetier de la Poste, qu'il soit aimable ou non sera payé pareil. Tu as bien noté cet état de fait, et il t'exaspère. Y mettre fin te démange depuis des lustres. »), que le discours sur l'assistanat (« Tu aimes le pauvre aussi aliéné qu'un salarié et moins protégé. Tu l'aimes sur un vélo Deliveroo, rallié à ta propagande sur le working poor préférable au chômage), que la fierté affichée par beaucoup d'avoir héroïquement fait leur « devoir de citoyen » en votant Macron au second tour (« Ce n'est pas si compliqué que ça. Case a la mort, cas b la vie, reste à cocher. Pratiquée par toi la politique est un jeu d'enfant. Elle est simple comme bonjour. Elle soulage l'électeur de l'angoisse du choix, comme l'indique, sous couvert de malice, le titre d'un de tes organes de presse : faites ce que vous voulez mais votez Macron. Ainsi va ta démocratie : elle laisse le choix à la stricte condition qu'on opte pour le seul possible »).

On devine aisément la réaction que ce type de phrase peut susciter chez une partie de la population : Bégaudeau est un facho (il n'appelle pas à voter contre le Pen), un lâche (il ne va même pas voter), un extrémiste (il avoue sa sympathie pour le travail de François Ruffin ou d'Étienne Chouard). Sauf que non. Chaque accusation est réfutée de manière nette et précise par l'auteur qui s'amuse même des tentatives de ses « opposants » pour l'épingler, le faire rentrer dans une case, discréditer son discours : « Je n'égrènerai pas les dix bonnes ou mauvaises raisons de dédaigner ton appel chaque jour plus comminatoire à contrer le pire. Ni ne rappellerai-je l'évidence que la classe sociale perpétrée par le macronisme et ses versions antérieures est la première pourvoyeuse du FN, moyennant quoi tu me demandes en réalité de contrer un effet en soutenant sa cause. » L'auteur expose à mon sens très bien en quoi la bourgeoisie et le système libéral ont tout intérêt à apparaître comme les seuls véritables remparts contre le fascisme. Car si le capitalisme leur permet de préserver leurs intérêts, le système reste tout de même difficilement défendable (il est inique, destructeur pour la planète, sans compter le fait qu'il entraîne la paupérisation de la majeure partie de la population). Pour pouvoir le défendre, il faut donc un ennemi, et depuis quarante ans, le FN représente l'adversaire idéal : puisque le capitalisme n'est pas défendable par lui-même, il faut donc le défendre par la négative: « ok tout n'est pas parfait, mais vous voyez bien que c'est le système le moins pire ». Or, si le fascisme est évidemment à combattre sous toutes ses formes, ce n'est pas lui qui, depuis des décennies, pille les ressources de la planète, précarise les classes populaires, et détruit les services publics. A force d'être obnubilé par « le pire à venir », on en oublie celui qui est déjà là, bien réel.

A ceux qui l'accusent de faire le jeu des fascistes, Bégaudeau rappelle que c'est justement la bourgeoisie qui tente depuis des années d'évacuer la question sociale des débats pour lui préférer la question culturelle et identitaire, qui fait évidemment le jeu du FN (ce qui, comme on l'a vu, l'arrange au final plutôt bien). Il serait trop long d'évoquer en détail toutes les idées développées ici par l'auteur qui propose une analyse sans concession à laquelle beaucoup ne souscriront pas mais qui a au moins le mérite de faire réfléchir. Si j'ai pour ma part beaucoup de respect pour l'auteur et ses idées, je mentionnerais malgré tout quelques bémols à cette lecture qui m'a parfois un peu gênée, non pas sur le fonds mais sur la forme. J'ai par exemple eu un peu de mal avec la construction (ou plutôt l'absence de construction) de l'ouvrage. L'auteur aborde en effet une multitude de thèmes qui défilent au fil de sa plume sans aucun temps mort et, parfois, sans vraiment de rapport. On saute ainsi plusieurs fois du coq à l'âne, certains sujets n'étant abordés que le temps d'une ou deux phrases quand on aurait aimé voir Bégaudeau les aborder de manière plus approfondie. J'ai également eu un peu de mal avec les quelques phases d'introspection au cours desquelles l'auteur effectue sa propre auto-critique et questionne ses origines sociales, son parcours, ses habitudes, et surtout les raisons qui font que, bien qu'ayant accédé à un patrimoine bourgeois, il n'en a jamais adopté le mode de pensée. Ces passages permettent à l'auteur de se situer socialement et de répondre par avance aux critiques qui lui seront faites (il critique la bourgeoisie alors que lui-même dispose d'un patrimoine financier qui, de facto, l'exclut des classes populaires), mais cette auto-analyse traîne parfois un peu trop en longueur et a, à mon humble avis, moins d'intérêt que le reste de l'essai (même s'il est vrai qu'elle ne constitue qu'une toute petite partie de l'ouvrage).

François Bégaudeau signe avec son « Histoire de ta bêtise » un essai qui risque de faire grincer des dents pas mal de monde et que j'ai pour ma part trouvé très pertinent. L'auteur y expose sans prendre de gants la pauvreté intellectuelle de la classe bourgeoise et la faiblesse de ses arguments pour défendre le système capitaliste en place. Pour ce faire, il questionne aussi bien les éléments de langage utilisés par cette classe que sa volonté incessante de réduire l'équation politique à deux choix : le libéralisme ou le fascisme. A lire !
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Bégaudeau est en colère. Je le comprends. Moi aussi. Sur beaucoup de choses communes, bien qu'il m'explique que ce n'est pas du tout pareil. La société capitalisme, la consommation outrancière, l'arrogance de certains, des trucs comme ça. Très bien.

Seulement il me crache à la gueule parce que je suis bourgeoise, que j'ai évidemment voté Macron au deuxième tour . Que j'ignore la pensée, et encore plus la radicalité. Car nous tous les bourgeois sommes tous les mêmes, des petits trouillards minables , des nantis accrochés à nos acquis, des facilement arrivés, des bien-pensants non-pensants, accrochés à leur petite morale. Tout cela qu'il appelle notre bêtise,

" le présent livre ne prétend pas démontrer que tu as tord, mais que tu ne penses pas."


Il confond un peu, croit que nous avons tous fait Sciences Po ou HEC. Il faudrait un peu qu'il sorte, quand même, de son petit milieu qu'il lui est si pénible de fréquenter. Vivre dans une enclave sociale comme ça, avec les idées qu'il a, ça doit être triste. le pauvre.
Bégaudeau pense que les bourgeois sont une catégorie générique, qu'ils pensent tous pareil. Il les appelle « tu » et et leur adresse son anathème. Mon père, qui aurait détesté ce livre, et avait pas mal d'humour, m'avait appris que « tous les gens qui disent des généralités sont des imbéciles » et ça va presque m'autoriser à renvoyer à Bégaudeau sa propre histoire de « bêtise »

Tout cela est un peu (beaucoup) agaçant (c'est voulu, d'ailleurs).
Car en fait son idée m'intéresse, son analyse de la société. Beaucoup, même. Ah, oui, mais le problème c'est que si son idée m'intéresse, c'est que je prône l'ouverture d'esprit, car je déteste le conflit, car le conflit c'est le chaos, le chaos c'est la fin des bourgeois.

Bégaudeau pense qu'il est meilleur que moi parce qu'il fait ses courses à Monoprix (je suppose que moi, je suis sensée aller chez Fauchon) ; seulement Monoprix, pour un gauchiste (terme qui n'a rien de dépréciatif), c'est quand même l'image même de la société capitaliste. Qu'il s'habille chez H et M, c'est à dire un truc qui fait bosser des gens dans des conditions d'esclavage, et, que, quand on a la chance d'avoir des sous comme lui, on a plutôt tendance à éviter. Et qu'il n'est pas la mode, quelle audace ! Mais je vous rassure, aller chez H et M lui « raidit les cervicales », et depuis peu sa copine Isabelle lui a fait découvrir La Vie Claire.

Bégaudeau ne cache pas qu'il a un appartement à Paris, et déclare 40 000 euros au fisc chaque année, mais ce n'est pas sa faute, le pauvre, car c'est son papa qui lui a fait cadeau de l'appartement (et il est tout petit, juste 40m2) et son succès qui lui vaut ses revenus, il n'y peut rigoureusement rien...Il sait bien qu'on (le bourgeois) peut le lui reprocher, ou plutôt lui faire remarquer qu'il y a là comme une ambiguïté, à être contre la propriété privée, mais ce ne serait que mesquinerie bourgeoise.

Quand je me mets du côté de la tolérance sur les grandes questions de société, tout cela n'est que « L'écrin d'humanité dans lequel [je] feutre [ma] brutalité structurelle", et toujours et encore « cette pulsion conciliatrice [qui] a un soubassement autoritaire ». Si je me soucie des pauvres c'est parce que je veux préserver ma bonne conscience, dans un paternalisme dégoûtant, pour en gros, par ma feinte gentillesse, annihiler la lutte des classes.

Ca continue comme ça sur des pages et des pages, à asséner (plutôt brillamment et avec un sens certain de la formule) que tout ce que je dis, pense, fais, n'est que l'expression d'une morale mal placée et non d'une pensée, à me l‘en envoyer à la gueule pour m'agacer (il le dit : »J'aime bien t'emmerder » : la colère comme une pose), à expliquer qu'il est beaucoup plus intelligent que moi, et, si ça m'agace encore et toujours, ça prouve bien que je suis une bourgeoise. Bref ça a un petit côté sophisme qui… m'agace encore plus, et que l'auteur va revendiquer jusqu'à la dernière page, tout à la fois habile et malsaine. Vous voyez, on n‘en sort pas de son petit jeu, il n'y a pas d'échappatoire

Et c'est très dommage, cette mauvaise foi (en fait je ne suis pas sûre que ce soit de la mauvaise foi, mais plutôt de l'aveuglement), cet amalgame, cette fausseté de raisonnement, parce que cela nuit au reste, au réel propos qui aurait pu être vraiment intéressant, cette dissection des contradictions, sur les choix culturels, en particulier, la suppression de la prison, ou sur la perte totale de conscience qu'on peut avoir face au déterminisme, au hasard et à l'exclusion, à la dissection de contradictions.

Les leçons, je veux bien, mais avec un peu d'humilité. Je n'utiliserai certainement pas l'argument bourgeois que derrière la critique et les idées, au-delà de l'agression caractérisée, je voudrais bien comprendre ce qu'il propose.
J'aurais voulu qu'il m'explique cette histoire que je n'aurais pas dû voter contre le Pen, comment il voudrait abolir les privilèges et la propriété privée etc...ça m'aurait beaucoup intéressée. J'aurais voulu pouvoir réfléchir sereinement à cette idée de rentabilisation de tout, de perte de contact avec le rêve, mais aussi avec le réel, d'entre-soi.

Il est très dommage qu'il joue au procureur, n'épargnant aucun effet de manche, que la forme cynique, para-haineuse, arrogante, ait pris le dessus sur le fond. Une analyse plus nuancée (donc bourgeoise) m'aurait paru plus convaincante. J'aurais aimé ne pas être asphyxiée (humiliée?), j'aurais certainement eu une meilleure disponibilité pour entendre l'entendable, l'intéressant, l'intelligent. Mais ce serait sans doute encore la preuve de ma condition de bourgeoisie aspirant à la coolitude (sauf que je n'aspire pas trop à la coolitude, moi…)., à la confrontation polie cachant le politiquement correct, Et Bégaudeau ne veut certainement pas s'y abaisser.

Je n'ai pas hésité à être virulente, voire excessive, ou même caricaturale (mais pas tant que ça), je n'ai fait qu'utiliser ses armes. J'ai bien conscience que ceci n'était qu'un (trop long, pardon) commentaire bourgeois.
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Diatribe revigorante rédigée en 2018 après la première élection d'Emmanuel Macron, dont il est accessoirement la cible, car visant principalement son électorat, et à coup sûr la part de la population qui correspond à son actuel petit socle de "popularité", "minorité audible" dont le concert des voix hier largement dominant à désormais affaire avec un tas de casseroles, "dispositifs sonores" que les préfets interdisent en manif pour ne pas amplifier ce que le ministre de l'Intérieur qualifie de "terrorisme intellectuel".

Pour autant, il ne suffit pas de ne pas ou plus appartenir à ce socle pour se croire épargné par Bégaudeau. "La structure, c'est toi. Je passe par la case Macron en tant qu'il te cristallise."
La critique est structurelle et se construit comme un libelle, une adresse à la deuxième personne du singulier destinée au bourgeois "dont le propre est de ne pas se reconnaître comme tel." Beaucoup se reconnaitront, et chacun reconnaitra sans doute aussi une part de soi-même, l'auteur assumant la sienne et tendant la main à l'objet de son ressentiment... s'il se reconnaît dans le portrait qui est fait de lui.

"Je te demande un bond auquel je suis inapte. Penser contre soi est une gageure."

Pas facile, car Bégaudeau y va au lance-flamme, ce qui est très réjouissant cependant. La critique fait mal non seulement parce qu'elle est finement argumentée et solidement charpentée, mais précisément parce qu'elle ne vise pas un ectoplasme sociologique ou strictement une position économique, mais un ensemble, celui que se caractérise avant tout par ce qu'il croit mériter. "Ta clé de voûte c'est le mérite. [...] Poignarder le mérite ce serait t'interdire d'être fier de toi. N'y comptons pas."
Et le bourgeois (qui s'ignore) croit par dessus tout mériter d'être aimé, car il a tout : l'aisance, le bon goût, la bonne conscience, le bon droit...

Bégaudeau le dégringole de son échafaudage de certitudes sans contenu. "Je t'ai trouvé bête. Je t'écoutais, et je pensais : comme c'est bête."
Ben oui. Par exemple, c'est bête de penser que les extrêmes se rejoindraient. (Non seulement ça ignore l'histoire, mais ça suppose quoi, que la pensée serait un cercle ?!) "Ce que j'appelle bêtise est une modalité de la pensée magique."

"Ton mot d'ordre, ton mot visant à la préservation de l'ordre est : tout sauf les classes. Tout sauf cette découpe-là du réel. Tout le reste tu peux le digérer." Et pourtant, ce serait une excuse valable : "L'analyse de classe est ton salut [...] Ton milieu t'a façonné sans te consulter."
Bégaudeau fait du Bourdieu à la hache, le style tranchant, mais pas au détriment de la subtilité et de l'intelligence. A travers son habitus de fils de fonctionnaire, d'artiste, il expose un autre monde possible, où la valeur n'est pas pécuniaire, où "moins ça rapport et plus ça a de prix".

Personne n'est donc définitivement prisonnier de la pensée bourgeoise, non plus que systématiquement épargné de ses contagions. Mais si le bourgeois ne se reconnaît pas (ce qui est vraisemblable et constitue une limite de l'entreprise), l'auteur et son lecteur complice en éprouve un surplus de joie à avoir raison. "Joie de saisir, joie de capter. Gai savoir."



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Quand on parle de François Begaudeau, on pense forcément à Entre les murs. Que ce soit le livre ou le film. Je connaissais François Begaudeau aussi avec ses chroniques dans la matinale de Canal+ et qui me plaisaient déjà beaucoup.
Pour autant, je n'avais pas encore testé la lecture d'un de ses livres, que ce soit Entre les murs, dont je n'avais que vu le film adapté.

Histoire de ta bêtise, présenté comme une analyse de la classe bourgeoise qui se veut progressiste m'a véritablement intriguée. J'ai beaucoup aimé lire ce livre dont on sent que chaque phrase est travaillée et donne une fluidité très agréable dans la progression de l'analyse. On y trouve aussi pléthore de belles pensées et des ironies que j'affectionne particulièrement.

Quand on est soi-même dans des pensées radicales hors de la norme, un livre tel qu'Histoire de ta bêtise est une bulle d'oxygène ! A lire d'urgence pour tous ceux qui veulent découvrir des pensées différentes du "mainstream".
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Je n'avais pas beaucoup aimé « entre les murs » : un livre, certes, édifiant, mais qui prenait le parti d'édulcorer en grande partie une réalité beaucoup plus hard, du moins telle j'avais pu l'expérimenter sur le terrain. Je lui en voulais d'avoir versé dans le consensus et d'avoir voulu faire croire qu'il était encore possible de faire quelque chose avec un peu de bonne volonté alors qu'il était évident pour moi que la situation était déjà verrouillée.
Je suis ravie de constater (p 89-90-91) qu'il a changé de cap et qu'il fait son autocritique.
Pour le reste, je ne me suis pas du tout sentie concernée par le "tu", mais je l'ai lu d'une traite avec amusement : il dit, à peu de choses près, ( par ex. il est faux de dire que Zemmour est raciste) tout ce que je pense depuis longtemps sur la bien-pensance de la bourgeoisie dite de gauche, ou de droite et sur un système qui n'a éthique que la loi du marché même s'il cherche par tous les moyens à nous le faire oublier.
Je prends cet écrit pour ce qu'il est : un pamphlet qui vise une certaine élite qui se gargarise de sa bonne conscience et veut à tout prix nous faire croire que les classes sociales n'existent plus. Il dénonce avec virulence un capitalisme qui a une capacité non négligeable — et parfois même phénoménale —, à résoudre ses contradictions en récupérant, recyclant, édulcorant, mais dont on commence, enfin, à voir les limites puisqu'il mène le monde à la catastrophe en passant par la case déshumanisation (ou effacement de l'humain au profit de la marchandise).
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Dans "Histoire de ta bêtise", François Bégaudeau s'adresse aux bourgeois : ceux qui votent systématiquement au second tour pour faire barrage à l'extrême-droite, ceux qui emploient les mots "racisme", "nationalisme" et "repli sur soi" dans la même phrase, ceux qui sont fiers d'être ouverts d'esprit mais n'hésitent pas à taxer les autres de "complotistes", ceux qui veulent faire lire Flaubert aux jeunes alors qu'eux-mêmes lisent plutôt Carrère, les adeptes de la bienpensance, les conservateurs progressistes et les aficionados de Macron,... La liste est longue !

La forme est plutôt déroutante puisque François Bégaudeau ne cesse d'employer le "tu". Quand on ne se reconnait pas dans ce "tu", on se sent un peu exclu de la conversation et l'on regarde cela de très loin. Mais les réflexions de l'auteur restent intéressantes, même pour l'observateur passif. Il n'hésite pas à asticoter le bourgeois, à le pousser dans ses retranchements, à dire des choses tout à fait scandaleuses. Ce livre n'est pas qu'un défouloir, le but est surtout d'ouvrir les yeux et prendre conscience de notre condition et des paradoxes qui nous habitent.

"Histoire de ta bêtise" est un essai instructif, une lecture peut-être douloureuse pour certaines personnes mais nécessaire !
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C'est un pamphlet contre la bourgeoisie. Mais ce n'est pas le bourgeois "ordinaire" qui est visé ici. C'est le bourgeois nouvelle mouture, le bourgeois sympa, genre bobo. Encore que l'un est l'autre ont un point commun : que surtout l'on ne touche pas à l'ordre économique qui pourrait porter atteinte à leurs avoirs !
Sur le fond je suis plutôt d'accord avec l'auteur. Mais il faut avouer qu'à la longue ce défouloir se fait un peu lourd. Bégaudeau passe ses petits nerfs et devient lassant.
S'il avait allégé son discours avec un peu d'humour, j'aurais applaudis. Mais là j'ai envie de lui dire « tu as raison, je te suis, mais dans cette affaire tu as un peu oublié le lecteur et son plaisir de lecture ».
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L'extrait publié est consternant. Ecriture journalistique d'un perroquet-écrivant de gauche (la vraie, la dure, pas celle qui est abonnée à Télérama et lit les romans publiés par Actes Sud).
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