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3,63

sur 78 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
J'ai beaucoup aimé ce roman atypique et émouvant , mettant en jeu deux solitudes du monde moderne .

Atypique par la forme: deux voix s'entrecroisent, rendues presque anonymes par l'utilisation neutre et dérangeante du "tu" pour la jeune femme qui cherche à s'élever socialement et du "vous" pour le représentant en papier-peint qu'elle est chargée de licencier, "l'ancêtre" comme on le surnomme.

Atypique aussi quant aux personnages, à priori antinomiques, fort éloignés l'un de l'autre. L'ancêtre trace la route depuis des années, et s'use, malgré un don certain pour la vente.Il voit peu sa famille et se passionne pour Rimbaud. La femme mandatée pour l'évincer est elle perdue , sans motivation réelle ,en dépit de son désir de revanche sociale.

Émouvante,la traversée de ce désert urbain, de ces êtres fermés en eux-mêmes, de la laideur des banlieues, du gris du bitume.

Émouvantes, les phrases pour mimer ce vide, ce quotidien où les jours sont calqués les uns sur les autres, mais où l'esprit parfois se rebelle et cherche autre chose, une lueur, un espoir ténu, " juste l'impérieuse envie de s'arrêter comme ça, pour rien, que tout cela cesse, vitesse, déplacement, juste parce que dans le soir, entre chien et loup, le bitume semblait devenir plus épais, plus consistant, étalé en flocons irréguliers, presque vivant, un pelage de fauve dans le mauve du crépuscule. "

Surprenante, la fin, et il faut l'avouer, trop idyllique, mais si séduisante ...

" Elle dit: ils désertent. Et toi, tu comprends île déserte. " Une île déserte, au milieu du béton et du noir anonymat , mais une île déserte où le coeur reverdit et et se trouve ...

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"Ils désertent" est un livre dont j'aurai aimé dire que je l'avais adoré alors que je ne l'ai que simplement aimé. C'est un livre enrichissant, formidablement bien écrit, qui m'a happé dès les premières lignes mais qui hélas m'a un peu lâché avant sa conclusion.
Nous faisons d'abord la connaissance d'une jeune femme, fière d'avoir pu grimper sur l'échelle sociale grâce à son embauche au poste de chef des ventes dans une société de papiers peints et de décoration. Son premier travail sera de virer un de ses VRP, surnommé l'ancêtre, quarante ans de boîte mais aussi celui qui fait toujours les meilleurs chiffres de vente. Ces deux là, malgré leur différence d'âge, leurs fonctions, ont finalement d'infimes choses en commun que Thierry Beinstingel va nous faire découvrir en observant leur vie avec de subtils chapitres en parallèle.
La première moitié du roman est une brillante mise en place du récit, brossant avec pertinence et sensibilité le mal être de ces deux personnes solitaires et broyés par le travail en entreprise, troisième personnage de cette histoire. le monde du management, de la recherche du profit, des décisions imbéciles au nom de la sacro-sainte économie libérale sont ici la toile de fond devant laquelle se débattent ce presque vieil homme et cette jeune femme. Leur vie est un désert, affectif, relationnel et même architectural puisque la jeune chef des ventes habite un de ces appartements pour investisseurs, construit au milieu d'un champ, au bout du bout d'une ville sinistre. Tous deux ne sont que les pions d'un système rendu fou et qui ne garde que les plus malléables. Elle, ancienne lectrice d'Hannah Arendt, se demande comment on peut encore travailler après avoir lu "Condition de l'homme moderne". Lui, est un admirateur de Rimbaud, surtout de sa correspondance, depuis qu'il a appris que, comme lui, il avait été un voyageur de commerce.
Toute cette première partie est tout simplement admirable par son acuité, par la totale empathie de l'écriture avec les personnages. Et soudain, après un chapitre un peu étrange mêlant Rimbaud et l'auteur, le livre bascule doucement vers un final, comment dire, un peu trop sucré. C'est comme si, pour rester avec des auteurs récents, on avait débuté le livre avec Jérôme Ferrari et terminé avec Grégoire Delacourt (deux auteurs aux univers très différents mais dont j'ai apprécié les ouvrages cette année) et du coup cela ne fonctionne pas vraiment. Même si la thèse de la culture sauvant l'humain du néant est forcément séduisante, elle détonne quelque peu après une mise en place si tendue, si âpre et si intense. C'est dommage, mais je ne suis peut être pas très bon juge, puisque, ô surprise, les jurés Goncourt ont inscrit ce roman dans leur première liste.
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Deux personnages, dans ce roman, sont centraux : il y a d'abord « l'ancêtre » surnommé ainsi par ses pairs en raison de son ancienneté dans le métier .Il est VRP en papiers peints depuis plusieurs décennies …Un crime, aux yeux des dirigeants de son entreprise qui veulent le faire licencier car il refuse de vendre, en sus des papiers peints, des canapés.

Une toute jeune femme , surnommée dans le roman « la petite sportive» est chargée par les dirigeants de faire licencier « l'ancêtre » .cette jeune femme, archétype du cadre dynamique aux dents qui rayent le parquet , peu regardante sur les méthodes au service de son ambition , arriviste, cynique, s'investissant au-delà du raisonnable dans son travail , est chargée de cette basse besogne .

La forme de narration du récit est originale : les paragraphes, dont les phrases de début sont souvent rédigées à la deuxième personne du singulier ou du pluriel, donnent au roman un côté décalé, en retrait de la vie de ses personnages. On y découvre, par la confrontation de ces deux individus et au-delà d'eux, deux conceptions du monde : celle que l'on veut nous imposer dans le monde du travail, dont l'absurdité et la cruauté sont admirablement décrites par l'auteur, et une autre vision, réconciliant la culture, au sens large, et l'homme au travail.

« L'ancêtre « éprouve ainsi une similitude entre certains aspects de sa profession et celle de Rimbaud, voyageur de commerce, poète qu'il admire et qui l'inspire jusque dans l'accomplissement de son métier…
Ce que nous dit Thierry Beinstingel, avec une grande force de conviction qui emporte notre adhésion de lecteur, c'est que l'être humain se mutile, s'appauvrit, se suicide s'il se coupe de la culture ,qui n'est pas un ornement inutile mais une composante essentielle de nos vies d'hommes .La fin du roman est optimiste sans être édifiante , elle décrit le possible aboutissement d'une désertion d'un certain monde , celui du management imbécile, inhumain , hypocrite , au profit de rapports humains enfin restaurés dans leur vérité première .
Bravo pour ce roman !
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Deux voix s'entrecroisent dans cette histoire, deux personnages dont nous ne connaîtrons pas les prénoms. Elle, une jeune femme qui vient enfin de décrocher un travail à la hauteur de ses compétences et de son implication. Lui, le plus vieux vendeur de la boîte, dont il est le co-créateur, devenu gênant malgré ses bons chiffres, refusant de se mettre à vendre des canapés et des "ambiances" de salon, en plus des papiers peints habituels.

Deux vies plutôt ternes, emprisonnées malgré elles dans un système qui les broient jour après jour. Dès le début, elle sait qu'elle devra virer "l'ancêtre" et elle l'assume, après tout ce boulot elle l'a mérité et il lui permet d'acheter enfin l'appartement dont elle rêvait, un trois-pièces dans une zone indéfinissable, ni ville, ni banlieue, mais il est à elle.

Lien : http://legoutdeslivres.canal..
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Je ne sais pas si je vais réussir à parler comme il faut de ce livre que j'ai beaucoup aimé et qui m'a également profondément émue à la fin... le fond est riche malgré l'épaisseur relativement modérée du volume - moins de deux cents pages - et le style suffisamment singulier (cette écriture à la 2ème personne...) pour créer un lien étroit avec le lecteur. C'est l'histoire de deux solitudes. C'est aussi une peinture assez terrible du monde du travail et des monstres qu'il génère. C'est une histoire de résistance, quand arrive le moment où l'on a encore le choix de dire non.

Les deux solitaires n'ont a priori rien en commun : elle est jeune diplômée récemment embauchée dans l'entreprise pour superviser l'équipe de vendeurs ; lui est surnommé "l'ancêtre" à cause de ses quarante années passées à sillonner les routes pour vendre ses collections de papier peint, depuis la création de l'entreprise. Rachats, évolutions, transformations... La petite entreprise familiale est devenue un grand groupe en diversifiant ses activités... Pourquoi se contenter de vendre du papier peint alors qu'on peut agir sur l'ensemble de ce qui constitue le décor, meubles, luminaires... Tout ça, "l'ancêtre" s'en fout. Lui, il est le roi du papier peint, d'ailleurs son secteur est celui qui réalise le meilleur chiffre, de loin... Qu'à cela ne tienne, l'entreprise doit évoluer, les vieilles méthodes sont priées de débarrasser le plancher et la jeune diplômée est sommée de se débarrasser de "l'ancêtre"...

En alternant les chapitres en compagnie de l'un ou de l'autre, l'auteur nous fait pénétrer au coeur de l'absurde. Lui n'a que la route, les kilomètres qu'il s'amuse à cumuler et à transformer en nombre de voyages terre-lune... La route lui a coûté sa famille, femme envolée, enfants distants... Mais c'est en virtuose qu'il exerce son art, presque applaudi par ses clients, friands de ses argumentaires plus poétiques que publicitaires. Elle espère réussir comme le souhaitait son père avant de mourir... Famille modeste, mère distante, pas d'amis pas le temps à cause des études puis du travail... C'est une belle opportunité ce poste, l'indépendance, une carrière, quitte à devoir se plier à des exigences absurdes... Pourquoi se séparer de celui qui rapporte le plus à l'entreprise ?

L'auteur n'a pas son pareil pour décrire le quotidien du VRP (zones commerciales interchangeables, mauvais cafés des selfs d'autoroute, hôtels impersonnels...) ou les affres d'une jeune cadre soudain confrontée à la triste réalité du terrain et des petits chefs. Pas son pareil non plus pour mettre de la poésie dans ces tristes vies... La poésie, les mots, la littérature, voilà qui peut-être parviendra à les sauver ; "l'ancêtre" est accompagné par Rimbaud dont il aime souligner le parcours parallèle au sien, la jeune diplômée est tentée de se replonger dans ses livres pour essayer de comprendre le monde qui l'entoure. Et puis les rencontres. Les relations, la confiance. Casser ce cercle vicieux de la solitude, recommencer à rire, sortir, discuter... à vivre, quoi. Trouver simplement le courage de dire non et terminer sur une belle note d'espoir.
Pas évident de parler de l'entreprise sans trivialité et là, c'est franchement réussi, comme si l'auteur (cadre dans les télécommunications) connaissait bien son sujet. C'est un super bouquin et j'espère que sa toute récente parution en poche lui offrira plein de nouveaux lecteurs.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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Dans la boîte, tout le monde connaît l'ancêtre, celui que la jeune cadre recrutée récemment est chargée de mettre à la porte. Pourtant, il fait bien son travail, et mieux que d'autres, mais c'est un signal que le responsable veut envoyer aux autres commerciaux, avec une froide logique qui appartient au monde de l'entreprise.
Ce monde, Thierry Beinstingel sait particulièrement bien le faire vivre, et j'ai beaucoup aimé sa manière de s'adresser à l'ancêtre avec un vous de respect et à la jeune femme avec un tutoiement mieux adapté. le lecteur distingue ainsi avec facilité les chapitres de chacun, et ne s'égare jamais, ne craint pas non plus les dialogues inclus dans le texte ni les personnages désignés par des noms génériques : ta soeur, votre ex-femme, le grand patron… Les personnages gagnent en profondeur, leur vie personnelle prend forme, les rouages de l'entreprise accomplissent leur devoir, le drame se dessine, mais la fin n'est pas forcément celle qui est attendue.
Comme dans Retour aux mots sauvages, l'auteur excelle à décrire un univers qu'il connaît visiblement très bien. Son roman à paraître en août sur un journaliste envoyé dans un petit village de l'est de la France, pour enquêter sur le score exceptionnel qu'un parti d'extrême-droite y a réalisé promet d'être passionnant aussi !
Lien : http://lettresexpres.wordpre..
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La solitude en milieu périurbain. Images qui évoquent les photos de Raymond Depardon. le centre commercial, le parking, le rond-point, la cafeteria. le bitume à perte de vue. Des images saisissantes : des cartes postales fanées de ce début du XXIe siècle. le sentiment du vide, la nausée. Une élégie à la classe moyenne. Tout cela sans tomber dans le misérabilisme.

Un des personnages est en début de parcours et l'autre en fin de parcours – cela n'est pas anodin à mon sens, ce sont peut-être des archétypes.
Pour le situer, certains lecteurs évoquent Simenon et Houellebeqc.

Extrait
« Cela fait des années que vous n'êtes pas passé dans le coin. Les grandes barres qui autrefois achevaient la ville paraissent plus petites que dans vos souvenirs. Plus sales aussi. Il vous semble qu'il y avait des arbres et des jeux d'enfants entre deux immeubles que vous longez, mais il n'y a plus qu'un parking avec juste une carcasse de voiture en son milieu. [ ] Juste après la station-service (maintenant désaffectée, seul reste l'emplacement des pompes), il y avait un vieux hangar en bois qui ressemblait à un ranch américain. [ ] Vous rejoignez un rond-point derrière lequel vous devinez la zone commerciale. Et c'est là, dans l'arrondi des routes, coincé entre une flopée de panneaux publicitaires, un concessionnaire d'une marque d'automobiles et une enseigne de restauration rapide que surgissent les croix blanches du cimetière militaire. » P160
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Le récit décrit bien le monde médiocre, conformiste représenté par bon nombre d'entreprises.
Un collaborateur performant doit être ‘liquidé' parce que son apparence ne cadre pas (plus) avec les préjugés de la Direction. Les répercutions de son départ sur les résultats et donc l'avenir de la société sont secondaires. Seule la frime compte.
C'est une jeune collaboratrice qui est recrutée pour pousser ce commercial vers la sortie. Une jeune, bien évidemment, car, en principe, plus facile à manipuler.
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Beinstingel Thierry - « Ils désertent » - Fayard, 2012 (ISBN 978-2213668826)

Ce roman entre dans la catégorie qu'il est maintenant d'usage de nommer «roman d'entreprise» puisque la trame centrale se déroule au sein d'une entreprise de taille moyenne, qui se développe, et souhaite "donc" se débarrasser de l'ancien cadre, devenu encombrant même si ses résultats commerciaux sont parmi les meilleurs. On charge la petite jeunette, qu'il est de bon ton aujourd'hui d'appeler une "battante" issue de ces immondes écoles de commerce, de procéder à ce licenciement, en lui faisant miroiter une promotion magnifique de "directrice des ventes".

Mais l'ancêtre a de la ressource, puisqu'il fréquente assidument un autre voyageur de commerce "aux semelles de vent", un certain Arthur Rimbaud auquel il rend visite en son cimetière à chaque fois qu'il passe dans les Ardennes. Mais la petite jeunette, avant d'être lobotomisée par sa formation de cadre de choc, avait lu Hannah Arendt et rencontré une copine dans les îles du Cap Vert.

Décrivant sans concession les moeurs qui se sont installés dans les entreprises et tout spécialement dans ces milieux de cadres commerciaux d'une imbécillité consternante, ignorant tout de l'art pratiqué par leurs prédécesseurs, ce roman est nettement moins cruel que «Cadres noirs» de Pierre Lemaître tout en pointant les mêmes dérives.
L'écriture est belle, souvent poétique, l'idée des volumes d'échantillons de papier peint est émouvante, l'histoire se termine bien : ils furent heureux et eurent beaucoup de livres…

Un seul regret : puisqu'il est question des îles du Cap Vert, on ne peut que regretter l'absence de la sublime "Miss Perfumado" de Cesaria Evora qui eut fourni un fond musical digne de cette ambiance souvent lyrique.

Un très bon moment de lecture.
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Clara Dupont-Monod et ses chroniqueurs Alexis Lacroix et Gilles Heuré reçoivent ce samedi Thierry Beinstingel pour "Ils désertent" (Fayard).
Lien : http://www.franceinter.fr/em..
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