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sur 951 notes
« Une civilisation proliférante et surexcitée trouble à jamais le silence des mers. »
Claude Lévi-Strauss

Mon chemin de lectrice n'aurait sans doute jamais croisé celui de Mathieu Belezi sans plusieurs billets d'ami.es babeliotes qui ont retenu mon attention. Je ne peux que les remercier pour cette lecture percutante qui m'a emportée dans l'enfer de la colonisation française de l'Algérie au 19ème siècle.
Je ne savais absolument rien de cette partie de l'Histoire, la lecture sert aussi à cela : apprendre, comprendre.

De format très court, ce n'est pourtant pas un roman qui amène une respiration entre deux gros livres. En effet, l'auteur réussit à déclencher dès les toutes premières pages de très fortes émotions. Je dirais même que le récit m'a empoignée, bouleversée.
Je n'ai pas pu lire ce roman d'une seule traite malgré la petite centaine de pages, tellement il m'a touchée et retournée.

*
Ce roman choral donne la parole d'une part, à Séraphine Jouhaud, une française venue en Algérie avec sa famille et d'autres colons pour fonder une colonie agricole ; et d'autre part, un soldat dont nous ne connaîtrons jamais le nom, qui, appartient à un groupe de militaires chargé de pacifier la région et apporter la « civilisation » à ces « peuples barbares ».

« Je les connais vos guenillards, vos hyènes aux chicots sanguinaires qui égorgent mes pauvres soldats venus de France tout exprès pour le pacifier votre foutu pays, pour le nettoyer de sa vermine, nom d'un bordel ! et c'est comme ça que vous nous remerciez ! »

J'ai trouvé ces deux récits très différents.
Séraphine retrace son épuisant parcours depuis la France, laquelle leur a offert des terres algériennes pour s'installer et démarrer une nouvelle vie pleine de promesses. J'ai ressenti ses espoirs d'une vie meilleure, très vite remplacée par la fatigue du voyage, l'inquiétude face à la tache colossale de cultiver des sols ingrats, l'appréhension devant les nombreux dangers, réels et potentiels, auxquels elle et les siens vont devoir faire face.
Car le paradis qu'on leur a promis va très vite se transformer en enfer. Une image me vient à l'esprit, celle du tableau de Théodore Géricault, « le radeau de la méduse » : les colons deviennent des naufragés ballotés sur les terres hostiles d'Algérie, endurant un climat particulièrement rude, attentifs aux bêtes sauvages, craignant les maladies et les attaques de la population locale.
Je me suis sentie proche de Séraphine, j'ai eu de l'empathie, détectant très vite les fêlures qui se dessinaient dans son coeur, repérant les éclats de joie et de certitude qui s'écaillaient et sautaient jusqu'à laisser sourdre une plaie béante, une tristesse indicible.

« Et puis, parce que tout doit être oublié ou pardonné dans cette vie, nous avons fini par enfouir bien au fond de nos entrailles nos peines les plus vives, celles qui jamais ne s'éteignent, et poussés par cet inexplicable instinct de survie nous avons recommencé à nous battre contre le soleil, contre la terre revêche, contre ces Arabes jour et nuit à l'affût et qui n'attendaient que le moment propice pour nous sauter dessus et nous écharper »

Le récit du soldat est tout autre.
C'est un récit d'une extrême brutalité et qui met vraiment mal à l'aise face à la barbarie de ces soldats français qui arrivent en conquérants, en despotes, sûrs de leur bon droit et de l'approbation du gouvernement français, tuant, violant, détruisant tout sur leur passage.
Le soldat répète inlassablement « Nous ne sommes pas des anges ». Et c'est rien de le dire !
Mais l'inhumanité appelle l'inhumanité.
La souffrance appelle la souffrance.
Le sang appelle le sang.
La mort appelle la mort.

« oui, nous sommes sûrs que vous êtes fier de nous, capitaine
et quand nous passons à travers les portes défoncées pour retrouver l'air libre et le soleil, quand le silence retombe sur nos épaules qui fument, quand notre coeur s'ébroue dans nos poitrines noyées de sang ennemi, c'est alors que l'envie nous vient de sortir les pipes, de les bourrer jusqu'à la gueule, d'envoyer dans nos poumons une charge de tabac à nous faire péter la cervelle, ça vaut tout l'or de ce foutu monde ces moments-là, et ceux qui ne fument pas s'en vont tranquillement égorger les ânes et ce qui leur passe sous la main, une brebis, des poules, un chien boiteux qui n'a pas le temps de s'échapper »

Donc deux voix, deux points de vue.
Et face à leur regard sur leur monde, leur temps et leurs actes, notre regard de lecteur deux siècles plus tard. Avec le recul de l'histoire et du temps qui passe, on peut s'interroger sur l'ignorance, la naïveté ou l'inconscience des uns, et les actes ignobles et honteux des autres.

Comment des familles françaises peuvent-elles s'installer en toute quiétude sur des terres qui ne leur appartiennent pas et penser pouvoir vivre en paix du fruit de leur travail ?
Comment comprendre l'attitude des soldats et cette vision de la pacification par la violence et l'oppression ?

La conquête de l'Algérie a été d'une intense brutalité, entre massacres de la population, viols, destructions de récoltes, spoliations des terres, pillages des villages. En prêchant l'agression et l'occupation forcée au nom de la civilisation des peuples autochtones, il n'est pas étonnant que cette violence extrême ait semé les graines de la rancoeur, de la haine et de la révolte.

*
L'écriture de Mathieu Belezi est très belle, lyrique et tendue, poétique et crue, emplie d'amour et de haine, de sauvagerie et de colère, de survie et de mort. Elle est incisive, amère, vive et tranchante, disséquant sans faux-fuyant les émotions des personnages, excisant avec une profondeur poignante et affligeante, l'indicible, l'indescriptible.

Mathieu Belezi trouve les mots qui racontent ces destins pris dans l'engrenage de l'Histoire et de ses intempéries.
Les mots martèlent, ils sont comme des coups de marteau, des coups de poing, des coups de scalpel, des coups dans le coeur. Et les mots font mouche. Imagés, d'une justesse incroyable, ils ont laissé des scènes éprouvantes dans mon esprit.
A travers la cruauté et les larmes, j'ai ressenti la colère, la rage, « le bruit et la fureur », la douleur, la peur, le désespoir. Et malgré la chaleur éblouissante et écrasante de ce soleil algérien, je n'ai vu que la noirceur de la terre que l'on saccage et qui finit par accueillir dans ses profondeurs les restes de cette lutte à mort.

« Ça veut dire que nous serons sans pitié, nom d'un bordel ! ça veut dire que nous n'hésiterons pas à embrocher les révoltés un à un, à brûler leurs maisons, à saccager leurs récoltes, tout ça au nom du droit, de notre bon droit de colonisateurs venus pacifier des terres trop longtemps abandonnées à la barbarie, comprenez-vous bien, soldats, ce que cela signifie ? »

Et puis, l'auteur égratigne la ponctuation, enlevant les points, les majuscules. Cela donne l'impression d'un long monologue.

*
Pour conclure, ce roman est excessivement réaliste, dur, souvent éprouvant pour décrire la barbarie de la colonisation française en l'Algérie et il n'épargne personne, ni les colons, ni les colonisés.
Le style allégé de la ponctuation classique, sous forme de flux de conscience, est très original et marque le récit par l'atmosphère accablante qu'il suscite.
Un petit roman à lire pour découvrir l'envers de la colonisation.
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J'avoue avoir beaucoup de mal à faire un billet sur ce livre.

Non pas qu'il ne soit pas intéressant – il l'est, c'est certain – ni que le sujet ne soit pas d'importance.

Non pas non plus que je critique l'attribution du Prix du Livre Inter auquel j'ai souvent postulé mais sans jamais avoir été retenue – bien au contraire j'ai trouvé le jury très inspiré.

Mais voilà. C'est très difficile de commenter ce livre parce que sa force réside dans son style et sans de bons extraits il me sera bien difficile de rendre compte de cette expérience littéraire.

Car c'est bien d'une expérience dont il s'agit.

Disons un mot du sujet, tout de même, ou plutôt des 2 sujets pour tous ceux qui ne sauraient pas de quoi on parle : il s'agit du récit d'une part de Séraphine, venue avec son mari Henri et ses enfants conquérir les terres que l'Etat français lui a octroyé et celui de ses soldats qui saccagent, ravagent, pillent et violent les populations algériennes dans les villages colonisés.

Un petit coup d'oeil sur Wikipédia, pour rafraichir ma mémoire, m'a rappelée que : » La première étape de la conquête commence avec la régence d'Alger, la partie septentrionale de l'Algérie (le Sahara étant un territoire généralement associé bien qu'indépendant) de juin à juillet 1830 et prend fin avec la signature de l'accord de soumission du régent d'Alger Hussein Dey le 5 juillet 1830 à Alger. » Et aussi que les « territoires de l'ancienne régence d'Alger et ceux de l'État algérien sont annexés à la France en 1848 par la création de trois départements (département d'Oran à l'ouest, département d'Alger au centre et département de Constantine à l'Est). »
Nous sommes dans les années 1850 donc, et Séraphine débarque de la métropole en Algérie.

«j'ai pleuré
Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer quand nous sommes arrivés et que nous avons vu la terre qu'il allait falloir travailler
Sainte et sainte mère de Dieu ».

Pendant ce temps les soldats font rage.
« Nous ne sommes pas des anges
Le capitaine n'a cessé de nous le brailler dans les oreilles, et nous le braille encore.
- Vous n'êtes pas des anges !
Pendant que le soleil dégringole derrière l'horizon et que montent au ciel les alouettes sorties des lentisques et des palmiers nains. »

Ce qui fait la force de « Attaquer la terre et le soleil », c'est son style. Puissant, direct, sensuel et sans fard.

Car il faut décrire une réalité qui, près de 200 ans plus tard, nous fait froid aux yeux. Combien de massacres perpétrés au nom de la colonisation ? Combien de familles comme celle de Séraphine décimées par la maladie, la famine ou les attaques en tout genre ?

C'est ce qui intéressant dans le propos de Mathieu Belezi sur lequel peu de romanciers s'aventurent aujourd'hui : reprendre l'histoire des premiers colons avec son cortège de massacre qui nous fait horreur aujourd'hui. Car rien ne nous est épargné des vicissitudes de la vie des premiers colons (choléra, paludisme, attaque d'animaux, famine) tout comme ce brave soldat qui suit les commandements de son capitaine appelant à piller, violer, détruire, massacrer.

Une sorte de descente aux enfers commune, que l'on regarde aujourd'hui comme des spectateurs regarderaient un film d'horreur, sur un continent loin du nôtre.

Et pourtant c'est notre histoire.

Comment comprendre donc environ 200 ans plus tard, ce qui poussait des familles pauvres à partir à la conquête de cette terre de l'autre côté de la Méditerranée ? et ces soldats à exécuter des ordres qui paraissent aujourd'hui inqualifiables ?

J'ai récemment vu par hasard, sur la chaîne « Histoire », un reportage intitulé « Enfants de pieds-noirs, enfants du divorce » qui donne la parole à des fils et filles de rapatriés algériens. Et leurs difficultés à justifier ce qui fut l'action de leurs parents ou grands-parents. Et ce décalage lorsque, rapatriés en 1962, on les a considérés comme des parias racistes alors qu'ils pensaient servir la France de l'autre côté de la Méditerranée.

Il y aurait beaucoup à dire sur un sujet qui fait débat aujourd'hui sur la scène politique, mais Mathieu Belezi n'est pas sur un terrain : seulement sur celui de la force de l'écriture pour décrire une parcelle de notre histoire qui s'apparente à l'enfer. Et c'est très réussi. »

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Ce roman de Mathieu Belezi : Attaquer la terre et le soleil est une véritable descente aux enfers qui puise avant tout sa force, non dans les thèmes largement traités dans d'autres romans ou essais, mais dans l'écriture de son auteur. Comment ne pas être, dès le début sous l'emprise de ces deux récits qui alternent : celui de Séraphine, débarquée en Algérie avec sa famille pour fonder une colonie agricole avec d'autres migrants et celui d'un soldat anonyme, arrivé lui aussi en Algérie mais pour y faire oeuvre de conquête.
Ce qui m'a immédiatement captivée dans ces deux récits, c'est qu'il s'agit en fait de deux longues litanies : celle de la souffrance et de la peur avec Séraphine et celle de l'horreur et de la violence guerrière avec le soldat. Pouvoir incantatoire des leitmotiv - "sainte et sainte mère de Dieu" pour Séraphine et "nous ne sommes pas des anges" - pour le soldat, qui reviennent en boucle de façon lancinante au début du roman, phrases au déroulé en continu sans pause aucune, ne laissant ainsi aucune échappatoire, on est happé par ces deux récits qui se font écho mais en miroirs inversés.
D'un côté Séraphine et sa famille venus en Algérie pour récolter "blé, orge, tabac et raisin..." vont être parqués dès leur arrivée dans des campements militaires où la saleté et l'insalubrité le disputent à la maladie et bientôt à la peur des "lions du désert" et celle des autochtones qui haïssent ces colons venus s'emparer de leurs terres ancestrales. Ce qui explique qu'ils les tuent sans hésiter avec une sauvagerie vengeresse. de l'autre côté, nous avons un soldat anonyme et son bataillon venus faire oeuvre de conquête, à la force des baïonnettes, comme il s'en félicite au début du récit dans un discours bravache se retranchant derrière les discours mensongers et hypocrites des officiels qui vantent la mission "pacificatrice" et "civilisatrice" de l'armée française !
A la douleur et la souffrance de Séraphine, s'oppose la violence guerrière du soldat et de ses acolytes dans des scènes à couper le souffle par leur puissance d'évocation. Dans des passages d'un réalisme cru, l'auteur nous fait partager les moments de cauchemar vécus par Séraphine et les autres colons, décimés par le choléra qui ne fait pas de quartiers, emportant du jour au lendemain hommes, femmes et enfants... Et nous assistons, impuissants tout comme les survivants, au funeste ballet des enterrements qui se succèdent à un rythme infernal ! Mais la grande faucheuse ne copine pas seulement avec les virus mortels, elle traîne aussi ses guêtres du côté de la violence guerrière et des massacres commis dans les douars arabes par la soldatesque française. Viols, décapitations, étripements, rien ne nous est épargné... Ce pourrait être insupportable si ces scènes d'horreur ne faisaient pas l'objet d'un grossissement épique qui leur confère une certaine irréalité en nous renvoyant ainsi plus du côté de la réflexion que de l'émotion. Cette barbarie humaine qui pille, saccage, viole et tue a, heureusement son corollaire : l''instinct de survie et un formidable appétit de vivre chevillé au corps de tous ces damnés de la terre ! Cette thématique parcourt aussi tout le roman comme en témoignent de grandes scènes qui se font écho et dans lesquelles colons ou soldats se livrent à des orgies de nourriture et de boissons qui sont pour les uns un moyen d'oublier la peur, les deuils et les mauvais coups du sort et pour les autres, shootés à la gnôle, une façon "d'oublier les souffrance physiques, les bains de sang et les cris des victimes, hommes, femmes et enfants..." Dernière invitée dans ce hit-parage de l'horreur, la folie, celle qui guette par exemple le capitaine Landron, dépeint comme un ogre sanguinaire et qui se livre à des discours délirants devant ses soldats et ses ennemis... morts de la façon la plus atroce qui soit.
Je pourrais poursuivre ma chronique mais j'ai pitié de mes lectrices et lecteurs et je conclurais seulement en disant combien j'ai été impressionnée par ce roman à la fois par la puissance de son écriture et aussi par sa façon de nous renvoyer sans ménagement du côté le plus sombre de l'humanité !
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Matthieu Belezi , un écrivain que je découvre avec ce livre coup de poing sur la colonisation en Algérie
Pour une vraie surprise car j'ai lu beaucoup de livres sur la guerre d'Algérie ( pays où j'ai travaillé et où ce sujet reste omniprésent)
Dès les premières pages, j'ai senti que j'allais lire autre chose sur le sujet et que j'étais en présence d'un grand écrivain
Une sensation que je n'avais pas connu depuis de nombreuses années
Dans ce court livre, Matthieu Belezi entre tout de suite dans le vif du sujet:le début de la colonisation en Algérie
Avec deux points de vue
Celui des braves colons volontaires à qui on a promis un avenir radieux, des terres à défricher certes mais la certitude de devenir un propriétaire terrien prospère sous le doux soleil de l'Afrique
La réalité est tout autre: un logement misérable, une chaleur insupportable, le choléra, le paludisme et toutes les maladies du monde dans un contexte hostile , bien caché par les autorités avant leur départ pour une contrée décrite comme idyllique.Dur retour au réel
L'autre point de vue est celui des militaires. Pour eux, pas de rêve.Ils savent très bien où ils vont et pourquoi : apporter à un peuple archaïque les vertus de la civilisation. Ils sont là pour leur apporter le bonheur version française
Ils savent que la population , ignare à leur yeux, sera hostile et que tous les moyens sont autorisés pour leur faire comprendre qu'il leur faut obtempérer puisque c'est pour leur bien que les troupes sont là.
Dès le départ, l'armée n'hésite pas à utiliser tous des méthodes brutales y compris les plus atroces
La force du livre réside dans cette double vision
D'un côté ceux qui ont été bernés naïvement
De l'autre , des soldats qui savent très bien que tout est permis pour obliger ce peuple à obéir.Les ordres viennent d'en haut
C'est cette violence programmée dès le début de la colonisation qui m'a surpris
Avec la manipulation de braves paysans français qui partent à l'aventure avec enthousiasme
Le style de Matthieu Belezi est ciselé
La lecture est passionnante
Un livre que je vous conseille vivement
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Si l'on personnifiait une nation ce livre ressemblerait à une flèche qui lui serait décochée en plein coeur, là où palpitent les devises, où vibrent les idéaux. Une flèche sans concession, un geste aussi pur que radical. Que les nations qui n'en ont jamais colonisé aucune autre, ou tenté de le faire, jettent la première pierre à Mathieu Belezi tant son propos, bien que focalisé sur la colonisation française de l'Algérie, m'a semblé horriblement universel. Il y a du beau, dans le coeur des Hommes, qui cohabite avec un indéfectible besoin de conquête dans le coeur des nations. Et le propos limpide de cet auteur engagé, c'est sa rage que l'on puisse y trouver des excuses, des justifications savamment orchestrées pour détourner l'opinion publique : une colonisation ce n'est pas amener des savoirs et des croyances, c'est les imposer de gré ou de force. Ce n'est pas faire bénéficier, c'est prendre des bénéfices. Ce n'est pas propre, ce sont des massacres de population.
Façonner l'opinion publique pour convaincre de son bon droit n'est pas compliqué, il suffit de l'abreuver de la peur et de la haine d'autrui, de le traiter de terroriste par exemple pour la persuader que l'éradication a du bon (mais je m'éloigne un peu du sujet).
.
Dans les années 1830, il était dit aux français qu'il fallait purger l'Algérie de ses mécréants. Chose faite, ou en passe de l'être, on les invitait à venir s'y établir, on leur offrait des terres et on leur promettait qu'ils allaient se construire un avenir ensoleillé et prospère.
La purge et l'installation des colons sont les deux voies retenues par l'auteur pour parler de la colonisation. Il fait tour à tour, en alternant les chapitres, s'exprimer un soldat français au service d'un capitaine impitoyable, et un groupe de colons dont le désenchantement commence dès leur premier regard sur leur promise « colonie agricole » qui se résume en fait à des alignements de tentes militaires, où plusieurs familles devront cohabiter, affronter les éléments, et des autochtones armés de yatagans qui refusent la soumission.
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Mathieu Belezi est crédible aussi bien lorsqu'il prend la voix de Séraphine convaincue par son mari de venir tenter « l'aventure algérienne » et qui se retrouvera face à d'inimaginables épreuves, que lorsqu'il prend celle d'un soldat français qui exécute les ordres sans faillir à la pitié ou à quelconque remise en question malgré de subtils « commentaires » en italique qui semblent tels un petit ange de conscience qui essaie en vain de s'agripper à son oreille.
Les choix typographiques rythment l'écriture de l'auteur, italiques, absence de point et donc absence de majuscules, les paragraphes sont livrés comme un déversement de parole sans fin. J'ai pensé avec un petit agacement à un simple effet de style, au départ, une recherche de modernité qui sonnerait creux. Et puis j'ai changé d'avis au fur et à mesure de ma lecture. Cette absence de points sert le style dans le sens où les témoignages de ces gens semblent livrés bruts, sans chercher quelconque effet justement. Les peines comme les joies fugaces. La soumission au capitaine comme la hargne d'éventrer. Les mots s'égrènent, les personnages vident leurs sacs, font une confession . Et pour le lecteur, l'émotion monte devant ce flux de mots ininterrompus, devant ce flux de violence et de tristesse.
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Le 14 juin 1830, l'armée française débarque en Algérie sur ordre du roi Charles X. L'Algérie est alors une province de l'Empire ottoman. La prise d'Alger par les Français marque le début de la colonisation de l'Algérie. Mathieu Belezi fait alterner les voix de Séraphine arrivée avec sa famille pour travailler sur cette terre de sauvages et celle d'un soldat venu de France pour pacifier ce foutu pays et le nettoyer de sa vermine.

Un récit court qui vous prend aux tripes. Une réflexion sur cette colonisation d'une extrême violence, avec une plume très réaliste l'auteur nous décrit les exactions, les massacres, les ravages du choléra et d'autres maladies infectieuses, la famine, le sang qui ne cesse de couler, les têtes qu'on coupe, les morts qui s'accumulent. Mathieu Belezi nous raconte cette barbarie et ces atrocités avec une écriture simple et poétique qui nous emporte.


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Née en 62 j'ai en mémoire la guerre d'Algérie qui fait partie de notre histoire proche et qui reste bien présente à travers ce qui se joue encore de ce conflit aux multiples impacts. En ouvrant ce roman je m'aperçois en revanche, que je ne connais rien de la colonisation de l' Algérie par la France de 1830 à 1847. J'y entre dans la boue,le sang et la barbarie.
Deux récits s'entrecroisent. Celui des colons par la voix d'une femme qui va très vite dégringoler du rêve de la terre promise,celle offerte par l'Etat français. Après un pénible voyage, ce qui l' attend, elle et sa famille, n'est pas la petite maison dans la prairie mais un camp de migrants ,le froid ,la faim, la peur, la maladie, la mort.
Celui des soldats,dopés à la gnôle et aveuglés par leur fascination pour leur capitaine,un homme violent sans aucun état d'âme. Ensemble ils détruisent tout sur leur passage et sèment la terreur et la mort. Ils decapitent,violent,brûlent.
Deux rengaines, ou deux credos?! "Sainte mère, Sainte mère de Dieu!" Et " on n'est pas des anges". Ce à quoi j'aurais envie de crier,si j' y croyais " Mon dieu,pourquoi les as tu abandonnés?"
Face aux soldats,les colons inspirent la compassion. Ils sont les proies d'un système politique qui les manipule. Les soldats sont des prédateurs qui ont besoin dd sang sur les mains et dans la gorge. Ils se revitalisent par une propagande dévastatrice et immonde qui les persuade qu'ils sont là " pour pacifier [votre] foutu pays,pour le nettoyer de sa vermine,nom d'un bordel!"
Mais s'ils sont finalement victimes les uns et les autres d'une politique qui les dépasse, cela ne peut excuser les responsabilités individuelles, les actes de barbarie commis dans un plaisir bestial.
Mathieu Belezi ne nous épargne rien de l'horreur des carnages et si vous pensiez que la musique adoucit les moeurs, méditez ce refrain :
Courons au carnage
Vive le pillage
Mitraillons
Brûlons, saccageons !
Et cueillions des galons:
Nous colonisons"
Son écriture est particulière avec des phrases qui ne finissent pas mais laissent des blancs...des vides puis,à la ligne pour poursuivre...
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Ce roman a été multi primé, encensé par de nombreux lecteurs et lectrices de babelio et pourtant, moi je ne lui attribue que 3,5 étoiles....
Je me suis donc interrogée, est-ce un mauvais moment pour le lire ? Ai-je raté quelque chose ?
.
L'histoire. la colonisation de l'Algérie (ultra violente) par les troupes de soldats et par les colons installés pour cultiver cette nouvelle terre. Oui mais voilà cette terre est habitée.
On est donc au 19e siècle. On va suivre deux personnages : Séraphine, colon (désolée mais comme possesseur, colon n'a pas de féminin : une femme ne peut pas posséder ni coloniser selon la langue française) et un soldat lambda, non nommé. Séraphine subit la violence des Algériens qui eux-mêmes subissent la violence des soldats dont notre narrateur non nommé. Cercle vicieux, aberrant, réaliste, tristement d'actualité....
.
Le style de l'auteur est original, mais un peu sec, distant. C'est sans doute cela qui m'a posé problème. Si ce style correspond aux scènes d'ultra violence racontées par le soldat, il m'a manqué un je ne sais quoi du côté de Séraphine. Ou alors peut-être le point de vue des habitants algériens....
Je me suis sentie étrangère, comme si je regardais d'en haut.
Une petite déception pour moi.
Dommage....
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Rendez-vous au Paradis !!

Telle aurait pu être la chanson motivante susurrée par le suave gouvernement français aux candidats colons qu'il voulait envoyer en Algérie afin d'y travailler une terre hostile à domestiquer.

Monts et merveilles promis, mais une boue épaisse et tenace sous des trombes d'eau et une simple triste tente militaire attribuée, à partager avec une autre famille en plus, et des sanglots longs, pas même étouffés, qui viennent blesser les coeurs monotones.

Et quand se calment les cataractes de pluies diluviennes, c'est un infernal soleil de plomb fondu qui s'abat sur les néo-émigrés qui pestent avant que n'arrive le choléra.
Pas des vacances ces colonies!
L'y trouveront-ils quand même, leur paradis ?

Quel paradis promis aux populations autochtones qui ont vu fondre sur leurs calmes villages isolés des hordes de soudards en uniformes français, harassés, affamés, assoiffés mais pourtant ivres de sang et de sexe ? Un déferlement de barbarie en point d'orgue qui ramène aux lointaines obscurités moyenâgeuses. Une ‘drôle' d'image de la France ‘colonisa-triste' !

Un court roman à deux têtes, deux narrateurs à la verve populaire qui nous plongent telle une frite dans un bain d'huile, qui dans le quotidien déstabilisant des colons dépités de trouver la rudesse d'un bagne là où ils venaient chercher l'Eldorado, qui dans l'hystérie sanguinaire du bataillon quand auparavant ils n'étaient que de simples gamins ordinaires dans une France des plus banale.

Un paradis perdu pour une population violentée (euphémisme) et soumise par la force et la terreur aux anges de la destruction venus les pacifier, menés par un commandant despotique ne répondant qu'à ses bas instincts primaires et sadiques.

Un western en terres nord-africaines qui joue la carte âpre du réalisme pour nous restituer une page peu glorieuse de notre récente histoire, à mille lieues des images d'Épinal qui voulaient nous faire avaler une colonisation attendue comme une bénédiction par un peuple ignare espérant son divin inspirateur.

Apocalypse now où tares barbares en terres berbères.

La baïonnette au canon de la laideur des atrocités commises sous les funestes auspices d'un état expansionniste et opportunément aveugle aux exactions (euphémisme bis) exigées par des petits chefs que la Mission érigeait en Attila d'opérette, ne fut-ce les rivières de sang répandues et abreuvant les sillons d'une terre aride et pourtant image de paradis.

Un coup de coeur tant pour le récit que pour sa forme, un écrit parlé qui répète à mon oreille captivée mais pas naïve qu'il n'y a pas qu'humanité chez l'homme quand le pouvoir est sa seule motivation pour avancer.

Un petit régal en bonus que le langage haut en couleur du meneur de bataillon devenu grassouillet à monter avec difficulté sur son cheval mais braillant avec verve sur ses troupes asservies et remontées. de la belle ouvrage en vérité  !!

L'enfer au paradis ou une certaine idée de la folie!
 
 
 
 
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« Au nom du droit des colonisateurs venus pacifier des terres longtemps abandonnées à la barbarie », la France du 19e siècle s'implante en Algérie, quoi qu'il en coûte aux colons, attirés par les terres, aux soldats, autorisés à toutes exactions, et surtout à la population indigène massacrée, spoliée et razziée.

La charge anti colonialiste est sévère !
Mathieu Belezi a déjà produit une passionnante trilogie concernant l'Algérie et de sa colonisation française. Il façonne ici un brûlot rageur, violent et intense, où à l'écoute de deux voix (un soldat et une femme) s'expriment les colons et militaires confrontés à la chaleur, au froid, aux épidémies, à la faune sauvage et aux soubresauts bellicistes de la population locale.

Par la cruauté des soldats, les galères sans nom des colons, le propos est presque caricatural mais agresse le lecteur par la véracité des faits historiques en filigrane
Un livre percutant à l'écriture originale, où l'effroi et la folie brisent les destins humains.
Impressionnant !
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