Je ne sais plus par quel heureux hasard, je suis tombé sur cette oeuvre et son auteure. Et j'avoue que cette découverte n'a été que la première d'une belle série.
Soraya Belghazi est, en effet, une babéliote - pseudo "sorayabxl" - qui habite et travaille à Bruxelles et qui a fréquenté le même institut, l'IEP, à Paris, que moi mais des décennies bien plus tard.
Comme j'ai eu l'occasion d'indiquer dans certains de mes billets sur Babelio, le rôle des femmes dans des grands événements historiques reste très souvent inconnu ou scandaleusement sous-exposé. Cela a notamment été le cas avec la révolution d'octobre en Russie, voire ma critique de l'ouvrage de
Jean-Jacques Marie "
Les femmes dans la révolution russe" du 29 mars 2018 et de Francine du Plessix Gray "Soviet Women Walking the Tightrope" du 5 avril dernier.
C'est du pareil ou même en ce qui concerne
les femmes et la révolution belge de 1830, dont à ma grande honte j'ignorais virtuellement tout. Je suis donc content et reconnaissant à
Soraya Belghazi d'avoir choisi ce thème pour un mémoire d'université. L'auteure en a rédigé une version plus accessible dans un ouvrage de 123 pages qui est disponible en version électronique sur Amazon France. Dans un message, l'auteure m'a fait savoir ne pas avoir prévu une édition imprimée, parce qu'elle travaille à une édition augmentée, qui "inclura mon 2e
mémoire sur le mouvement pétitionnaire en 1828-1830".
Comme j'ai perdu la vue de mon oeil droit dans un bête accident de voiture, je ne lis jamais d'e-books qui me sont un brin trop fatigants. Par respect pour le travail original et solide de
Soraya Belghazi et en honneur aux dames révolutionnaires qui ont été au berceau de mon pays en 1830, je fais toutefois de bon coeur une exception.
Pour celles et ceux moins familiers avec l'histoire de la Belgique et comme arrière-plan à l'ouvrage de l'auteure, voici en quelques mots la naissance de cet État. Tous les amateurs d'Astérix savent que selon Jules César les "Belgae" étaient les plus braves des Gaulois. Une qualité qui n'a, hélas, pas empêché à ce peuple d'avoir été occupé par les Autrichiens, les Espagnols et les Français jusqu'à justement 1830. Après Waterloo, au Congrès de Vienne 1814-1815, les Anglais souhaitaient de l'autre côté du Canal un État tampon contre d'éventuelles ambitions allemandes ou françaises, et ainsi ce qui constitue maintenant les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg devenaient un seul État sous contrôle de la dynastie royale d'Orange.
Une grosse bêtise, mais le 7e
Prince de Ligne n'a-t-il pas dit "Le Congrès ne marche pas, il danse" en faisant allusion aux nombreuses activités extra congrès ?
En bonne historienne,
Soraya Belghazi commence par indiquer les raisons de l'absence d'enthousiasme en Belgique pour cet arrangement diplomatique. Elles étaient multiples et de différents ordres : religieux (catholiques versus protestants), linguistiques (Français versus Néerlandais), fiscales et économiques. La crainte du clergé d'une laïcisation poussée, surtout dans l'enseignement, ainsi que l'augmentation des prix des produits de base ont joué un rôle primordial, qui a assuré le support de la population à une minorité bourgeoise agissante.
L'auteure a consciencieusement épluché la littérature volumineuse, tant classique que plus moderne, pour constater que l'aspect genre est virtuellement inexistant. En d'autres mots, pas de femmes à l'horizon de ces journées mouvementées ! Notre historienne a 1000 fois raison - comme aurait dit
Jacques Brel - de s'en offusquer. Elle cite par exemple le cas d'un livre "La révolution belge racontée aux enfants", pourtant de 2005, où parmi les 14 héros ne figure strictement aucune femme !
Cette lacune incompréhensible a apparemment tellement choqué notre historienne qu'elle est arrivée à la conclusion qu'il fallait impérativement recouper 3 types de sources : les articles de presse, les gravures et les témoignages de contemporains. Un travail titanesque, qui implique un nombre invraisemblable d'heures de boulot dans des bibliothèques et archives, mais
Soraya Belghazi n'a manifestement pas peur de grands efforts parce que c'est exactement cela qu'elle a fait.
Pas étonnant qu'on lui ait remis son diplôme d'histoire à l'université du Mans, avec la mention "summa cum laude", soit avec la plus grande distinction, en 2007, et qu'elle soit actuellement la jeune directrice du Conseil international d'auto-régulation de la publicité (en Anglais, "International Council for Ad Self-Regulation") avec son siège proche des institutions européennes à Bruxelles. J'ai rajouté, hier, une photo sur Babelio sur laquelle on la voit en pleine action au printemps dernier.
Le résultat de ses longues recherches, peut être résumé par le titre d'un des chapitres de l'ouvrage les femmes "actrices", une participation limitée mais réelle. Dans ce chapitre, elle distingue les femmes sur place qui y ont participé directement et celles qui, à distance, y ont contribué sur le plan financier et logistique. Les femmes à Bruxelles étaient bel et bien aux premières loges des troubles, comme il ressort entre autres de différentes gravures et témoignages.
Je laisse à l'auteure le soin du récit de ces jours mémorables et du rôle des femmes dans l'indépendance de l'État belge. Soyez sans crainte, son ouvrage se lit facilement grâce à son style, simple et direct, et l'extraordinaire logique dont elle a fait preuve tout au long.
Je termine par une citation perspicace de Mirabeau, que notre
Soraya Belghazi a mis, fort à propos d'ailleurs, tout au début de son ouvrage : "Tant que les femmes ne s'en mêlent pas, il n'y a pas de véritable révolution".