Les chrétiens sionistes forment une communauté de plusieurs millions de croyants aux Etats-Unis. Elle constitue l'un des courants de la religion protestante évangélique qui est devenue depuis une trentaine d'années un pilier essentiel du système politique américain. On sait l'engagement des évangéliques sur les questions de société : la lutte contre l'avortement, contre le mariage homosexuel, contre l'enseignement de la théorie de l'évolution dans les écoles … Dans les relations internationales, ils sont convaincus de la « destinée manifeste » des Etats-Unis et de sa légitimité à intervenir partout où la liberté, surtout celle de croire, est menacée. Ils aiment combattre un « grand Satan » : Staline ou Mao hier, Saddam Hussein ou Ben Laden aujourd'hui. Certains – mais pas tous – sont devenus les plus ardents supporters de la cause sioniste.
Cette « Sainte Alliance sioniste » n'allait pas de soi. Ni pour les chrétiens qui, historiquement, ont pu parfois manifester un antisémitisme latent à l'égard du peuple déicide ou, au mieux, de l'indifférence vis-à-vis du sionisme. Ni pour les juifs dont la géographie et les préférences politiques (ils peuplent les grands Etats démocrates du Nord-est, de la Floride et de la Californie) les tenaient à distance du Bible belt. Mais les uns et les autres ont convergé. En particulier la communauté juive américaine a traversé à la fin du XXème siècle une crise profonde. Elle a pris conscience de son déclin démographique. Et elle a considéré que le soutien enthousiaste des chrétiens sionistes était bon à prendre.
Dans une thèse qui se lit comme un reportage journalistique,
Célia Belin multiplie les grilles de lecture. Se faisant à l'occasion théologienne, elle explique par quels détours ces chrétiens en sont venus à soutenir le retour des juifs en Terre sainte. A l'origine de leur rapprochement, la redécouverte d'une filiation : Juifs et Chrétiens forment le Peuple du Livre. Cela suppose de rompre avec l'augustinisme selon lequel le christianisme s'est substitué au judaïsme dans le dessein de Dieu. Pour les chrétiens sionistes, l'Alliance éternelle passée entre Dieu et le peuple élu n'a en effet jamais été rompue.
Peuple du Livre, les chrétiens fondamentalistes sont convaincus du caractère inerrant de la Bible. Elle leur fait injonction de rétablir Eretz Israel dans ses frontières et de reconstruire le temple de Salomon. le soutien au peuple juif ne relève dès lors plus du libre arbitre mais de l'injonction divine : « Il n'est pas possible de dire « je suis chrétien » et de ne pas aimer le peuple juif » (p. 323). La figure de Cyrus, ce roi perse de l'Ancien Testament qui autorisa les juifs à rentrer à Jérusalem, est récurrente chez les chrétiens sionistes.
Le sionisme chrétien procède enfin d'une troisième cause : la centralité du peuple juif dans la réalisation des Ecritures. L'Apocalypse de Jean, les prophéties d'Ezéchiel et de Daniel font précéder l'avènement du règne millénaire du Christ et l'Enlèvement des chrétiens dans les cieux du retour des juifs en Palestine.
Au-delà de cette présentation théologique très instructive,
Célia Belin narre l'histoire politique du sionisme chrétien. Les effets conjugués de la guerre du Vietnam, de la libéralisation des moeurs et de la guerre du Kippour ont conduit au réveil de la « majorité morale » galvanisée par le prédicateur Jerry Falwell. Préférant paradoxalement un cow boy divorcé à un prêcheur baptiste, elle fait élire
Ronald Reagan contre Jimmy Carter en 1980. Rompant avec le réalisme kissingerien,
Ronald Reagan entre en guerre contre le communisme athée et approfondit la relation avec Israel.
Après un « passage à vide » durant les années Clinton – dont ils dénigrent l'immoralité pendant le Monicagate – les chrétiens sionistes atteignent leur « apogée » avec George W. Bush. Sauvé de l'alcool par sa renaissance à Jésus-Christ (born again) George W affiche sans vergogne sans foi et manifeste un pro-sionisme qui rompt avec la politique de main tendue aux Palestiniens de son prédécesseur. Les attentats du 11-septembre le conduisent à engager une croisade contre l'islamo-fascisme au nom de l'exceptionnalisme américain.
L'élection de
Barack Obama semble porter un coup d'arrêt à la droite chrétienne discréditée par ses excès. Choisie par James Mc Cain pour séduire cet électorat, après la défaite de leur favori, Mike Huckabee, Sarah Palin s'est révélée autant un atout qu'un handicap. Pour autant, on aurait tort de passer la droite chrétienne par pertes et profits. le phénomène Tea party et le succès qu'il a remporté aux élections de mi-mandat de 2010 augurent bien de son avenir.
De ce côté-ci de l'Atlantique, les croyances antimodernistes et la ferveur exaltée des sionistes chrétiens prêtent souvent à sourire. On doit pourtant, avec
Célia Bélin, prendre au sérieux ce mouvement politique qui est devenu un acteur incontournable des problématiques du Proche-Orient. Il leste le conflit israélo-palestinien d'un poids religieux dont il aurait volontiers fait l'économie. Il n'est pas sûr qu'il faille en sourire …