Je commence par une précision : je n'ai pas aimé plus que cela l'esthétique. C'est la seule raison pour laquelle je ne mets pas 5 étoiles. Mais que ceci ne vous empêche pas de lire
The Talk.
Darrin Bell nous entraîne au fil de son enfance, de son adolescence, de sa vie adulte... Jusqu'à ce qu'il soit père à son tour. Il est donc question de transmission, mais aussi de répétition - dont celle des préjugés, des "drames" (ainsi que titreraient des médias), de la reconduction d'un système inégalitaire surtout, jusqu'à sa mise à mal par une réaction civile de grande ampleur, cette "masse critique" à la fois tant attendue et si redoutée.
Bien que la BD soit autobiographique et par conséquent centrée sur la personne de Darrin, il est intéressant de constater qu'on peut naviguer entre différents points de vue au sein d'une même famille (Steven, le frère ainé, pense que Darrin est aussi paranoïaque que sa mère - bonjour déni) ou d'une même génération (un camarade lui assure que tout ça c'était avant, qu'il dit n'importe quoi - ici, c'est plutôt de l'aveuglement). Force est de constater que Darrin, lui, subit constamment le racisme et que nous lecteurs ne pouvons pas nous bander les yeux ni même les détourner.
L'auteur, qui est aussi dessinateur de presse, fait des allusions constantes aux actualités (certains les nommeraient "faits divers"...), aux violences policières notamment. Malgré tout,
The Talk n'est pas un récit cru qui donne à voir l'horreur ; il la suggère en la rendant beaucoup plus touchante et personnelle, mais j'y reviendrai.
D'emblée, on constate que l'enfant qu'est Darrin éprouve une grande peur liée à la police. Ouvrir cette BD à travers des yeux d'enfants montre combien l'incompréhension, l'injustice, paralysent et démunissent. L'analogie des policiers avec les chiens est très parlante visuellement. Cette peur (maîtrisée ou non) sous-tend l'ensemble ; elle est également liée à d'autres personnages que Darrin, qui en sont victimes, témoins ou annonciateurs.
A cette peur viscérale de la police s'oppose la méfiance qui imprègne les autres à la seule vue de leur couleur de peau. La mère de Darrin défend ses enfants bec et ongle, avec raison. C'est la double peine pour eux (de leur point de vue) : à l'injustice du racisme s'ajoute la honte du scandale. Il y a comme la volonté paradoxale de se faire tout petit alors même qu'ils souffrent constamment de cette inégalité.
Les événements médiatiques horribles auxquels l'auteur fait allusion prennent un écho beaucoup plus personnel car il est difficile de ne pas s'identifier. En effet, cette BD nourrit l'empathie du lecteur qui, à travers le point de vue d'un enfant qui grandit et auquel il s'attache, subit la discrimination.
Darrin Bell n'est pas dans la haine pour autant. En grandissant, il traverse beaucoup de questionnements, décortique les mécanismes de la société. "Sa" discussion (
The Talk) avec son fils a un aspect pédagogique qui traverse l'enfant pour atteindre le lecteur.
Peut-être.