Ils voulaient un enfant, ils n'y arrivaient pas. Ou plutôt si, mais l'enfant ne « s'accrochait pas », comme on dit lorsqu'on voit tristement le sang couler alors que le test de grossesse était bon, quelques jours ou quelques semaines plus tôt...
C'est devenu une obsession pour Sarah et Sam, un défi, une course contre la montre, au point de faire l'amour sur le lieu de travail du futur papa au moment de la ponte ovulaire. Au point de s'en remettre aux médecins, et monsieur devra se palucher à la va-vite dans un lieu 'public', une pièce sinistre d'hôpital, devant des DVD et revues, pour recueillir les précieuses gouttes séminales dans un flacon en plastique.
Ça a l'air bon, cette fois, le bébé tient, c'est une petite fille. Comment l'appellera-t-on ? Débat passionné entre papa et maman. Ah oui mais tiens, à l'échographie, à l'amniocentèse, on voit que... peut-être... il se pourrait bien que...
Une pièce surréaliste, grinçante, dérangeante. On y retrouve ses propres inquiétudes ou celles de proches lorsque l'enfant tarde à paraître, et toutes les angoisses qui jalonnent la grossesse.
La voix de la future grand-mère est bien vue, se faisant l'avocat du diable (féministe, entre autres). J'ai reconnu également la froideur médicale.
L'auteur est très doué aussi pour rendre compte du hiatus mère-père lorsqu'il s'avère que l'enfant ne sera peut-être pas aussi parfait qu'on le voudrait, et que la question de l'avortement thérapeutique se pose - d'emblée des différences : la femme, déjà une maman attachée à son tout-petit, l'homme plus pragmatique, plus froid...
Idée de lecture suscitée par la pièce 'Soyez vous-même' (du même auteur), vue sur scène récemment - aussi cruelle, mais cette fois sur les rapports de force entre une recruteuse sadique et une jeune postulante lors d'un entretien d'embauche.
♪♫ https://www.youtube.com/watch?v=--bvxbOwRuQ
(une histoire un peu différente, mais pas tant que ça, finalement...)
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Sam, vendeur de photocopieurs, est un spécialiste de la reproduction d'images sur papier. Côté reproduction humaine, cela marche moins fort pour lui et sa conjointe Sarah, puisque leurs tentatives d'enfanter se sont terminées par des fausses couches. L'assistance du corps médical s'avère nécessaire, et semble même efficace. L'annonce d'une possible malformation du bébé en gestation remet cependant en cause le bonheur enfin entrevu…
A travers l'histoire de Sam et de Sarah, l'auteur nous amène à réfléchir sur la place de la femme dans la société. Il interpelle également sur la décision de donner la vie : s'agit-il d'un geste égoïste dicté par le souhait de devenir parent, ou bien d'un acte de transmission du bonheur de vivre ? Quand les futurs parents savent que l'enfant à venir sera handicapé, la question ne se pose plus exactement en ces termes.
L'auteur use de nombreux artifices narratifs qui confèrent à sa pièce un caractère artificiel qui m'a gêné (flashbacks, parole donnée à un embryon…). C'est dommage car certaines idées et scènes sont plutôt bien vues : le parallèle entre les photocopieurs et la reproduction humaine, la séance de prélèvement de sperme...
Je doute que la mise en scène de la pièce permette de lever mes réticences à son sujet. En effet, la découvrir en la lisant permet de s'attarder sur ses réflexions les plus intéressantes et de parcourir les passages les plus lourds, ce que ne permet pas la version jouée.
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- SARAH : Docteur, dites-moi que ce n'est pas dans ma tête, dites-moi qu'il y a des raisons concrètes, des raisons quantifiables, des raisons scientifiques... Parce que je sais que là-dedans (elle montre sa tête) ça peut tout empêcher de fonctionner, et contre ça, il n'y a pas grand chose à faire. C'est peut-être ma tête qui fait que tout décroche... Ça arrive souvent, l'histoire du couple qui adopte, et tout d'un coup, comme ça, en claquant des doigts, elle tombe enceinte ! Pendant des années, il n'y a pas eu moyen, rien du tout, et comme par hasard, le jour où l'orphelin vient... Bam, ça tombe ! Comme si ce n'était pas assez compliqué d'élever un enfant adopté, il y en a un naturel qui arrive pour le narguer.
- LE DOCTEUR : On verra bien... Moi, je résous les problèmes techniques ; mon domaine, c'est l'embryon, pas les lubies. Je vais vous en fabriquer un qui soit assez solide pour ne pas glisser, c'est tout ce que je peux faire. Monsieur... vous allez vous rendre dans la pièce à côté. Il y a des DVD, des magazines... Je vous laisse faire votre petite affaire ?
- SAM : Ma petite affaire ? Ah ? Oui... (Le Docteur lui tend un petit pot en plastique.) Ma petite affaire, j'ai compris...
- LE DOCTEUR : Les petites graines pour planter dans les choux.
- SAM : Les petites graines pour planter... Je... Je sors ?
- LE DOCTEUR : Vous voulez faire ça ici ?
- SAM : Tout de suite, maintenant ?
- LE DOCTEUR : On a besoin de petites graines, pour déposer dans le chou.
- SAM : Oui, oui, j'ai bien compris. Pardon, je ne m'étais pas dit que ça se passerait comme ça.
- LE DOCTEUR : Vous aviez imaginé quelque chose de plus romantique ?
- SAM : Non, non, non, non, non. C'est vrai. C'est bien comme ça que ça devait se passer. Après tout, c'est évident, rien de plus normal. J'y vais. Je... Je mets ça, dans...
- LE DOCTEUR : Dans cette petite boîte.
- SAM : Une petite boîte en plastique.
(p. 26-27)
- C'est à vous cette petite [handicapée] ? Elle n'est pas bien ici... Il faut la mettre dans un endroit spécialisé. Ce n'est pas bien de la mélanger avec les autres enfants. Vous avez choisi de l'avoir, alors maintenant il faut assumer et ne pas venir déranger les familles qui n'ont rien demandé ! Les enfants ne peuvent pas comprendre. C'est mon rôle de père de protéger l'insouciance de mon fils pour qu'il puisse s'épanouir. Vous n'avez pas à venir mettre vos souffrances sous le nez des autres enfants, ce n'est pas leur problème.
(p. 55)
Côme de Bellescize présente sa pièce 'Eugénie'.