Ce roman est d'une intensité telle que j'ai dû le lire très lentement, jamais plus d'une dizaine de pages par jour et encore…
L'histoire de cet homme est belle. il vient d'être libéré après avoir été pris en otage, maltraité pendant des mois, alors qu'il faisait son métier, reporter de guerre, s'approchant au plus près du conflit pour mieux le décrire, cherchant « La » photographie, pas forcément le scoop mais la photo la plus re
présentative de ce qu'il vit sur le terrain, pour montrer ce qu'est la guerre au quotidien.
Il a survécu, mais à quel prix ; il doit tout réapprendre. Tout ce qui est naturel ce qui se fait sans réfléchir, tout doit être apprivoisé de nouveau et il a du mal à mettre des mots sur ce qu'il ressent. Il est devenu un animal à cause de ses tortionnaires. Il était en mode survie pour résister.
Il a des images plein la tête, mais ne sait pas, ne sait plus (l'a-t-il jamais su ?) mettre des mots sur tout ce qui s'est passé. Il réapprend de façon animale le moindre petit geste, manger, goûter les aliments… Il est concentré sur la saveur du pain. Ne plus jamais s'en lasser. S'en vouloir de juste avaler déjà sans prendre le temps de savourer. Que chaque chose retrouvée s'enracine vraiment. Pour ne plus jamais la perdre. Mais il oubliera. Il le sait. P 77
En rentrant dans la maison familiale, c'est aussi le passé qui refait surface. Et
Jeanne Benameur nous plonge dans les douleurs, les souffrances de chaque protagonistes, nous démontre qu'il y a certes, un otage pur et dur mais à côté, on est tous l'otage de quelqu'un ou d'une situation familiale ou personnelle.
le trio Etienne, Enzo, Jofranka est admirablement bien décrit, étudiant la personnalité de chacun, ses faiblesses, sa façon de survivre car on comprend très vite que ce trio qui a fait un serment sacré d'amitié fidèle est tiraillé entre amour et amitié. Chacun a fuit quelque chose, l'un dans les photographies en zones de guerre, l'autre qui travail de bois et survole la forêt en parapente, la troisième qui s'occupe des femmes victimes de viols comme techniques de guerre.
Tous les trois mais aussi Irène, la mère d'Etienne qui avant d'avoir attendu dans la peur les retours de reportages de son fils, attendait les retours de son marin de mari, et comment elle a pu survivre, en tant que mère, épouse et surtout en tant que femme.
Jeanne Benameur aurait pu nous parler syndrome de stress post-traumatique, résilience… en fait, elle n'emploie jamais ces mots, elle décrit de façon chirurgicale, cherchant constamment le bon mot, celui qui colle le plus à la réalité. Et pourtant, l'écriture est tellement belle que toutes sortes d'émotions nous submergent.
Elle nous parle de réapprivoiser la vie, le quotidien, mais aussi du deuil, de la façon dont on peut avancer dans l'horreur quotidienne. Les mots sont ciselés, sculptés comme Enzo lorsqu'il travaille son bois. On sent les odeurs, celles du sang mais aussi celles du café, on entend les bruits, celui des armes mais aussi celui de l'eau qui coule. Il respire lentement, boit le café. Il se rappelle qu'il aurait tout donné pour une tasse de bon café ces derniers mois. S'en tenir à cela. Boire le café. Sentir l'arôme descendre au fond de lui. P 68
On découvre le poids des mots, l'importance de mettre des mots sur les émotions, pour être au plus près du réel et identifier la souffrance, l'intime. Ces mots qui délivrent, qui permettent de trouver ou retrouver la liberté. le titre du livre, déjà, est extraordinaire. Et enfin, j'ai retrouvé la petite musique de
Jeanne Benameur, la musique des mots, les sons, mais aussi les vertus de la musique pour cicatriser les plaies car notre trio est aussi un trio de musiciens, violoncelle, flûte, piano... et tapi dans l'ombre le poids du silence...
La nature est omni
présente, complices, thérapeute. C'est beau, puissant. C'est « de la belle ouvrage », comme on disait autrefois. Chapeau, Madame
Benameur, votre plume est magique. Vous avez écrit un chef d'oeuvre sur un sujet tellement difficile.
Je pourrais parler de ce livre pendant des heures tant je l'ai aimé. C'est un coup de coeur, le dernier de 2015, comme l'a été chacun des livres de
Jeanne Benameur que j'ai lus jusqu'à
présent. Ce livre m'a accompagné pendant toute la maladie de mon père, et je l'ai terminé après son décès. Au milieu de la lecture, il y a eu les attentats, ce qui a fait encore monter la tension interne ; tout d'un coup, je faisais partie du livre. Il m'a nourrie.
N'hésitez pas, foncez, ruez-vous sur ce livre….
Note : 9,6/10
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