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sur 566 notes
Dans l'avion du retour, Etienne, photographe de guerre, laisse derrière lui une image qu'il n'a pas faite, lui ayant valu d'être pris en otage.

Cette image, il se la remémore : c'est celle d'une mère donnant des bouteilles d'eau à ses enfants, avant de fuir la ville à l'arrière d'une voiture noire. Une mère qui sauve la vie.
Sur le tarmac, une autre mère attend, la sienne, avec ses « soupirs suspendus dans le coeur ».
Mais de son retour de captivité, il laisse surtout une porte entrouverte sur une part d'ombre, qui viendra s'ajouter à une autre part, d'absence celle-là, de son père. L'incomplétude des êtres agit comme un leitmotiv dans ce roman, elle les aimante parfois, à l'instar des amis d'enfance d'Etienne : « La part absente ne peut contenir aucun amour. Chacun d'eux trois avait la sienne et chacun la jouait dans leur trio. »
Absences qui vont parfois jusqu'à s'inscrire dans leur propre itinéraire, comme Etienne lui-même, dont l'ancienne compagne se plaignait d'être prise en otage à cause de ses départs incessants...

C'est cette part d'otage en chacun de nous que Jeanne Benameur questionne, part que nous n'atteignons pas toujours.
Son écriture envoûtante sillonne dans ces zones d'ombre, elle dessine les contours du vide, de l'absence, de l'incomplétude, en creusant les non-dits, les silences indicibles.
Avec en filigrane une autre part d'ombre, essentielle celle-là, que tutoie la mère : « Celle qui a fait naître atteint cette évidence, dans une part opaque d'elle-même. Elle sourit elle pleure de joie et de longue fatigue, autour d'elle on se réjouit mais elle, elle a touché à l'endroit sacré : la vie et la mort ne sont pas unies, elles sont juste jointes, et elle n'aura jamais assez de ses deux mains pour prier. »
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Faut-il accepter qu'il n'y ait aucune refuge ? Nulle part ? Que le doute puisse tout envahir ?

Le douloureux retour à la vie libre de son pays en paix est une gageure pour Etienne, photographe de guerre, regard à l'affût, pour qui le monde s'inscrit sur sa rétine. Après un échange dont il ignore tout et se sent "objet" dérisoire, il retrouve sa mère, Irène, dans son village natal où il peut, dans la solitude de la montagne et du petit torrent, raviver des souvenirs heureux et ceux de sa captivité. Il a besoin de refaire alliance avec son corps.

Il retrouve ses deux amis d'enfance, Enzo l'ébéniste resté au village, qui du haut de son parapente tente d'élargir le confinement d'Etienne et Jofranka, enfant recueillie, devenue avocate des droits de l'homme qui tente de faire témoigner les femmes détruites par les violences des guerres, de leur rendre la parole et un peu de vie.

Tous trois sont liés par la musique. Ils se retrouvent pour honorer le pacte contracté dans l'enfance et rejouent le trio de Weber. Piano, flûte et violoncelle les réunit en une seule voix, celle de l'amitié inébranlable.

Jofranka dit les mots de la détresse des femmes, Etienne vend les photos de la détresse de l'humanité, Enzo travaille le bois comme eux les paroles et les images.

Une seule image d'Etienne n'a pas été imprimée sur la pellicule, il l'a saisie à travers son regard, regard qui se fait mémoire juste avant son enlèvement. Une femme pressée de quitter les lieux de l'horreur avec ses enfants, embarque des provisions d'eau dans une voiture. Que sont-ils devenus ? C'est une question lancinante qui revient comme un mantra tout au long du livre. Poignante et empathique.

Ce livre est un joyau. Les phrases courtes dont chaque mot est essentiel étreignent les sens, serrent la gorge, font vibrer la sensibilité et ont le bon goût de ne pas s'appesantir sur la barbarie.

Etienne restera photographe, non plus de la guerre, mais du monde où il décide d'aller chercher de quoi nourrir l'espérance.

Ode à la vie et à la beauté à travers le jardin d'Irène.
Ode à la fragilité et à la force de chacun de nous à travers les épreuves de la vie.

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Je dois vous avouer que j'ai une relation particulière avec les romans de Jeanne Benameur, presque intime. Cette auteure bouscule les codes, écrit des romans qui nous parlent de nous, mais aussi des livres pour enfants, des pièces de théâtre, des poèmes magnifiques, elle parle quelquefois aussi de sa terre natale, l'Algérie. Bref, le soleil vient dans ses mots perdus et parfois sombres, il y a de la lumière dans ceux-ci, parfois nous les retrouvons plus proches de nous en soulevant simplement les phrases comme des doigts qui effleurent les lames d'un store.
Jeanne Benameur parle de la vie, des vies intimes, forcément des nôtres, sinon pourquoi serions brusquement touchés dans l'effroi du coeur. Ici son roman Otages Intimes pourrait mettre une distance avec le lecteur car le récit nous éloigne de nous pour différentes raisons. Des raisons géopolitiques, des raisons psychologiques. Mais brusquement, nous entrons dans ce roman et comprenons alors pourquoi il est question d'intimité. L'empathie vient aussi parce que le lecteur est invité à se glisser dans les phrases du récit, la géométrie n'est pas toujours affaire de distance. Ici, brusquement nos pas hésitent, trébuchent sans doute encore, éblouis par le chemin qu'il reste à parcourir vers le récit, ce que l'auteure veut nous dire.

Étienne est reporter-photographe de guerre. Lors d'un reportage dans un lieu que le récit ne précise pas, il est enlevé, séquestré durant un temps très long, Combien de fois avons-nous observé des visages d'otages sur nos postes de télévision, visages figés, quasiment anonymes, effroyablement lointains de nos existences ? Malgré la compassion, ils nous ont paru si éloignés de nos vies ordinaires... Lorsqu'ils sont libérés, ils entrent dans cette lumière fulgurante des projecteurs durant quelques instants et puis après, plus rien... Que deviennent-ils ? Que font-ils de ce poids immense de cette captivité qui doit, j'imagine, continuer de peser si lourdement après leur libération ? Comment font-ils avec cela ? Je me le suis souvent demandé...

Plus tard, Étienne est libéré.... Et c'est là que nous entrons dans son histoire, puisque sans nous, point d'histoire. Que serait l'histoire de cet homme libéré, du moins libéré physiquement, si nous ne faisions pas brusquement irruption auprès de lui, l'écouter, écouter les battements de son coeur, regarder ses yeux éblouis qui contemplent la liberté revenue. Nous sommes presque éblouis comme lui.

C'est alors que tout commence peut-être pour Étienne, pour nous aussi. Pour les autres qui sont proches de ce dernier. Il revient au village de son enfance. Et nous aimons d'emblée les siens, notamment ses deux meilleurs amis d'enfance, Enzo, qui travaille le bois, joue du violoncelle et Jofranka, devenue avocate à La Haye, qui aide les femmes victimes de guerre. Lorsqu'ils étaient enfants, ils ont accompli un rite pour « mélanger leur sang ».

C'est un roman à plusieurs voix. Celles-ci nous emportent dans une histoire poignante. Comment revenir à la vie normale après avoir été otage, loin ailleurs, menacé d'être exécuté à chaque seconde ? Comment retrouver plus tard les siens au village le plus intime de sa vie ? N'est-ce pas un chemin pour mieux se retrouver ? Revenir à l'enfance ?

Jeanne Benameur nous amène avec sensibilité à nous interroger sur nos propres existences éphémères et fragiles. Celle d'Étienne est une manière de nous dire cela. L'émotion nous vient brusquement et c'est lorsqu'Étienne convoque l'enfance que nous comprenons l'instabilité sur laquelle, nous pauvres lecteurs, marchons comme sur un fil ténu entre la quiétude et l'impossible.

Nos vies sont éphémères et dérisoires et nous souhaitons les rendre grandes et infinies. Il faut sans cesse réapprendre la vie. Jeanne Benameur nous aide un peu à cela. Par un miracle qui lui appartient, sans doute à cause des mots mais bien plus encore, nous devenons intimes avec les amis d'enfance d'Étienne, avec son enfance, avec son village où il a grandi. Peut-être d'ailleurs avons-nous grandi ici, parmi ceux-là puisqu'ils nous sont devenus familiers. Sinon, comment comprendre que cette histoire nous touche aussi fortement... ? Mais l'acte fondamental du livre, c'est bien ce retour après avoir été otage.

Comment revenir après cela ? Peut-être que, grâce à ce livre, devenons-nous un peu intimes avec nos propres vies...

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"Elle ne sait plus comment soudain elle a senti le poids de son fils.
Il s'est abattu comme un grand oiseau dans ses bras. Sans un mot. Juste un son rauque. Laisser enfin l'air passer.
C'est dans les veines, au secret des poitrines que les mots fous se disent. Rien ne passe les lèvres."

Otages intimes, c'est l'histoire d'Étienne, photographe de guerre. Au cours d'un reportage, il est pris en otage. Où ? Combien de temps ? L'intérêt est ailleurs. le livre s'ouvre sur sa libération. Enfin.

Étienne se retrouve chez sa mère, dans la maison familiale, comme une matrice bienfaitrice. Là, il va essayer de retrouver un semblant de paix intérieur. Ses amis d'enfance, Enzo et Jofranca, ne seront pas de trop sur ce douloureux chemin.

Otages intimes est un livre qu'on lit en prenant son temps. On lit une phrase. On la relit. On fait une pause. Pour en savourer chaque mot, pour en apprécier la moelle. Des phrases courtes mais fortes.

Quand je pense à Jeanne Benameur, c'est un sourire bienveillant qui me vient. Une douceur. Mais aussi une gravité qui ne me semble jamais loin. Une langue qui touche à l'émotion. L'écriture de l'intime.

A lire absolument !

Lien : http://bouquins-de-poches-en..
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LIBRE ! Ce simple mot, tous les otages en ont rêvé.
Etienne photographe de guerre vient de rentrer en France après une longue captivité.
Passé l'effervescence du retour, l'accueil officiel à sa descente d'avion sous le regard des caméras, après les examens médicaux, il faut réapprendre à vivre.
Etienne s'installe dans le village de son enfance auprès de sa mère et de deux amis d'enfance.

« Cette première nuit dans la maison, il ressort seul dans le jardin. Il s'allonge sur l'herbe, essaie de refaire alliance avec la nuit d'ici. Une de ses mains s'enfonce dans la terre. Il est rentré, il est à nouveau dans un monde où rien n'est hostile, où des gens, comme sa mère, consacrent du temps à faire pousser des plantes. »

Peu à peu les souvenirs affluent, le visage de cette femme aperçu au moment de son enlèvement revient indéfiniment, il se souvient de ces longues journées où l'attente de « l'écuelle » était le seul évènement.
Dans un texte d'une infinie pudeur, Jeanne Benameur tente d'expliquer l'inacceptable, l'horreur de la guerre et de la détention et démontre que les ravages causés par la captivité d'un être cher est une blessure à vie pour les proches.
« Derrière les paupières de mon fils il y a l'horreur du monde. Dans cette tête que je caresse, combien de cris perdus, d'appels de paroles brisées, les ruines de tant de vie les ruines, les ruines… mon dieu… comment faire pour vivre dans les décombres… la désolation… et les larmes d'Etienne coulent aussi sur son visage. »
J'ai lu ce texte d'une traite, la gorge nouée, persuadée d'avoir en main un livre exceptionnel qui je l'espère recevra les récompenses qu'il mérite.
Je veux terminer cette critique par une dernière citation, qui m'a particulièrement émue, comme un hommage à ces hommes et ces femmes, reporters de guerre, qui risquent leur vie, chaque jour pour notre incessant besoin d'images.
« La vie n'est sacrée pour personne dans les guerres. On parlera toujours du nombre de tués. Tant qu'on n'a pas vu leurs visages, on ne sait rien.
Et lui il est là pour ça.
Il continuera à regarder les visages.
La vie ne vaut que comme ça. »

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En lisant « les Demeurées », j'ai découvert la plume de Jeanne Benameur que j'ai d'emblée énormément appréciée. Ce roman a permis à l'auteure de recevoir le prix Unicef 2001. Je retrouve la poésie, la profondeur de son écriture dans « Otages Intimes », récompensé lui du prix Libraires en 2016.Etienne est journaliste de guerre, un jour au coin d'une rue, sa vie s'arrête, il est enlevé par des ravisseurs et pris en otage. Emmené dans un endroit inconnu, loin de chez lui, il n'entend parler que dans une langue qui lui est totalement étrangère. Il ne voit pas les visages de ses ravisseurs, n'a aucun contact humain durant des mois et se trouve face à un mur. Et puis, le jour tant espéré arrive, il est libéré.Comment revient-il à sa vie d'avant avec en lui tant de souffrance, de frustration, d'humiliation ?Comment la situation est-elle gérée par les proches, les intimes ?Jeanne Benameur nous livre avec profondeur et pudeur ce que chacun porte en lui. Une grande réflexion est menée autour de l'enfermement, le confinement, l'attente. J'ai trouvé l'introspection de la mère de l'otage très riche, d'une sensibilité très marquée. Qu'a ressenti Irène la mère d'Etienne dans cette attente ? Son petit lui revient et réveille en elle tout son parcours intérieur, elle a aussi été prise en otage dans son intimité, et a vécu cette séparation comme une amputation.C'est avec respect que les rapports humains sont fort bien décrits dans un langage d'une belle délicatesse. Jamais les mots ne prennent vilaine tournure et à aucun moment on ne tombe dans le pathos ou les lamentations.J'ai adoré cette lecture, décidément Jeanne Benameur sait joliment écrire sur ce qui est inacceptable, inconcevable. Tout réside dans la recherche en soi de ce qui, dans chaque événement d'une vie peut nous permettre d'avancer.Un grand Roman.
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Quand un otage recouvre la liberté, rentre chez lui et retrouve les siens, tout n'est pas fini pour autant. La vie ne peut pas reprendre son cours simplement, comme si de rien n'était.
L'expérience vécue a été tellement forte, tellement bouleversante, qu'elle transforme et fait naître des doutes, des interrogations. En fait, c'est toute une vie qui se retrouve chamboulée. Et pas seulement pour l'ex-otage mais aussi pour ses proches. Et chacun est obligé d'aller au plus profond de lui-même, de plonger au plus secret, au plus intime de sa personnalité pour trouver des réponses et la force d'avancer.
C'est à tous ces bouleversements, à tous ces questionnements sur le présent, le passé et le futur que nous assistons. Et par ricochet nous nous interrogeons nous-mêmes.
Quelle lecture sublime ! Tout est beau, du premier au dernier mot. Le début donne magistralement le ton et j'ai constamment été tiraillée entre l'envie d'engloutir ce texte et celle de le déguster par petits bouts, de faire durer le plaisir.
J'ai découvert Jeanne Benameur à travers son roman Les demeurées. le sujet (la misère intellectuelle) m'avait touchée, l'écriture de l'auteur m'avait touchée. Touchée en plein coeur. Et qu'est-ce que c'est bon !
Depuis, j'ai lu Les insurrections singulières, livre moins apprécié, mais aussi Profanes, qui m'a profondément remuée. Et maintenant celui-ci.
Quel talent chez Jeanne Benameur ! Pour le choix de ses sujets et leur mise en valeur par une écriture magnifique. Pour savoir atteindre comme peu savent le faire ce qu'il y a de plus intime en nous. Pour toucher notre sensibilité, notre humanité.
Parce que c'est d'humanité dont il s'agit dans son oeuvre. Et Jeanne Benameur sait comme personne décocher ses petites flèches et nous atteindre en plein coeur. On en redemande !
Beaucoup de membres de Babelio ont écrit qu'Otages intimes faisait partie des livres qu'ils emmèneraient sur une île déserte : comme je les comprends !
Mais je suis plus gourmande encore : j'emmènerais bien Jeanne Benameur avec moi... et tant pis pour les esprits grincheux qui me rétorqueraient que mon île ne serait plus déserte...
Pour finir, je recopie un passage dans lequel Jeanne Benameur nous emmène dans la tête de l'ex-otage.
Étienne a retrouvé son piano chez sa mère et, tandis qu'il joue, des souvenirs lui reviennent en mémoire. Et des images. En particulier celle du mur qu'il avait en face de lui pendant sa captivité.
"Son ventre se serre.
Continuer à jouer. Reconnaître chaque fissure du mur. Son mur. Face à lui. Jour après jour. Là-bas. Et lui assis par terre devant, s'obligeant à étendre une jambe puis l'autre, s'obligeant à soulever un bras puis l'autre, s'obligeant à rester en vie. Rien. Ne plus être rien. Ne plus rien savoir du monde, de personne. S'obligeant à parler à voix haute pour ne pas perdre la langue. Il paraît qu'on peut perdre jusqu'à l'articulation des mots. Peur de devenir une bête. Juste une bête qui attend de quoi se nourrir et tenir en vie, encore. Peur de ne plus jamais pouvoir être un visage face à un autre visage. Peur de devenir un sans-âme un plus rien. Son mur. Face à lui. Continuer à jouer. Et lui cognant une nuit sa tête contre ce mur. Tout seul. Combien de fois ? D'abord doucement puis de plus en plus fort. Juste pour sentir quelque chose. Encore. le sang. Et perdant conscience. Et personne oh personne."
Que dire après ces mots magnifiques ? Rien. Plus rien.
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J'appréhendais une telle lecture, un sujet sur la guerre, l'enfermement, la douleur. J'appréhendais une telle immersion. Je savais que Jeanne Benameur était de ces auteurs dont l'écriture peut m'ébranler.
Dès la première page, j'ai retrouvé le plaisir et les émotions à son écriture. J'ai retrouvé la beauté de ses textes et de ses personnages.
Les variations entre les phrases presque longues à celles plus courtes, brèves, saccadées, parfois jusqu'à uniquement un mot, donnent un rythme émotionnel à notre lecture. Des changements de cadence pour mieux rendre et faire partager le souffle, le rythme d'une respiration, les battements du coeur, les peurs, les états d'âme, les émotions. Des mots qui nous emmènent directement à l'essentiel : les ressentis des personnages qui nous pénètrent et qu'on éprouve à l'état brut, à fleur de peau, sans couche superficielle et inutile. L'effet est immédiat. Nous sommes touchés directement en plein coeur. Au coeur de l'intime.
Etienne, photographe de guerre, a été retenu en otage. Il a vécu l'enfermement, l'isolement qui oppresse, la peur physique, la nuit, le silence, le moindre bruit, la guerre, la violence des hommes…
Libéré, le temps de sa reconstruction, Etienne retourne auprès des siens, dans le village de son enfance. Il y retrouve sa mère Irène, ses deux amis d'enfance Enzo et Jofranka « la petite qui vient de loin », devenue avocate à La Haye. Et parmi les personnages qui gravitent autour de lui, il y a aussi Emma, la dernière femme qu'il a aimé et ceux qu'il a croisé dans ce pays en guerre, d'autres otages, des personnages qui vivent la guerre au quotidien.
Avec le soulagement de sa libération, son retour est, aussi, pour tous, un flux des souvenirs, de leur passé avec lui ou avec d'autres, une introspection de leur relation avec Etienne, mais aussi de leur propre vie, de leur vécu, de leur propre personnalité et caractère.
Ce sont des envies et des besoins différents qui se mêlent et parfois divergent et se confrontent. le besoin de paix, de simplicité pour la mère ; d'aide à la reconstruction, à la lutte, au témoignage pour Jofranka ; le besoin d'être au coeur de l'action, et même de la violence pour Etienne. Il y a ceux qui restent, qui attendent l'autre, qui l'espèrent, qui recherchent une certaine tranquillité, la douceur, le silence de la nature. Il y a ceux qui ont besoin de bouger, de partir, d'une fuite, d'autres vibrations, d'un ailleurs. Il y a l'amour aussi qu'on recherche ou qu'on éprouve différemment.
Dans le roman de Bénameur c'est presque organique, minéral. le coeur de la vie. Car autour de ces personnages, autour de nous, les quatre éléments sont toujours là, présents, nécessaires : la terre (le jardin de la mère), l'air (le parapente d'Enzo, la flute, la musique, notre souffle), l'eau (le père parti en mer, le ruisseau, le sang qui coule), le feu de la guerre mais aussi l'embrasement des corps, qu'il soit brutal ou qu'un simple effleurement, et pour nous, le feu des émotions. Et les arts divers liés ou non à ces éléments : le travail de la terre, du bois, la photographie, la musique, l'écriture, la poésie... Tous autant des refuges, des moments de bien-être, d'instants de solitude ou de contact, de complicité avec les autres, le rappel de notre existence. Oppresseurs, rédempteurs, salvateurs, libérateurs…
Le roman de Jeanne Benameur est d'une beauté évidente, profonde, car à l'état brut, empli de troubles, de sensations, parfois douloureuses, bien sûr, de battements du coeur, de l'âme qui s'émeut. On aime ses personnages, on s'y accroche, on voudrait les étreindre.
On ne referme ce roman à la légère, on n'en ressort pas intact… Nous sommes tous otages de quelque chose. Nous vivons ou avons vécu des blessures différentes, au corps et à l'âme. Ce roman nous plonge dans le questionnement sur notre propre liberté, sur notre enfermement personnel et sur notre conception d'être vivant.
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Photographe de guerre, Etienne a été arrêté lors d'un reportage et gardé en otage. Après sa libération, il part se reconstruire et réapprendre à vivre dans le village où il a grandi, chez sa vieille maman et auprès d'un ami d'enfance.

Guerre, barbarie humaine (combats, viols, tortures...), amour maternel, amitié, défense des femmes détruites, liberté, fuite, vertus thérapeutiques du toucher (les arbres, le bois, les cheveux et les mains de ceux qu'on aime)... Que de belles idées dans ce livre qui ne m'a pourtant jamais émue. J'y ai surtout vu les tics d'écriture de l'auteur ("évidence", "effroi"...), des poncifs, des clichés.

Par exemple ce genre de sentences, censées être à portée universelle, ça m'agace :

• « On se remet de la peur des combats, pas de l'avilissement. » (p. 77) -> Dites ça à un Poilu (ou autre ancien combattant, parce que les Poilus sont tous morts) qui a vu des obus déchiqueter des corps, des visages, qui se demandait quand allait venir son tour...

• « Sous tous les gestes de mère, il y a un soupir. Toujours. Et personne pour l'entendre. Pas même celle qui soupire. Les mères prennent tellement l'habitude de faire et faire encore qu'elles ne savent plus elles-mêmes le soupir suspendu dans leur coeur. » (p. 59) -> Est-ce moi qui ne comprends pas, ou bien ? Je vois aussi beaucoup de sourires et de bonheurs sous les gestes des mères, alors pourquoi ce "TOUS les gestes" et ce "toujours" tellement réducteurs ?

• « Un fils ne sait pas ce que cache le front d'une mère. Il la retrouve telle qu'elle lui est toujours apparue. Forte, paisible, rassurante. » (p. 86) -> C'est vrai que les hommes ne brillent pas toujours par leur sens de l'observation et leur sensibilité, certains peuvent adopter la politique de l'autruche quand ça les arrange, mais quand même, quand leur maman va mal, ils le perçoivent...

Pour faire court : ces 190 pages m'ont paru interminables, les idées et la prose lyrique de Jeanne Benameur m'embarquent parfois (Profanes, Les Insurrections singulières, Présent...), mais pas à tous les coups. Là j'ai trouvé l'ensemble précieux, artificiel, démago, simpliste...

- avis : 2.5/5
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Dans chaque phrase, la vibration, le frisson...Je me suis sentie tendue,tout au long de ma lecture, comme la flèche d'un arc que l'on hésite à laisser s'envoler.

J'ai savouré, mot à mot, l'histoire contée par l'auteur.Je l'ai savourée lentement,les yeux humides, le coeur lourd, pour ne pas en perdre le fil tremblant.

Etienne, reporter-photographe de guerre, a été pris en otage, pour une durée qu'on ne connaitra jamais exactement.Le voilà libéré mais commence maintenant le fragile travail de reconstruction, de délivrance.Car " Depuis, c'est l'entre- deux.Plus vraiment captif, mais libre, non.Il n'y arrive pas.Pas dedans."

Une seule évidence alors: revenir sur les lieux purs,sauvages, de l'enfance.Retrouver le torrent, son eau fraîche qui lave les peines, les collines où marcher, marcher, pour essayer d'oublier.Y puiser la force, l'envie, " inventer le visage neuf des jours neufs."

Retrouver aussi les deux amis avec lesquels il formait un trio magique.Enzo, le maître du bois: " C'était de la rêverie qui entrait dans les veines du bois.Sa rêverie à lui.Lente.Puissante dans le seul bruit de l'atelier." Et Jofranka, qui aide , elle, les femmes rescapées de la guerre et qui reviendra pour lui.

le livre dit admirablement l'ineffable, entre deux silences, la douleur du confinement, qui perdure, même après la libération, l'attente insoutenable aussi des proches, leur épuisement dans cette attente, cet espoir.Le personnage d'Irène, sa mère, digne, pudique dans sa souffrance, est particulièrement magnifique.Il livre le désarroi de chacun face à l'horreur, la violence.

Il nous étreint, nous remue, nous laisse sa trace indélébile et nous confronte à " cette part à l'intérieur de nous que nous n'atteignons jamais.Notre part d'otage."
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