Été 1916, Paris, chaleur, lumière
Ailleurs, la guerre
Vincent 16ans
Marcel 45
Une rencontre mondaine quasi silencieuse mais très éloquente.
Les autres devinent, comprennent.
Marcel est réputé désirer les hommes.
Vincent le sait.
Il accepte la proposition de se revoir.
Marcel, c'est le crépuscule des salons, d'un certain monde en décadence, une fin de quelque chose.
ProustProust ma chère
Vincent c'est l'aube, la jeunesse mais la jeunesse lucide, consciente, avertie.
De courts paragraphes à la première personne du singulier rythment une narration précise ou l'intension résolue du jeune protagoniste ne laisse la place à aucun doute (peut-être est-elle un peu mature pour un jeune homme de 16 ans)
Il est maître de ses décisions, de son engagement comme de son destin.
Aucune ambiguïté ! Aucune.
Arrive Arthur, 21 ans.
C'est le fils d'une domestique de l'aristocratique père de Vincent. Il est poilu en permission pour une semaine après deux années au front. Il avoue une longue obsession amoureuse secrète pour lui, Vincent.
C'est la découverte.
Deux jeunes corps de deux jeunes hommes de conditions différentes qui s'enlacent, s'étreignent et s'emboîtent dans les confidences guerrières du combattant rompu et tourmenté.
Marcel toujours est là qui manigance et invite Vincent.
Vincent oscille entre l'âme érudite de Marcel et le corps érotique de Arthur.
Equipage à trois, équipage étroit qui s'ignore dont le pivot est un jeune homme de 16ans qui abandonne son innocence et s'abandonne en toute innocence.
Grâce à ces deux duos dont les dialogues restitués son encadrés de je dis, tu dis ou vous dites, Besson s'attache à nous dresser un portrait intime du Marcel qui fane en continuant de fréquenter les salons aristocratiques qui vont bientôt sombrer dans la désuétude et un brûlant brûlot contre la guerre qui massacre les jeunes corps vaillants des jeunes soldats qui ne demandaient qu'à en jouir comme le fait le jeune Vincent jusque là épargné.
Deux salles, deux ambiances.
Des réflexions sur le temps passé mais que l'on recherche éperdument à faire perdurer et sur la jeunesse qui déroule devant elle un tapis rougi parfois du sang de ceux qui ne pourront pas le fouler.
Entre deux jouissances et ses coups de semence, l'ombre de la guerre et ses coups de semonce. Vivre pleinement si l'on doit périr jeune et ne jamais devenir une forme avachie sur un sofa du siècle d'avant.
Un superbe écriture à la fois moderne et surannée qui utilise le mot virtuel dont l'existence en 1916 me surprendrait.
Comme dans un journal intime qui restituerait les échanges partagés soit avec le grand auteur cérébral soit avec l'ardant soldat amant, le texte aborde divers sujets dont la filiation, la création littéraire, le rapport à la célébrité, la peur de la mort, la transmission, l'orientation sexuelle …
Sensé être écrit par le narrateur de 16ans, ce journal révèle un jeune homme certes très mature, décidé, conscient de sa différence et de ses origines mais également hautain, fat et qui porte un jugement sans appel sur la société dont il profite.
Puis vient la séparation, viennent les séparations, qui dans sa Normandie natale qui sur le front qui pourrait l'engloutir.
Le roman change soudain de braquet et c'est un bien, l'ennui aurait fini par gagner.
De journal intime il devient recueil épistolaire. Ce sont les courriers échangés qui nous sont donnés à lire ou la personnalité du narrateur se fait plus complexe, moins catégorique qu'on ne l'avait perçue précédemment, plus en accord avec son âge.
Des lettres d'amour où point le désespoir et la passion contrariée comme des demandes de conseil à l'aîné dont l'expérience supposée devrait aider à supporter et l'absence et l'effroi que la divulgation de son amour interdit pourrait provoquer, sa liaison dangereuse.
Le verbe aussi évolue parce qu'écrit, réfléchi, formulé pour être lu.
Cette fois l'auteur prête directement à
Proust ce que Vincent rapportait de Marcel.
Le style se doit d'être compatible et il y parvient à mon sens bien que n'étant pas familier ‘d'à la recherche du temps perdu', au moins fait-il illusion.
Puis les échanges cessent et s'ouvre le dernier court chapitre qui sera celui de la révélation, celle d'un secret qu'on n'aurait imaginé, un dernier chapitre en forme de trait d'union qui scelle à jamais ce trio qui jamais ne s'est formé, qui soude ces protagonistes qui ne se seront côtoyés que deux à deux et que seul Vincent trimballera dans la vie de solitude qu'il se promet de vivre.
Baissons chapeau à Philippe qui a su me captiver pour ce troisième roman de lui que je termine ici.
J'ai pu me lasser par moment, trouver la forme prendre le dessus sur le fond, estimer trop prégnant l'exercice littéraire en lui lui-même, regretter que l'auteur se cache derrière certains propos qu'il prête à d'autres, pourtant je finis admiratif du magnifique travail ici livré qui se sert d'une autre époque et d'autres moeurs pour analyser la notre, les nôtres et constater que finalement, malgré ce que l'on peut en dire, les choses n'ont pas tant changées que cela et que son personnage principal, même s'il m'a agacé parfois, est un bel exemple de modernité et de briseur de tabous.
Reste le titre qui, pour moi, demeure un mystère.