Nazis dans le rétro
L'album reprend là où le précédent s'arrêtait. Nous sommes à l'été 1944 à Lyon au moment où la police française se rend au domicile de Katarina qui a été dénoncée par sa concierge bienveillante. Échappant de peu à une arrestation, elle va se cacher en attendant la fin de la guerre. Mais si les Allemands s'en vont, les résistants de la 25ème heure apparaissent…
Pendant ce temps, en Allemagne, Martin assiste au partage du pays entre alliés. C'est le temps de la misère dans un pays en ruine, où là aussi, les comptes se règlent.
Ce 9ème volume de la série Amours fragiles s'intitule Crépuscule, mais il aurait pu s'appeler tout aussi bien Aurore, car il évoque également la difficile renaissance d'une Europe sonnée par cette épouvantable parenthèse.
Ceux qui ne connaitraient pas cette saga entamée il y a…25 ans (le 1er volume date de 1997), ont bien de la chance. Ils vont pouvoir se plonger dans une série extraordinaire, sans les affres de l'attente.
Car Amours fragiles est une totale réussite et sans doute une des plus belles BD traitant de cette période.
Ici, pas de reconstitutions spectaculaires, pas de descriptions de batailles héroïques sous des déluges de fer et de sang, pas de visions d'enfer concentrationnaire.
L'intelligence du récit consiste en son parti-pris de visiter les années de montée du nazisme et les ravages de la guerre, à hauteur d'individu, par les yeux de Martin, un jeune allemand ordinaire. Amoureux de Katarina, sa voisine juive, il ne se laisse pas happer par le contexte de son pays s'offrant progressivement à l'ogre nazi, mais subit, sans se révolter pourtant ouvertement. Il s'efforce de rester fidèle à sa conscience et à son éthique, tandis que le monde s'effondre. Étranger dans son propre pays. Ni héros, ni salaud.
Ces deux personnages vont se trouver ballotés par le vent de l'Histoire qui, et c'est une des forces de la série, reste toujours en arrière-plan sans être ponctuée de repères précis avec tel ou tel évènement connu. Rien n'est réellement évoqué dans le détail et pourtant, la reconstitution historique est impeccable.
Amours fragiles est une série miraculeuse sans superhéros et avec peu d'action, qui aurait pu disparaitre à plusieurs reprises (près de 10 ans entre les 2 premiers albums !).
Sa durée repose sans doute sur l'intelligence et l'humanité du scénario de
Philippe Richelle, mais également sur le dessin délicat de
Jean-Michel Beuriot qui n'a cessé de progresser au fil des ans. La combinaison des deux talents a porté ses fruits et l'entreprise s'achève aujourd'hui sur ce dernier opus, sorti quasiment dans la foulée du précédent, avec une pagination conséquente (72 pages).
Une oeuvre majeure.