Bonne synthèse malgré quelques erreurs d'inattention (Staline n'est pas né en 1879 mais en 1878 contrairement à ce qui est prétendu p. 72).
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La grandeur de Mao, il ne faut pas la chercher dans ses écrits, mais dans ses actes. La valeur de sa pensée elle-même est étroitement liée à son caractère pratique. Elle reflète et prolonge ses problèmes quotidiens ; sans eux, elle n’a pas de substance. En ce sens, marxiste de la meilleure race, qui se méfie du « ciel et des idées » et d’une doctrine qui ne serait pas en même temps un « guide pour l’action ». « Le marxisme-léninisme, rappelle-il aux intellectuels du parti (en 1942), n’a point de beauté, ni de valeur mystique, il est simplement très utile. » Et il ajoute, à l’intention de « tous ceux qui considèrent le marxisme-léninisme comme un dogme religieux » : « Votre dogme est vraiment moins utile que de la merde. Nous voyons que la merde des chiens peut enrichir les champs, et que la merde humaine peut nourrir les chiens. Et les dogmes ? Ils ne peuvent ni enrichir les champs, ni nourrir les chiens. A quoi servent-ils ? »
Lorsque nous insistons sur la part prépondérante de l’homme d’action chez Mao, faut-il préciser qu’aucune arrière-pensée dépréciatrice ne nous anime ? Nous cherchons à comprendre un personnage historique. Et à découvrir, à travers lui, l’originalité d’une révolution. Mao est cet homme qui achève à vingt-cinq ans ses études à l’école normale(1) ; qui découvre les rudiments du marxisme deux ans plus tard, à l’âge où Trotsky écrit Bilans et Perspectives ; de même qu’il avait entendu, pour la première fois, parler de l’Amérique à dix-sept ans et lu son premier journal à dix-huit ans, en arrivant dans la capitale de sa province. On ne prouve pas l’impossibilité, pour un homme, d’apporter une contribution théorique importante, en excipant du caractère tardif ou incomplet de sa culture. Aussi bien notre propos est-il plus modeste et plus massif à la fois. Nous voudrions suggérer, en rappelant quelques énormes vérités, une situation qui se laisse d’autant plus difficilement imaginer qu’elle est aux antipodes de notre expérience, douillette et soignée, d’intellectuels occidentaux.
(1) D’un niveau un peu supérieur à nos écoles normales primaires. (pp. 138-139)
Quels qu’aient été les seuls arrière-pensées et les sentiments véritables des uns et des autres au cours de la guerre nationale, puis de la guerre civile, l’évidence s’impose ; c’est la Révolution, et elle seule, qui accomplit le nationalisme. Le communisme a exploité le nationalisme pour triompher ? Certes. Mais il faut se hâter d’ajouter : c’est par le communisme que le nationalisme triomphe. Les véritables nationalises chinois ne reprochent pas aux communistes leur tour de passe-passe : ils leur en sont reconnaissants. Interrogeant les intellectuels chinois émigrés en France, originaires pour la plupart de familles de lettrés et de notables, hier classe dirigeante de l’ancien régime, aujourd’hui « ennemis du peuple ». Beaucoup d’entre eux préfèrent Pékin à Taïwan, la Chine d’aujourd’hui à celle d’hier : la République populaire, c’est leur fierté. Aucun parmi eux, que les explosions nucléaires du Xinjiang (Sinjiang) ne comblent d’orgueil. Pour la première fois depuis leur enfance, la Chine est nation indépendante, respectée, crainte. Voilà qui pèse plus dans leur choix que l’orientation sociale et idéologique du régime.
Dans les faits, le communisme chinois, c’est d’abord la revanche du nationalisme chinois. Nationalisme dont la santé éclate : agressif autant que vigoureux, aussi sommaire qu’il est profond. Et c’est bien naturel : classes ou peuples, comment imaginer autrement le triomphe des opprimés ? (pp. 264-265)
Emmanuel Lincot présente le livre de Lucien Bianco : "la révolution fourvoyée"