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EAN : 9782721000415
326 pages
Editions des Femmes (30/11/-1)
4.12/5   8 notes
Résumé :
Réédition 1993, augmentée d'une postface
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Le succès des ateliers d’écriture imposait la réedition de cet ouvrage publié une première fois en 1976, et qui a fait école...

Elisabeth Bing a choisi pour titre de son ouvrage l’expression enfantine petit François à qui l’écriture, labyrinthe mortel pour celui qui ne trouve pas sa voie, aura fini par apporter la paix ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Pionnière des ateliers d'écriture en France, Élisabeth Bing ne propose pas ici de « méthode » pour faire des ateliers. Elle préfère mettre en acte dans son écriture les principes anti-scolaires qui sont à la base des ateliers d'écriture : refuser l'écriture rationnelle et prétendument scientifique (scolaire) pour une quête de soi dans l'écriture. le but du livre n'est pas de décrire scientifiquement des techniques pédagogiques, mais de faire de cette expérience un sujet d'écriture créative en soi, errance questionnante sur l'enseignement, sur l'écriture et ses représentations, de soi, de l'enfant, sur les blocages et les possibilités d'écrire le monde avec des mots imposés…

Lorsqu'elle propose un sujet libre à ses élèves, Élisabeth Bing se rend compte du piège de cette prétendue « liberté ». Habitués à répéter au professeur ce qu'il a énoncé pour éviter les erreurs, ses élèves ne lui présentent que des platitudes et clichés, à l'opposé d'une écriture libre. Pour de nombreux élèves, l'obstacle principal au plaisir de l'écriture n'est pas la faiblesse des compétences en écriture/lecture, mais au contraire la trop grande emprise d'une langue scolaire et de ses normes, qui, au lieu d'être un outil pour apprendre, réfléchir et s'exprimer - pour transcoder leur parole -, ne leur paraît être qu'un obstacle, une matière rigide et inexpressive, sans saveur… une espèce de corset désagréable et démodé. Bing parle de "torture" quant à l'exigence de respect des normes écrites françaises. On parle plus couramment d'« insécurité linguistique » pour qualifier cette obsession bien française des normes orthographiques, grammaticales ou lexicales (on dit pas... on dit... !), obsession qui exerce une pression terrible sur tout scripteur en difficulté, source d'inhibitions, d'auto-censure, de malaise et de dégoût de l'écrit…

C'est ainsi que, de manière symbolique, la première consigne typique des ateliers, qu'on retrouve ici, est « l'orthographe m'indiffère », choquante pour les adultes et déjà surprenante pour les enfants. Pourtant, cette consigne qu'on pourrait croire uniquement adaptée à un contexte spécifique (hors de l'école normale), est approuvée et même revendiquée par Dominique Bucheton dans Refonder l'enseignement de l'écriture, justement pour le contexte scolaire. le souci des normes n'est pertinent qu'à la finalisation du travail (à la mise au propre), non pour le brouillon : la veille orthographique ou respect des normes de vocabulaire, de grammaire… surtout chez des jeunes scripteurs, est une charge cognitive bien trop importante, et tend en conséquence à restreindre les autres fonctions de compréhension, de réflexion, de mobilisation des connaissances, d'organisation de la pensée, etc.

Cette mise à l'écart du scolaire traditionnel se poursuit dans les changements des postures de l'apprenant (sortie de la classe, fin de la position statique, voix haute, cris…) et de l'enseignant (aide, dictionnaire, investissement sensible dans les textes… – la question de la participation à l'atelier n'est pas loin), mais aussi dans la production écrite qui se faisait en classe utilitaire par rapport à un texte étudié mis en valeur, et qui en atelier devient l'objectif premier, les lectures servant ce but. On trouve un tel renversement dans les pédagogies alternatives : passer de l'élève comme récepteur passif et répétiteur d'un savoir dominateur à l'apprenant acteur ayant pour but d'agir, les textes et l'enseignement devenant des aides (cf. le Maître ignorant). Dominique Bucheton théorise tout autant ce renversement, l'étendant même à toute discipline d'enseignement : dans toutes les matières, c'est l'écriture comme outil servant à l'action d'un individu dans la société qui doit être le moteur de l'apprentissage (c'est-à-dire que les objets d'apprentissage que sont l'histoire, la musique, la biologie, doivent être avant tout des occasions pour l'apprenant de perfectionner ses capacités d'expression et d'interaction).

Mais le procédé des ateliers d'écriture semble aller plus loin encore. Car l'objectif paraît être de faire de chaque enfant un écrivain en herbe (la promenade inspirante rappelle celle proposée par le symboliste Gourmont dans la préface de Couleurs ; le gueuloir est bien-sûr la technique de Flaubert ; le calligramme celle d'Apollinaire, l'énumération celle de l'Oulipo…). L'exigence radicale de Bing (que pas un mot ne soit écrit qui n'ait été senti), est celle de l'écrivain styliste. Comment concilier celle-ci avec l'usage très ordinaire de la langue scolaire, l'usage attendu ? On pourrait en ce cas questionner la pertinence de l'étude des textes littéraires d'auteur : premièrement, ce sont des textes souvent expressifs et loin de l'usage ordinaire scolaire ; deuxièmement, à quoi bon étudier des textes littéraires si c'est pour ne pas les imiter ? La chanson invite à chanter. le poème lu à écrire son poème… - Mais tous les enfants ne peuvent prétendre à devenir écrivains !? Il est étrange de voir que la littérature est déclarée si fondamentale dans l'éducation, et de voir au contraire sa place dans la vie sociale restreinte à de petites historiettes divertissantes... Faire de la littérature, c'est bien autre chose que raconter une histoire... Ce pourrait être quelque chose comme user des pleins potentiels de la langue pour agir sur le monde. Si l'on suit Bing, il est rigoureusement impossible (d'où l'échec scolaire) de prendre goût à la maîtrise de la belle langue (c'est-à-dire dans sa norme haute, telle qu'on la voudrait enseigner) sans viser un usage de la langue où le souci du style a sa place, c'est-à-dire une pratique littéraire de l'apprenant. Peut-être ce serait une bonne chose d'entrer dans une civilisation où chaque individu participerait à la vie intellectuelle et artistique ?

Quels types de déclencheurs de l'écriture ?
Suite, résumé et citations sur le blog.
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Péril dans l'écriture, p. 210
Le déclenchement d’une écriture motivée par le mythe les mettait en contact direct avec une matière violente, interdite, qui ne demandait qu’à affleurer. Si un enfant ne parle pas du joli et joliment, on lui dit horrifié qu’il dit des bêtises. À travers les créations du mythe c’est leur monde inconscient qui est sollicité. l’écriture du labyrinthe est l’écriture du rêve éveillé. Son intérêt, la prise de pouvoir sur ce monde intérieur qu’il déclenche, l’accession vers le dehors d’un dedans qu’il ignore. Et la maîtrise de ce monde par l’écriture. La relation entre le dehors et le dedans est motivée de façon évidente et on ne peut plus suggestive par le labyrinthe. […] C’était une fois encore leur faire courir le risque d’un plaisir né de leurs peurs. Que les dames patronnesses se scandalisent ! j’ai toujours essayé de les entraîner dans cette sorte de « danger » ! La douceur de quelques éducateurs alentour fut choquée par mes tentatives « barbares », on me mit quelque peu en quarantaine et C. me dit : « Quelle horreur, envoyer des gosses dans des labyrinthes, à moi rien ne ferait plus peur ! ». Mais il se trouva que les enfants préféraient ce genre d’aventure à toute autre ; moins engagés dans le confort moral le risque d’impossible et de mort qui se jouait dans le labyrinthe et qu’ils découvraient pouvoir vivre par l’écriture les stimulait. Maurice M. à l’intérieur du souterrain ne s’était pas épargné. Il vint me voir très inquiet me disant : « Je ne peux pas te le finir ton labyrinthe je pourrais t’écrire tout un livre. » Je lui tendis alors la source même du mythe : le fil d’Ariane… et la semaine suivante il sortit victorieux de son engouffrement. Quelque chose de réel se jouait dans leur texte. Concernés presque physiquement, il y avait péril de mort dans l’écriture et ce péril érotisait leur plume, délivrait leur plaisir. Ils avaient perdu le goût du simulacre : le mensonge d’écrire un texte pour emplir l’espace du devoir. Impliqués de la sorte, les enfants s’écrirent sur la page, et souvent y crièrent.
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On lisait parfois mes rédactions en classe, car j'avais vite appris le mensonge et la nécessité d'une rouerie intelligente... "Et le soleil se jouait dans les grands arbres roux" De ces phrases entières - les pompeuses métaphores dont ils semblaient friands - je chargeai ma mémoire pour une heure afin de flatter la gourmandise qu'ils avaient d'eux-mêmes. J'écrivais exactement comme on avait envie que j'écrive.

Mais un jour j'osai écrire à propose du lavoir de village qu'il régnait autour de lui une "certaine" odeur de lessive... Je savais pour ma part très exactement ce que portait "certaine", un trouble, c'était déjà la sensation d'une odeur qui vous renverse érotiquement, le mélange des brumes froides de l'Est et d'une tiédeur ensavonnée, dont l'institutrice immédiatement me castra en m'accusant d'incorrection. Anodin-vitriol. Je m'étranglai sous leur désir.
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la faute d'orthographe est par excellence le support - ou, plutôt le suppôt- de la norme. Damnation, exclusion de celui à qui l'orthographe n'est pas naturelle...
J'ai observé qu'étrangement les enfants qui s'étaient laissé imposé l'orthographe sans grincement et sans stridence, tout naturellement, composèrent des textes moins fatigants, certes, mais moins écorchés de vérité,moins intéressants souvent que ceux dont l'orthographe était plus personnelle! Une lutte dans ce domaine leur ayant été épargnée, il fallut, pour les trouver, déconditionner leur satisfaction. N'ayant pas souffert d'un problème d'écriture de façon assez cuisante, ils n'avaient pas pris conscience de la difficulté d'écrire et écrivaient facilement. Ils se trouvaient également enfermés dans les métaphores prêtées par le style adulte beaucoup plus régulièrement que leurs confrères les révoltés. Cela coulait de source, coulait en effet dans les lits de rivières tracés d'avance.
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Défendre ses mots, p. 51
Je présentai aux enfants mes corrections comme un premier élagage d’un travail que seuls ils pourraient accomplir. Les mots employés étaient les leurs, je leur proposai de les défendre. Ce retour sur un texte écrit au hasard allait leur faire apparaître leurs mots comme des êtres vivants, comme des prolongements d’eux-mêmes. Ce travail de retour allait les conduire à une reconnaissance de leurs possessions, à l’agrandissement de leur territoire. Demandez-vous pourquoi vous avez écrit ce mot-là plutôt qu’un autre, pourquoi l’avez-vous choisi, ce n’est jamais sans raison, sans doute l’aimez-vous. Je leur parlai du sang de l’encre qui est le sang de leurs veines. Silencieux, leur regard restait posé sur moi. Médusation. Silencieux. Étonnés. Si vous ouvriez vos veines pour écrire, votre écriture serait-elle indifférente. Faîtes comme si l’encre de la plume était ce sang. D’un exercice d’ennui vous ferez un exercice de passion, et lorsqu’à nouveau vous poserez votre plume sur la page pensez à ces choses, il faut que ce soit votre vie même qui s’inscrive là sinon quel temps avez-vous pour le perdre ? Soyez curieux de votre image, soyez-le narcissiquement, impunément, effrontément. Penchez-vous sur ces traces de vous-mêmes, abandonnées dans une première indifférence, viendra un jour où votre écriture deviendra plus proche de vous, nous en trouverons ensemble le chemin.
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Écrire une promenade, p. 106
Faire sortir les enfants de la classe, tenter de les aider à entendre, leur apprendre la voix réelle du dehors, celle qui est la plus proche. Écoute directe d’une voix infinie, et infiniment dire cette voix pour se calmer, pour conjurer le malheur de mentir en parlant abusivement des choses, en les « mal nommant » (comme le dit Roland Barthes), en les « traduisant » par des figures figées, où elles meurent, momifiées. Non plus le clinquant dégoulinent d’une fausse nature où couaquent des oiseaux empaillés. Vous vous installerez tranquillement dans un coin, vous ferez silence – vous ferez longuement silence afin que les bruits de votre propre installation s’apaisent et que se calme votre propre agitation – vous verrez alors que vous aurez la sensation de pénétrer plus loin dans le silence, comme dans un endroit dont vous écarterez peu à peu les branches pour en découvrir la clairière. Votre oreille deviendra de plus en plus ouverte… Vous verrez alors qu’une chose inattendue se passera si toutefois vous vous donnez le moyen d’aller assez loin dans le silence. Alors nommez tout ce que vous entendez, écrivez-le sans vous soucier d’organiser un texte, n’inventez pas, écrivez… Il suffit de nommer.
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