Pionnière des ateliers d'écriture en France, Élisabeth Bing ne propose pas ici de « méthode » pour faire des ateliers. Elle préfère mettre en acte dans son écriture les principes anti-scolaires qui sont à la base des ateliers d'écriture : refuser l'écriture rationnelle et prétendument scientifique (scolaire) pour une quête de soi dans l'écriture. le but du livre n'est pas de décrire scientifiquement des techniques pédagogiques, mais de faire de cette expérience un sujet d'écriture créative en soi, errance questionnante sur l'enseignement, sur l'écriture et ses représentations, de soi, de l'enfant, sur les blocages et les possibilités d'écrire le monde avec des mots imposés…
Lorsqu'elle propose un sujet libre à ses élèves, Élisabeth Bing se rend compte du piège de cette prétendue « liberté ». Habitués à répéter au professeur ce qu'il a énoncé pour éviter les erreurs, ses élèves ne lui présentent que des platitudes et clichés, à l'opposé d'une écriture libre. Pour de nombreux élèves, l'obstacle principal au plaisir de l'écriture n'est pas la faiblesse des compétences en écriture/lecture, mais au contraire la trop grande emprise d'une langue scolaire et de ses normes, qui, au lieu d'être un outil pour apprendre, réfléchir et s'exprimer - pour transcoder leur parole -, ne leur paraît être qu'un obstacle, une matière rigide et inexpressive, sans saveur… une espèce de corset désagréable et démodé. Bing parle de "torture" quant à l'exigence de respect des normes écrites françaises. On parle plus couramment d'« insécurité linguistique » pour qualifier cette obsession bien française des normes orthographiques, grammaticales ou lexicales (on dit pas... on dit... !), obsession qui exerce une pression terrible sur tout scripteur en difficulté, source d'inhibitions, d'auto-censure, de malaise et de dégoût de l'écrit…
C'est ainsi que, de manière symbolique, la première consigne typique des ateliers, qu'on retrouve ici, est « l'orthographe m'indiffère », choquante pour les adultes et déjà surprenante pour les enfants. Pourtant, cette consigne qu'on pourrait croire uniquement adaptée à un contexte spécifique (hors de l'école normale), est approuvée et même revendiquée par
Dominique Bucheton dans
Refonder l'enseignement de l'écriture, justement pour le contexte scolaire. le souci des normes n'est pertinent qu'à la finalisation du travail (à la mise au propre), non pour le brouillon : la veille orthographique ou respect des normes de vocabulaire, de grammaire… surtout chez des jeunes scripteurs, est une charge cognitive bien trop importante, et tend en conséquence à restreindre les autres fonctions de compréhension, de réflexion, de mobilisation des connaissances, d'organisation de la pensée, etc.
Cette mise à l'écart du scolaire traditionnel se poursuit dans les changements des postures de l'apprenant (sortie de la classe, fin de la position statique, voix haute, cris…) et de l'enseignant (aide, dictionnaire, investissement sensible dans les textes… – la question de la participation à l'atelier n'est pas loin), mais aussi dans la production écrite qui se faisait en classe utilitaire par rapport à un texte étudié mis en valeur, et qui en atelier devient l'objectif premier, les lectures servant ce but. On trouve un tel renversement dans les pédagogies alternatives : passer de l'élève comme récepteur passif et répétiteur d'un savoir dominateur à l'apprenant acteur ayant pour but d'agir, les textes et l'enseignement devenant des aides (cf. le Maître ignorant).
Dominique Bucheton théorise tout autant ce renversement, l'étendant même à toute discipline d'enseignement : dans toutes les matières, c'est l'écriture comme outil servant à l'action d'un individu dans la société qui doit être le moteur de l'apprentissage (c'est-à-dire que les objets d'apprentissage que sont l'histoire, la musique, la biologie, doivent être avant tout des occasions pour l'apprenant de perfectionner ses capacités d'expression et d'interaction).
Mais le procédé des ateliers d'écriture semble aller plus loin encore. Car l'objectif paraît être de faire de chaque enfant un écrivain en herbe (la promenade inspirante rappelle celle proposée par le symboliste Gourmont dans la préface de Couleurs ; le gueuloir est bien-sûr la technique de
Flaubert ; le calligramme celle d'
Apollinaire, l'énumération celle de l'
Oulipo…). L'exigence radicale de Bing (que pas un mot ne soit écrit qui n'ait été senti), est celle de l'écrivain styliste. Comment concilier celle-ci avec l'usage très ordinaire de la langue scolaire, l'usage attendu ? On pourrait en ce cas questionner la pertinence de l'étude des textes littéraires d'auteur : premièrement, ce sont des textes souvent expressifs et loin de l'usage ordinaire scolaire ; deuxièmement, à quoi bon étudier des textes littéraires si c'est pour ne pas les imiter ? La chanson invite à chanter. le poème lu à écrire son poème… - Mais tous les enfants ne peuvent prétendre à devenir écrivains !? Il est étrange de voir que la littérature est déclarée si fondamentale dans l'éducation, et de voir au contraire sa place dans la vie sociale restreinte à de petites historiettes divertissantes... Faire de la littérature, c'est bien autre chose que raconter une histoire... Ce pourrait être quelque chose comme user des pleins potentiels de la langue pour agir sur le monde. Si l'on suit Bing, il est rigoureusement impossible (d'où l'échec scolaire) de prendre goût à la maîtrise de la belle langue (c'est-à-dire dans sa norme haute, telle qu'on la voudrait enseigner) sans viser un usage de la langue où le souci du style a sa place, c'est-à-dire une pratique littéraire de l'apprenant. Peut-être ce serait une bonne chose d'entrer dans une civilisation où chaque individu participerait à la vie intellectuelle et artistique ?
Quels types de déclencheurs de l'écriture ?
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