Femme
L'orchidée se suicide entre tes doigts.
L'océan meurt de te lécher les hanches.
Pourquoi séquestres-tu, au fond de toi,
mon squelette habillé d'abeilles blanches ?
Tu vends mon équateur comme un collier
de fruits pourris. Je suis un coquillage
pendu sur ton sein droit. Quels écoliers
choisiras-tu pour tes leçons d'outrage ?
Tes mots sont lourds, ils sont gavés de sang.
Ta fable est illettrée. Prends ta cravache,
et venge-toi de mon verbe impuissant.
Femme, en ta chair, c'est sur moi que je crache.
p.129
QUEL ROYAUME OUBLIÉ ?
8
Je ne sais pas ce que cela veut dire :
aimer la terre, aimer le ciel trompeur,
aimer l'orage, aimer la jeune chair
plus navigable qu'une étoile, aimer.
Je ne sais pas ce que cela veut dire :
haïr une gazelle qui grelotte,
haïr comme un sorcier le vieux soleil
qui déshérite l'équateur, haïr.
Aimer, haïr, ce sont des paroles d'homme,
et moi je suis un être élu des dieux :
tournesol au matin, sable à midi
et, vers le soir, une araignée heureuse.
p.34
Sable
Au lieu d'une cigogne, un mille-pattes.
Au lieu d'une montagne, un bateau mort.
Au lieu d'une île, un chapeau d'acrobate.
Au fond du cœur, un vieux puma qui dort.
Dans chaque fable, un fleuve qu'on torture.
Buisson, buisson, tu ne m'a rien appris.
Toucans, toucans, vous êtes mes ratures ;
préférez-vous devenir des souris ?
Image, tu t'en vas ; j'étais un hôte
trop innocent pour tes joyeux péchés.
Je reste solitaire : est-ce la faute
au grain de sable ? il n'a rien empêché.
p.126
QUEL ROYAUME OUBLIÉ ?
10
Dans chaque oiseau dormait une montagne.
Dans chaque main le reptile sacré
mangeait du sel. Dans chaque rue du port
un vieil évêque interrogeait un arbre.
Tout nu était le vin, et près du fleuve
on pleurait les savanes disparues
depuis leur rendez-vous avec la neige.
Comme il manquait de feu, le sorcier prit
pour épouse la ville qui brûlait.
p.36
Peau
Viens habiter ma peau. N’apporte
que ta moiteur, un jeu de dés,
l’étoile à pendre sur la porte,
ton sang, le soleil démodé.
J’aurai l’accord de ce concierge
qui se méfie de moi : mon cœur.
Pour que ta chair devienne vierge,
il faut mêler nos impudeurs.
Voici le bail : tu dois renaître.
On ne demande aucun impôt,
mais si mon corps aux cent fenêtres
te plaît, viens habiter ma peau.
Installe-toi, ma locataire.
Je déménage; c’est le sort
de ceux qui vivent solitaires :
même leur peau les met dehors.
p.128
Poésie - Une graine voyageait - Alain BOSQUET