Que celui qui n'a jamais été fasciné par ces fameux mystères en chambre close me jette la première pierre.
Cette fois, Bouffanges nous transporte à Paris, sur le Champ-de-Mars plus précisément, en 1889, et nous offre une visite guidée de l'Exposition universelle, nous plongeant tellement dans le récit qu'on imagine aisément la Tour Eiffel nouvellement et fièrement dressée sous nos yeux ébahis.
Mais bon, il y a cet assassinat qui vient un peu gâcher (ou pas) le paysage. Et là, je suis retombée en enfance, lors de la lecture de mon tout premier polar, "le Mystère de la Chambre Jaune", qui m'a marquée à tout jamais.
J'avoue qu'en pointillés sous-jacents, la fameuse moustache d'Hercule Poirot s'est également insinuée dans mes pensées.
Que de bons souvenirs ce livre a-t-il fait ressurgir ! Ce livre, que dis-je, cette nouvelle... ce qui rend l'exercice encore plus difficile, parce qu'arriver à faire vivre autant de choses en aussi peu de pages relève de la prouesse.
Encore une fois, pari gagné par cet auteur aux multiples facettes et à la plume incomparable.
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Petite précision : Cette nouvelle n'étant plus disponible, je peux l'envoyer sur simple demande en MP.
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A gauche, s’allongeait le Palais des Arts Libéraux, bâti sur le même schéma que le Palais des Beaux-Arts, mais un peu plus modeste. Devant les hommes qui progressaient en jouant des coudes parmi la foule qui se pressait devant les fontaines lumineuses, éclairées à l’électricité, au milieu d’une multitude de pavillons tous plus élégants et exotiques les uns que les autres, se dressait, majestueuse, la Tour Eiffel. De toute l’Exposition, chacun ne garderait que les souvenirs les plus vifs : le Palais tunisien et ses magnifiques arcades ; le Pavillon de Bolivie, son plan carré, ses tours rayées ; la belle tour travaillée du Pavillon du Cambodge ; le porche asiatique du Pavillon de Cochinchine et sa magnifique cour intérieure, sorte de cloître à l’orientale ; le Pavillon du Maroc et son souk reconstitué, et tant d’autres encore. Mais tous retiendraient, comme une impression définitive sur la rétine, cette gigantesque tour de métal. Paris s’était certes déchirée autour du projet de Koechlin et Nouguier, mais on ne pouvait rester insensible à l’arrogance futuriste fascinante de cet édifice de poutrelles métalliques.
Il en était à présent à détailler les éléments du décor, assez spartiate : un secrétaire rencogné au fond de la pièce et une chaise paillée, une trompette au pavillon cabossé à terre, un pupitre à pied en bois sur lequel reposait la partition de la partie soliste d’un concerto de Filipetti. Ungbarn, pourtant musicien amateur, ne connaissait pas ce compositeur. La mélodie semblait intéressante, avec un morceau de bravoure au milieu du premier mouvement, un enchaînement de triolets rapides qui montait dans les aigus et se terminaient par un crescendo qui aboutissait sur un contre-ut tenu. Un petit trépied était disposé près du pupitre. Au mur de séparation avec le salon était suspendue une tapisserie d’Aubusson qui semblait ancienne à en juger par les couleurs chair devenues pastel, dont le rôle vraisemblable était d’atténuer le bruit généré par le mélomane.
Le jour déclinant, la lune commençait à baigner la rue Saint-Séverin d’une lumière grise ; la flèche de l’église déchirant le ciel donnait une impression inquiétante. Des nuages étaient apparus depuis leur départ du Champ de Mars et faisaient courir des ombres sur les façades des immeubles bourgeois.