Comme le rappelle
Michel Husson ( http://hussonet.free.fr/boukaweb.pdf) dans son avant-propos « l'économie est avant tout une science sociale. Elle ne se développe pas selon une succession de paradigmes se substituant les uns aux autres : ils sont au contraire relativement invariants, parce qu'ils correspondent à des représentations opposée des rapports fondamentaux de la société capitaliste. » et « Toute l'histoire de l'économie politique peut se résumer en une oscillation entre la théorie de la valeur-travail et celle de la valeur-utilité, avec des variantes et des synthèses plus ou moins boiteuse. » Il indique le mérite de
Nicolas Boukharine « d'articuler critique-interne-technique et critique externe-sociologique » pour conclure « La critique de l'idéologie économique est donc nécessaire, y compris sous ses aspects techniques, mais elle doit avant tout mettre en cause la représentation (ou plutôt la négation) des rapports sociaux capitalistes qui en est le fondement essentiel. »
Dans une préface,
Nicolas Boukharine insiste « La caractéristique sociologique d'une théorie ne nous dispense donc nullement de devoir la combattre sur le terrain de la critique logique proprement dite » ou « Cependant, la controverse idéologique exige que la fausseté de la méthode doit être démontrée par l'erreur de conclusions partielles du système, en quoi l'on peut recourir soit aux contradictions internes de tout le système, soit à son imperfection, à son incapacité organique à saisir et à expliquer toute une série de phénomènes qui concernent la discipline en question. »
Au début du vingtième siècle (1914) , l'auteur va brillamment démonter point par point l'économie marginaliste (Böhm-Bawerk) sous le double angle de ce programme. Certes, il peut-être fastidieux mais néanmoins fascinant et instructif de suivre cette déconstruction, encore que la démarche de l'auteur et sa présentation soient clairs. Critique interne d'une théorie et exposition des catégories historiques et sociales de Marx, du système capitaliste dans sa novation radicale, voilà ce que
Nicolas Boukharine fait avec talent. Les projections dans ce que serait le socialisme sont beaucoup plus discutables, mais pouvait-il en être autrement en 1914.
Hier et aujourd'hui il ne suffit pas démontrer que le point de vue des « économistes » visent à maquiller, à nier les rapports sociaux, il faut aussi montrer les incohérences internes, les impasses et les absurdités de leur points de vue. « La critique des opinions adverses est non seulement un moyen de défenses directe contre les assauts de l'ennemi, mais encore un moyen d'aiguiser nos propres armes : critiquer le système adverse, c'est avant tout approfondir le sien. »
Et à l'heure où « les marchés donnent leur opinion » comment ne pas souligner, une nouvelle fois avec
Michel Husson que « le rentier produit une représentation fétichisée du mode de production capitaliste, où le capital produit du revenu, en fonction de ses propriétés, et indépendamment de l'exploitation de la force de travail. »
Pour celles et ceux qui voudraient connaître
Nicolas Boukharine, je renvoie au livre de Stephen Cohen Nicolas Boukharine, la vie d'un bolchevik (
François Maspero, Paris 1979, et au bouleversant
Boukharine ma passion d'
Anna Larina Boukharina (Gallimard, Au vif du sujet, Paris 1990).