Dans son introduction,
Jean-Marie Harribey souligne quelques dimensions qui me serviront de points d'ancrage à une réflexion préalable à la discussion de ce livre.
Il me semble, qu'il est possible (souhaitable) d'avancer, ensemble, dans les débats (les actions), sur la base de plages consensuelles et en postposant certains débats (désaccords) n'ayant que peu de conséquence sur les actualités pensables.
J'en reviens aux trois points soulignés dans l'introduction :
La nécessaire «alliance de la démocratie, de la transformation des rapports sociaux et de la responsabilité écologique »
La carte, la boussole et la méthode « La carte, c'est la démocratie ; la boussole, c'est l'autonomie individuelle et collective ; la méthode, c'est la construction de convergences entre toutes les forces sociales qui essaient, souvent encore dans des directions parallèles, de faire barrage aux multiples rouleaux compresseurs du capitalisme néolibéral »
L'usage et le besoin en lieu et place de la marchandise « l'espace de la socialité peut se bâtir sur la valeur d'usage des chose plutôt que sur leur valeur marchande et sur le bon usage plutôt que sur le gaspillage », l'insistance sur la notion de «bien commun » ou les propositions autour de l'« extension du champ de la gratuité ».
Voilà, me semble-t-il, une conjonction de propositions, un socle solide pour une alliance radicale à vocation majoritaire pour résister et construire une (des) alternative(s) à ce vieux monde.
Cela ne sera peut-être (probablement) pas suffisant. Mais, mettre aujourd'hui, des conditions non pertinemment actives, efface, du possible, le(s) chemin(s) vers demain.
Autant présenter de suite, quelques désaccords qu'il me semble possible de postposer :
le mouvement plutôt que le but (Eduard Bernstein) ; un mouvement sans hypothèse(s) de but ressemble plus à une errance,
les notions de post marxisme, il conviendrait plutôt de revivifier et compléter les recherches, en les débarrassant des scories diverses, dont certains sont non seulement malodorantes, mais contraires au(x) but(s) visé(s), voir simplement criminelles,
la société civile comme sujet révolutionnaire, encore plus imprécis que le prolétariat ; alors que le salariat représente la majorité absolue de la population, tout en soulignant comme l'auteur l'« irréductible pluralité des sources d'identité individuelle et collective »,
le socialisme du XXIème siècle de Chavez, dont l'auteur semble faire une lecture trop unilatérale,
les nouveaux objets politiques, phénomènes très largement sous-estimés par d'autres, mais ne répondant cependant pas à la totalité des questions posées.
Le livre est composé de huit parties « Réguler la finance ou la socialiser », « Peut-on repeindre en vert le capitalisme ? », « le travail décent : un bien commun », « Peuple, prolétariat, société civile ? », « Démocratiser l'État : la socialisation de la politique », « Démocratiser l'économie : la socialisation du marché », « Réformes et révolutions : la longue marche de la société civile », « Pour une relocalisation coopérative » et d'une conclusion « Vers un socialisme civil ».
Je ne vais pas ici présenter l'ensemble des analyses et des propositions de
Thomas Coutrot, mais plutôt essayer de souligner, subjectivement, quelques points solides pour continuer le débat.
L'auteur propose de discuter « Un projet d'émancipation qui se donnerait la triple tache de mener la critique de ses prédécesseurs, de démystifier les discours et les logiques actuellement dominantes, de propose des alternatives qui donnent des figures concrètes et dès maintenant constructibles à l'émancipation »
Des propositions concrètes, comme « étendre la gratuité à de nouveaux biens essentiels » ou « une réduction massive du temps de travail pour utiliser les gains de productivité de manière favorable à l'emploi et écologiquement soutenable ; un droit des comités d'entreprise élargi aux sous-traitants et aux parties prenantes pour toutes décisions…. » pour lutter contre la « tendance à l'illimitation » du capital, doivent être articulées à des changements institutionnels crédibles et immédiatement possibles. Faute de quoi, elles ne pourraient convaincre largement.
Il faut donc assoir les arbitrages possibles et « construire une représentation légitime de l'intérêt commun, par le processus électoral et institutionnel » et « élaborer des dispositifs institutionnels qui stimulent la subversion démocratique » et au-delà des points de consensus, des avis majoritaires et minoritaires revendiquer « La compétence des incompétents » et rechercher des « compromis dynamiques ».
L'auteur, comme
Jacques Rancière, défend le principe du « tirage au sort » comme actualisation possible de la démocratie. C'est une proposition qui mériterait mieux que les sourires dédaigneux de certain-ne-s.
L'auteur développe aussi les formes institutionnelles de contestation des pouvoirs monopolisés : rotation des élu-e-s, limitation des possibilités de réélection, instance de contrôle, plafonnement des financements, etc…
Dans les pages sur le travail, l'auteur après avoir analysé «travail sans qualité », les atteintes à l'estime de soit, n'en souligne pas moins l'irréductibilité contradiction de la mobilisation du travail par le système capitaliste « le salariat est certes l'école de la soumission, mais les ordres, les procédures, les normes, les instructions de la hiérarchie ne suffisent jamais à définir exactement ce que le travailleur doit faire pour réussir »
Les pages sur la gestion collective des biens communs, les délibérations démocratiques, appuyées sur le principe de subsidiarité (décider le plus près possible de la base), l'économie réellement économe « quel est, pour un montant de ressources, l'éventail des arbitrages possibles entre divers objectifs, plus ou moins contradictoires », la mise des « mécanismes sous le contrôle le plus direct possible de la population » me semblent adéquates à leur objet, une critique concrète du mode de production capitaliste.
L'auteur n'oublie cependant pas une autre critique, celle de la sanction a-postériori du marché, les valorisations de choix « en fonction de son intérêt égoïste », ni le socialisme ayant réellement existé et son « inefficacité et domination bureaucratique ».
D'autres propositions pourraient être approfondies, en particulier la subdivision des biens de production en nue-propriété collective et usages autogérés, le financement des investissements à confronter aux propositions de
Bernard Friot.
Thomas Coutrot n'en oublie pas que « les classes dominantes renoncent sans hésitation à l'État de droit lorsqu'elles considèrent menacés leurs intérêts fondamentaux » et soutient une thèse de « rupture institutionnelle majeure » et souligne que « les forces sociales progressistes ne peuvent s'autolimiter à la stricte légalité sans précipiter leur défaite ».
Sa critique de la valorisation de la violence dans les processus de rupture me semble justifiée, mais « diviser, affaiblir et démoraliser les adversaires de l'autonomie populaire » ou résister « en défense des valeurs et de la légalité démocratiques menacées » ne suffit pas à baliser ce débat.
A l'aune des expériences du passé, l'auteur insiste sur un point décisif « Développer puis maintenir durablement un degré élevé de participation de la société civile et des citoyens est un défi majeur. Mais il y a plus difficile encore : préserver l'autonomie populaire malgré la participation ».
Le livre n'est pas la bible que certain-e-s souhaiteraient pour avoir les clefs des incertitudes de l'avenir, mais c'est un livre qui prend au sérieux et la centralité de la démocratie et la transformation sociale radicale et l'interaction des deux.