Avec «
Les petits garçons»
Théodore Bourdeau réussit le plus beau des romans d'initiation, puisque c'est… le mien!
Tout compte fait, il n'y a pas trente-six raisons qui font que l'on aime un roman. Je crois que pour chacun d'entre nous, elles se limitent à deux ou trois, auxquelles on peut encore ajouter quelques considérations esthétiques. Soit l'histoire vous emporte, soit vous avez l'impression d'enrichir votre culture générale, soit vous vous sentez proches du narrateur ou de l'un des personnages. Avec le premier roman de
Théodore Bourdeau, il ne m'a fallu pas chercher bien loin, car dès la première phrase, je me suis identifié à ce garçon. Ce «processus psychologique par lequel un individu A transporte sur un autre B, d'une manière continue plus ou moins durable, les sentiments qu'on éprouve ordinairement pour soi, au point de confondre ce qui arrive à B avec ce qui lui arrive à lui-même» atteint même ici un degré très troublant.
En fait, si je résume ce livre, je vous raconte ma vie! Cela pourrait commencer ainsi:
« Je suis né heureux. Un tout petit enfant, avec deux parents pour me chérir. Un tout petit enfant qui rit et qui se roule en toupie dans le lit de papa et maman le dimanche matin. Une bouche de quenottes, tout petit enfant, qui hurle d'excitation, qui pleure et qui rit. Qui pleure puis qui rit. Une boule de chair douce et encore innocente au malheur.»
Cela pourrait se poursuivre à l'école, quand ma route a croisé celle de Bernard. Bon, dans le roman de
Théodore Bourdeau, il s'appelle Grégoire, mais c'était le même copain: « Aussi loin que je puisse me rappeler, dès l'école maternelle, Grégoire était là. Petit garçon rouquin, avec qui tout semblait facile. Jouer, faire des bêtises ou échanger des billes. Quand je voulais courir jusqu'à n'en plus pouvoir respirer, voler un bonbon, faire peur à un camarade de classe, Grégoire se portait toujours volontaire. »
Bernard était toujours le premier de la classe. Il avait toute mon admiration et quelquefois une pointe de jalousie perçait. Mais comme j'étais plus sportif que lui, les choses se sont bien vite arrangées. Et si je vous parle d'une autre époque que celle évoquée dans le roman, peu importe. Car
Théodore Bourdeau a la plume elliptique. S'il ne dit pas tout, il laisse deviner sa pensée. Les événements historiques sont suggérés, sont même reconnaissables, sans être exactement situés géographiquement ou dans le temps. Des attentats, la montée de l'intégrisme religieux, la crise économique, la peur d'un avenir de plus en plus incertain… Il me semble que la jeunesse des années quatre-vingt n'avait rien à envier à celle des années deux-mille, sinon peut-être dans son acuité.
En revanche, ce qui n'a pas vraiment changé – surtout pour les timides – c'est l'attirance mêlée de crainte autant que d'excitation pour «les filles». Là encore, je pourrai souscrire mot pour mot au scénario imaginé par le narrateur pour conquérir Louise. Demander à une proche amie de servir de messagère et attendre impatiemment la réciprocité de l'amour que l'on offre. «Enfin, mes mots et mon amour parvenaient jusqu'aux oreilles et, je l'espérais, jusqu'au coeur de Louise. Mais alors qu'elle aurait dû esquisser un sourire puis rougir, son visage devint rictus, traduisant un dégoût amusé. Je perdis tout espoir quand le rictus se transforma en un éclat de rire. Tout était consommé. Louise ne voudrait pas de moi. Ma première boum ne serait pas le théâtre de mon premier amour.»
Il devient inutile de vous raconter la suite. Vous la trouverez dans le roman avec à peine quelques nuances. Sachez simplement qu'après avoir tâtonné un peu quant à mon avenir, j'ai fait une école de journalisme. La mienne était à Strasbourg et celle du roman plus vraisemblablement à Lille. Les mêmes angoisses quant à l'avenir de notre profession, les mêmes débats sur l'éthique et sur la concentration des groupes de presse…
Me voilà tout d'un coup pris de vertige au moment de conclure. Vous aurez compris pourquoi ce roman n'a si profondément touché, mais réussira-t-il à vous séduire aussi? C'est le pari que je prends et le voeu que je formule.
Et puisque nous en sommes aux voeux, souhaitons à
Caroline Laurent plein succès à la nouvelle collection «Arpèges» inaugurée avec ce roman.
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