Comment être soi-même quand votre pays n'accepte pas qui vous êtes ? Quand la société vous rejette et que vous devez cacher votre nature profonde ?
Voilà tout le drame du narrateur, qu'il nous expose en racontant soixante-dix ans de son existence.
À travers ce personnage,
John Boyne dresse un tableau peu reluisant de l'Irlande des décennies d'après-guerre : un pays sous le joug d'une église catholique particulièrement conservatrice et obtuse, dont le clergé veille farouchement aux bonnes moeurs des ouailles dont il entend régenter les vies.
L'auteur ne tergiverse pas. Il attaque bille en tête et poursuit tout au long de son roman avec une incroyable intensité.
Pas de répit, pas de temps mort.
Ce livre est un tourbillon, un vortex géant qui happe le lecteur et le fait passer par toutes les émotions existantes.
C'est tout à la fois : tendre et cynique, doux et cruel, drôle et ironique, cru et pudique, cocasse et dramatique.
John Boyne remue le couteau dans la plaie, une plaie vilaine et infectée dans laquelle il incise profondément pour mettre à jour la moindre trace à éliminer. En médecine, on appelle cela : "débrider" la plaie.
John Boyne se fait médecin des âmes, et il exerce son art avec un grand talent.
Ce roman est formidablement bien construit, avec une grande maitrise du rythme.
Trois parties pour raconter une vie : Honte, Exil, Paix. Trois titres parfaitement trouvés.
Très incisif sur l'intolérance de la société irlandaise d'autrefois vis à vis des "filles-mères" (quel horrible mot !) et des homosexuels, l'auteur termine sur une note bien plus positive et souligne les évolutions des mentalités et des lois. Cette paix finale fait un bien fou, après toutes les turbulences traversées.
J'ajoute ici une réflexion personnelle : la religion catholique a beaucoup changé sur les sujets de société et même s'il reste encore des progrès à faire, il faut souligner cette évolution positive.
Il serait grand temps qu'une autre religion le fasse à son tour. Dans cette religion, l'homosexualité est toujours condamnée, et dans les pays qui appliquent la charia, les homosexuels sont considérés coupables d'un crime qui peut être puni de lapidation. Dans ces mêmes pays, les femmes sont invisibilisées, condamnées à vivre une vie de citoyennes de seconde zone n'ayant quasiment aucun droits.
Charmant, non ?
Surtout quand on voit que des sondages récents indiquent que 57% des jeunes musulmans français considèrent que la charia est plus importante que la loi de la République. (Voir lien ci-dessous)
Ça fait réfléchir, ou plutôt, ça devrait faire réfléchir...
Revenons à notre ouvrage.
Le héros est terriblement attachant et le lecteur suit ses tribulations avec empathie. de même pour ceux, nombreux, qui l'entourent ou qui le croisent :
John Boyne a créé des personnages très réalistes, des hommes et des femmes de chair et de sang, qui éprouvent des sentiments, qui sont touchés par des émotions. Des personnages très humains.
Quelques invraisemblances dans le scénario, quelques coïncidences un peu trop "magiques", mais tout cela n'a aucune importance et ne nuit ni à la cohérence du texte ni au plaisir du lecteur. Quelques scènes un peu caricaturales ou exagérées, mais elles renforcent le propos et s'insèrent parfaitement dans la narration. Une juste dose d'humour et d'ironie soude tous les éléments, dans une construction très habile.
Il y a de la vie dans ce livre, ça palpite entre les pages !
Les fureurs invisibles du coeur doivent être invisibles parce qu'elles doivent rester cachées, mais
John Boyne a décidé de les montrer au grand jour, et il a bien fait.
Voilà un bon gros pavé comme je les aime !
Une histoire furieusement romanesque qui vous emporte dès le début et ne vous lâche qu'une fois la dernière page tournée... et encore...
Un livre terriblement addictif, des heures de pur bonheur de lecture.
Pour terminer, je voudrais parler de la traduction, ou plutôt des traducteurs.
Je tiens à remercier ces gens de l'ombre sans qui nous ne pourrions pas nous régaler de tous ces livres écrits dans des langues qui nous sont étrangères.
Sans eux, je n'aurais pas pu lire
Luz ou le temps sauvage d'
Elsa Osorio puisque je ne connais pas l'espagnol. Pas plus que
le pianiste de
Wladyslaw Szpilman, écrit en polonais ou
le fidèle Rouslan de
Gueorgui Vladimov écrit en russe.
Sans traducteurs, mon champ de lecture serait considérablement réduit. Quelle tristesse !
Alors, un grand merci à ces indispensables !
Pour ce roman, c'est un peu spécial. Il figurait depuis longtemps sur ma liste et je comptais le lire en anglais. le hasard, qui fait bien les choses, a fait que je l'ai vu dans ma bibliothèque ; en le feuilletant, j'ai lu le nom de la traductrice :
Sophie Aslanides. Ni une ni deux, hop, je l'ai emprunté sans hésitation.
Pourquoi ? Parce que je connais personnellement Sophie. Nous avons enseigné dans la même classe prépa pendant plusieurs années. Une collègue charmante et ultra compétente. J'ai été ravie de la retrouver dans cet ouvrage et vais de ce pas lui envoyer un message pour la féliciter de la qualité de sa traduction. Qualité qui a largement contribué au plaisir de la lecture.
Bravo et merci !
https://www.lepoint.fr/politique/pour-57-des-jeunes-musulmans-la-charia-plus-importante-que-la-republique-05-11-2020-2399511_20.php#