Un quasi coup de coeur ! Les fureurs invisibles du coeur écrit par John Boyne est une lecture inhabituelle pour moi. Roman tranche de vie, roman d'apprentissage d'un jeune homme qui traverse le XXe siècle dans une quête continuelle de son identité et de ses origines.
Le roman suit Cyril Avery, qui n'est pas un vrai Avery. Abandonné à sa naissance par une mère-fille, il grandit dans la même maison que ses parents adoptifs à défaut qu'ils lui accordent beaucoup d'attention. Cyril est un personnage principal intéressant à suivre. Il semble constamment en retrait de ce qu'il se passe, comme s'il se contenter de contempler son existence plus que de chercher à la vivre. Il prend ainsi rarement des décisions et se laisse souvent porter, incapable d'assumer pleinement qui il est réellement. Même lorsqu'il prend une décision, cela semble plus être une fuite en avant réalisée sous la contrainte, ce qui le rend très attachant et atypique.
Mais les personnages les plus réussis du roman sont sans doute le souple Charles et Maude Avery. Excentriques et imprévisibles, ils ont parfois des réflexions immondes mais sont en même temps tellement drôles. Maude et ses réflexions acides, Charles et son côté furieusement irresponsable. Les dialogues où ils apparaissent sont hilarants et colorés. Catherine Goggin, la mère biologique de Cyril, fait également figure de femme exceptionnelle et de grande force morale dans ce pays qui condamne son existence et son comportement.
L'écriture de Boyne est d'ailleurs globalement une réussite. Fluide et caractéristique, elle nous emporte dans son univers peuplé de coïncidences, d'actes manqués et de signes du destin, on croirait parfois lire un conte moderne pour adultes. L'auteur ne manque ni d'humour ni d'ironie, ce qui rend son texte presque addictif.
Il fait le choix d'une structure narrative originale : Nous faisons un bond dans la vie de Cyril tous les 7 ans. C'est un chiffre magique puissant, le 7. Si cette spécificité nous fait traverser rapidement l'ensemble de l'existence mouvementé de Cyril, j'ai eu parfois l'impression de passer à côté de certains événements intéresser, d'un manque de liant entre les différentes parties, ce qui donnait à ce choix de narration un aspect un peu artificiel.
Mais l'objectif du roman est surtout de nous offrir une critique, à travers une Irlande ancrée dans ses traditions rigides, de la bien-pensance et de l'intolérance. Cyril aura été marqué dès sa naissance du sceau de l'infamie morale, jusqu'à son identité considérée comme contre-nature et monstrueuse. Il passera une bonne partie de sa vie à se dissimuler, sans vivre pleinement, craignant la critique. Et c'est compréhensible ! Son pays est longtemps resté sous l'égide pesante d'une prêtrise avide de faire respecter un ordre moral aussi hypocrite qu'il est aveugle.
John Boyne met régulièrement en avant l'ignorance des personnes aptes à critiquer les modes de vie différents des leurs. Même les personnes qui ne sont pas hostiles peuvent faire preuve d'un manque de connaissance crasse. Il met aussi en exergue la destruction des vies causées par ces ordres sociaux attachés à une pureté morale puante. Et dès le premier chapitre, une scène magistrale donne le ton.
Roman fleuve flamboyant et sensible, John Boyne y déploie la finesse de son analyse psychologique et la fureur de ses luttes. Avec ses personnages iconiques et ses dialogues mémorables, l'auteur nous plonge immédiatement dans les mutations d'une fin de siècle trépidante à travers la vie de son personnage contemplatif et atypique, Cyril. Si le roman vous touche, il vous restera dans un coin de la tête bien longtemps après sa lecture.
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