Voilà un roman qui n'est pas une nouveauté mais que je tenais vraiment à découvrir un jour...
Déjà le titre est intrigant ensuite il se passe en partie en Guadeloupe, une île paradisiaque pour les touristes d'aujourd'hui, mais qui à la fin du XXe siècle était encore prise entre deux mondes...
L'auteur est une conteuse-née !
Elle nous fait entrer dans la famille Ezechiel-Lebecq, d'abord par la voix de la narratrice, Eulalie, qui porte le même nom que sa grand-mère, et qui a trente ans. Elle est la fille de celui qu'on a surnommé toute sa vie "Petit-Frère" comme s'il devait à jamais n'être que ça. Puis elle va donner la parole tour à tour, à son propre père, à Antoine, la soeur aînée, et enfin à Lucinde la cadette.
Même si son père lui a déjà parlé de la Guadeloupe, elle, qui est née en banlieue parisienne dans les années 70, ne s'est rendue que quelques rares fois au pays, pour de brèves vacances chez Hilaire son grand-père. Aussi, elle a décidé d'interroger ses tantes et de prendre des notes... alors qu'elle est devenue mère à son tour, et qu'elle est à la recherche de son identité métisse et de ses origines.
C'est Antoine qu'elle interroge, la soeur aînée, détentrice de la mémoire familiale et des souvenirs de la mère, morte trop jeune pour que Petit-Frère s'en souvienne. Antoine, c'est son "nom de savane". Il a été choisi pour contrer les mauvais esprits ! Elle s'appelle en réalité Apollone mais personne ne l'appelle jamais de ce prénom-là. Antoine a 75 ans et elle va raconter à la jeune femme d'où elle vient...
Le lecteur découvre la vie à Morne-Galant, un village du bout du monde, "
là où les chiens aboient par la queue".
La famille vit dans une masure sans eau et sans électricité entourée d'une nature merveilleuse et de champs de cannes à sucre où les hommes s'épuisent au travail toute la journée, tandis que les blancs les surveillent.
L'esclavage a pourtant été aboli...
Le père possède quelques biens, des boeufs, un lopin de terre qui nourrissent la famille mais qu'il dilapidera au fur et à mesure car tout cela n'a pour lui aucune valeur et que la générosité est sa première qualité.
Eulalie, la mère, est originaire d'une famille bretonne. D'une santé fragile, elle mourra avant de mettre au monde son quatrième enfant. Les enfants sont métis et pas très bien acceptés par la petite communauté.
Antoine, l'aînée dénote dans la famille car elle est particulièrement débrouillarde, libre, impulsive et indocile pour l'époque mais aussi un peu sorcière, tout en étant très croyante. Parfois elle inquiétera son entourage mais elle saura régner d'une main de maître sur sa destinée. Elle quittera à 16 ans la famille pour se rendre à Pointe-à-Pitre et sera la dernière de la fratrie à quitter son île.
Lucinde, la seconde, est plus douce et plus discrète. Avec ses doigts de fée, elle apprendra la couture et saura créer des modèles pour habiller toutes les générations et aussi bien les gens de couleur que les Békés.
Petit-Frère, lui se rêve musicien. Son enfance a été durablement marquée par son enfance sans mère, un véritable traumatisme pour cet enfant fragile et trop sensible.
Tous trois vont un jour quitter leur île dans les années 60, pour aller vivre dans la région parisienne. Là une autre vie les attend qui ne correspond pas vraiment à leurs rêves...
C'est un roman polyphonique en partie autobiographique qui donne tour à tour la parole à chacun des membres de la famille et, je le précise pour les lecteurs qui se perdent parfois parmi tous les personnages, on sait toujours dès le début du chapitre qui parle.
Les personnages sont attachants, les anecdotes savoureuses, et c'est une plongée dans la vie guadeloupéenne du XXe siècle mais aussi dans celle de la métropole. le lecteur partage les déceptions, les souffrances de l'exil, et l'espoir d'une vie meilleure ailleurs...
Nous voilà donc partis en voyage pour quelques heures d'une lecture magnifique et d'un dépaysement total.
L'écriture est superbe, poétique et imagée, étayée de nombreux mots créoles, toujours traduits, et d'expressions qui donnent son rythme à ce roman qui se lit d'une traite et dans lequel on ne s'ennuie pas une seconde.
J'ai aimé découvrir cette épopée familiale mais aussi l'histoire de la Guadeloupe à cette époque où elle n'était pas encore devenue touristique. Ils ont été nombreux à la fin des années 60, suite aux événements sanglants de 1967 en particulier, à quitter leur île pour la métropole où le plein emploi était bien présent et facilitait leur intégration.
Inutile que je vous précise que ce roman a été une belle découverte pour moi. C'est une fresque familiale passionnante et qui sonne toujours juste.
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