AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,85

sur 536 notes
5
54 avis
4
80 avis
3
24 avis
2
4 avis
1
0 avis
Ce premier roman sorti en 2018 me faisait de l'oeil depuis un moment. J'aime bien découvrir d'autres univers sous la plume de nouveaux auteurs et j'ai eu ce plaisir avec Là où les chiens aboient par la queue
Tiré d'une expression créole, le titre de ce roman d'Estelle-Sarah Bulle donne le ton à l'histoire émaillé de ces locutions imagées.
La narratrice, qui n'a connu que la métropole, va voir sa tante Antoine pour remonter le fils de l'histoire familiale. Antoine est une figure au sein de la famille, une femme très grande et dotée d'un caractère fort et têtu. Son récit nous fait pénétrer dans le destin de ses guadeloupéens pauvres, sans éducation proies faciles de la superstition, et qui tentent de s'en sortir par la débrouille. Antoine partira en métropole où se sont déjà installés sa soeur Lucinde et le dernier de la fratrie, Petit-Frère.
Dans ce roman choral chacun, tour à tour va raconter la vie à Morne-Galante entre Hilaire le père qui est un beau parleur et la mère, une béké, trop tôt partie.
A travers ce retour aux sources, on découvre une Guadeloupe pauvre où avoir la peau noire signifie être en bas de l'échelle sociale. On perce la réalité de l'exil en métropole et la nostalgie de l'île et de la famille car, en France, on n'est pas toujours bien accueilli et il faut jouer des coudes pour se faire sa place. On découvre aussi des évènements historiques méconnus comme ce soulèvement des indépendantistes en 1967.
L'écriture d'Estelle-Sarah Bulle pétille à chaque page, elle a l'accent chantant du créole. J'ai été charmée par la truculence, la joyeuseté colorée de la langue qui fait sourire mais sait aussi nous émouvoir.
Tous ces personnages nous entrainent dans leur exil fait d'espoirs, de promesses et de déceptions mais toujours ils se relèvent. Antoine est parmi les personnages les plus attachants avec cette soif de liberté chèrement acquise.
J'ai lu avec plaisir et gourmandise ce premier roman dépaysant et plein de fantaisie.

Commenter  J’apprécie          460
Guadeloupe, Morne-Galant, un “nulle part” somnolent et poussiéreux où “cé la chyen ka japé pa ké” ("c'est là où les chiens aboient par la queue"). En 1947, Apollone, dite “Antoine”, de son “nom de savane” destiné à tromper les mauvais esprits, a 16 ans lorsqu'elle s'enfuit de cette “matrice dont (elle est) sortie comme le veau s'extirpe de sa mère : pattes en avant, prêt à mourir pour s'arracher aux flancs qui la retiennent”. Direction Pointe-à-Pitre puis Paris, 20 ans plus tard.

Antoine, c'est un peu une légende dans la famille : il faut dire qu'elle n'a rien d'ordinaire cette femme de très haute taille, indépendante, délurée, fière et dérangeante, qui parle aux anges et aux esprits et “qui n'avait jamais fait que suivre son désir en cultivant sans regret l'art de la catastrophe”. Elle intimide, elle impressionne, on la craint, on la respecte et on l'admire sans le lui dire. Pour la narratrice, sa nièce, qui renoue avec elle à Paris, bien des années plus tard, et qui a pour elle une affection profonde, Antoine est la mémoire vivante de la famille, du berceau des origines, là-bas, très loin, dans ces Antilles qui ont vu naître et grandir la lignée des Ezéchiel.

Alors, Antoine raconte. Dans son parlé chantant où roulent comme des pépites les mots créoles du pays ressurgi, elle raconte à sa nièce en quête d'identité sa vie de petite fille à Morne-Galant où elle s'est construite vaille que vaille et a poussé comme une herbe folle, son adolescence dévorée de rêves, de tristesse et d'ennui, la fratrie sur laquelle elle a régné sans partage, la fuite, les combats, le courage et la débrouillardise pour trouver sa place et enfin l'exil à Paris où, vaillante, elle reconstruit sa vie… Avec, en arrière-plan, 60 ans de l'histoire de la Guadeloupe et tout un pan de l'histoire coloniale de la France - la servitude, les békés, le mépris, le racisme, la survie -, mais aussi la beauté de cette île, la chaleur écrasante, la misère, la nature luxuriante, les infrastructures balbutiantes, les rivalités et les clans, les croyances et les contes.

J'ai vraiment beaucoup aimé ce roman que j'ai lu d'une traite et littéralement dévoré. La construction, qui entremêle les voix et les points de vue, est intéressante. L'écriture est belle et pleine de saveur, tout en maîtrise, en rigueur et en poésie. Et j'ai été touchée par les personnages : Antoine, figure hors du commun, vaillante, magnifique et bouleversante ; la narratrice, cette jeune femme incertaine d'elle-même qui porte en elle les difficultés identitaires du métissage (“Métis, c'est un entre-deux qui porte quelque chose de menaçant pour l'identité”) et qui cherche à se réapproprier ses traces dans les mots de sa tante ; et le reste de la famille, qui prend tour à tour la parole, parfois agaçante, souvent émouvante et drôle.

Avec "Là où les chiens aboient par la queue", Estelle-Sarah Bulle signe un premier roman puissant - probablement nourri en partie de sa propre histoire - et d'une très belle qualité littéraire. Pour moi une vraie réussite, et un grand coup de coeur ! ❤
Commenter  J’apprécie          462
Nous avons tous des racines. Il arrive qu'elles soient ancrées très loin, sur une autre terre, sous un autre ciel, à des milliers de kilomètres de là où la vie nous a installés. Il arrive aussi qu'on porte sur soi l'image de ses racines. C'est le cas d'Estelle Sarah-Bulle, une jeune mère de famille, née en Île-de-France, où elle est vit et travaille comme consultante. Son père est guadeloupéen.

Il avait quitté son île natale à la fin de l'adolescence et retrouvé en région parisienne ses deux grandes soeurs, nommées curieusement Antoine et Lucinde, pour qui, depuis toujours, il n'a jamais été que « Petit-Frère ». Antoine, Lucinde et Petit-Frère n'ont jamais mené parcours commun, mais la vie les a tous trois conduits de Morne-Galant à Paris, avec entre-temps, une étape de plusieurs années à Pointe-à-Pitre.

Morne-Galant, voilà les racines d'Estelle ! Un lieu isolé en Guadeloupe, un lieu où perdurent les légendes créoles, un lieu où l'on dit que les chiens aboient par la queue, sans que cette expression ait une signification concrète. C'est là qu'Hilaire, le grand-père d'Estelle, une force de la nature fantasque et solitaire, choisira de rester jusqu'à sa mort à l'âge de cent cinq ans, subsistant grâce aux maigres ressources d'une petite plantation de canne à sucre et de l'élevage de quelques bovins.

Au cours des années, la nièce – c'est ainsi que la narratrice se présente – a fait parler ses tantes et son père. Elle a recueilli leurs souvenirs, leurs confidences, leurs versions personnelles des disputes qui les ont opposés. Une matière suffisante pour écrire un livre, histoire d'affirmer sa part d'identité antillaise et de graver dans le marbre la mémoire de la famille.

Les chapitres sont consacrés tour à tour à chacun. Mais seule la tante Antoine peut se prévaloir d'aventures véritablement romanesques. Cette grande et belle femme, peu soucieuse de son accoutrement vestimentaire, aura jalousement préservé son indépendance de célibataire. Particulièrement audacieuse et débrouillarde, elle saura toujours retomber sur ses pattes, n'ayant jamais hésité à « franchir la ligne jaune » si nécessaire, à chaque fois sans conséquence… heureusement pour elle ! Une absence de scrupules qui contraste étonnamment avec une piété profondément mystique.

Il n'y a pas d'intrigue romanesque globale dans Là où les chiens aboient par la queue. Au-delà de quelques anecdotes amusantes, on y trouve un digest de l'histoire moderne de la Guadeloupe.

Dans les années cinquante et soixante, tout a changé aux Antilles. le développement du transport aérien les a rapprochées de la Métropole. L'économie, traditionnellement fondée sur la canne à sucre, l'agriculture fruitière et les industries de leur transformation, a basculé vers le tourisme. Les bidonvilles ont disparu au profit d'hôtels et de HLM, l'administration française ayant importé ses méthodes d'urbanisation. Elle s'est aussi efforcée d'imposer ses écoles, sa pensée et ses valeurs.

Mais la société locale est restée structurée en castes assises sur les origines et la couleur de la peau. Les inégalités sont flagrantes. Des manifestations sont durement réprimées. de nombreux jeunes Noirs, comme Antoine, Lucinde et Petit-Frère, préfèrent rejoindre la Métropole, où le pays qu'ils vénèrent, leur pays, la France, leur laisse entendre qu'ils trouveront de meilleures opportunités pour construire une vie heureuse. En fait, au plus fort des trente glorieuses, elle avait surtout besoin de main-d'oeuvre.

L'écriture est fluide, plaisante, agrémentée d'expressions créoles qui confèrent au livre un ton chantant pittoresque, poétique, chaleureux. On y apprend des choses intéressantes sur la Guadeloupe et les Guadeloupéens, mais on ne peut pas parler de récit captivant.

Considérons que ce premier opus est un exercice de style réussi et qu'il faudra confirmer.

Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
Commenter  J’apprécie          450
Morne-Galant, une petite bourgade de Guadeloupe, fin des annés quarante. Hilaire et Eulalie, après deux filles Appolone - qui se fait appeler Antoine pour tromper les mauvais esprits - et Lucinde, accueille un garçon, Petit Frère, mais Eulalie décède rapidement. Dès lors c'est le destin de la fratrie que l'on va suivre...Antoine, l'ainée, independante et volontaire, part à seize ans pour Pointe à Pitre y ouvrir un atelier de couture qui va vite rencontrer le succès, Lucinde, conformiste, se marie pour se mouler dans une vie de femme au foyer. Quant à Petit Frère, en mal d'amour maternel, il peine à s'affirmer malgré une intelligence vive et sa volonté empêchée d'étudier. La fratrie au fil des années va s'installer dans la métropole, soit pour se libérer, soit pour des raisons professionnelles.
Un recit construit sous forme d'entrevues, menėes par la fille de Petit Frère et nièce d'Antoine et Lucinde, que l'on devine être Estelle-Sarah Bulle. Nėe en métropole, ne connaissant la Guadeloupe que lors de quelques séjours de vacances, elle se penche sur l'histoire de la famille et celle de la Guadeloupe. Avec elle, c'est non seulement l'histoire qu'elle reconstitue avec les témoignages de la fratrie mais également celle de la Guadeloupe d'après guerre jusqu'à nos jours. Elle devient la seule à pouvoir croiser les histoires et concilier les ressentis de ses tantes et de son père, les trois s'étant perdus de vue et c'est une vision sans concession qu'elle donne d'une île qu'elle n'a connue qu'au travers de leurs souvenirs et de ses propres voyages occasionnels, une île qui est passée de la pauvreté et de la domination des békés à celle d'une économie de marché qui a défiguré les paysages et a fait prospéré la misère et la délinquance. Un bilan lucide et pessimiste mais sauvé par les souvenirs et la langue truculente de sa famille.
Là où les chiens aboient par la queue est un récit à la fois emouvant, drôle, réaliste et vivant, construit de façon originale et avec une langue, le créole, qui donne tout son relief au roman, un coup de coeur.
Commenter  J’apprécie          440
Histoire en partie autobiographique d'une famille guadeloupéenne, depuis les années 1940.
Eulalie, la narratrice, a recueilli trois témoignages : celui d'Antoine (tante née dans les années 1930), de Lucinde (2e tante) et de Petit-Frère (père d'Eulalie). Ils racontent leurs parcours, eux qui y sont nés, y ont vécu, ont choisi de quitter l'île dans les 60's pour Paris, l'eldorado.

L'Histoire de la Guadeloupe est riche, douloureuse, colorée, mélangée.
C'est celle du commerce triangulaire, de l'esclavage, de la colonisation, des unions mixtes (choisies ou contraintes, sincères ou intéressées), des hiérarchies entre 'couleurs', de la corruption, de la paupérisation, des relations ambiguës avec la métropole, entre fascination et rejet - adopter ses produits, son 'progrès', bon gré, mal gré, aller s'y installer, être déçu, y faire sa place ou non, en revenir...

Une fresque familiale socio-historique passionnante, avec des personnages hauts en couleur - Antoine la fantasque ne cesse de surprendre, jusqu'aux dernières pages.
Un témoignage universel sur la famille, les rivalités, la reconnaissance sociale. Avec en prime une 'couleur locale' qui interroge sur les dégâts de la colonisation et de la prétendue 'supériorité de l'homme blanc' depuis plusieurs siècles.

Lecture dense, que j'ai (trop ?) morcelée, et pourtant le style est clair malgré quelques expressions créoles.
Commenter  J’apprécie          440
Là où les chiens aboient par la queue, c'est un nom qui peut étonner, c'est ainsi que l'on désigne Morne-Galant en créole, village aux confins de la Guadeloupe des années quarante, village au bout de tout.
C'est un texte polyphonique qui nous fait visiter deux générations de guadeloupéens, au travers des récits de trois personnages, Appolone dite Antoine, Lucinde et Petit-Frère, récits recueillis par la narratrice, nièce d'Antoine et de Lucinde, fille de Petit-Frère, née dans la France métropolitaine.
Un personnage facétieux émerge plus particulièrement, l'une des deux tantes de la narratrice, au prénom masculin d'Antoine, « un nom de savane » comme pour mieux embrouiller les mauvais esprits, tout tourne autour d'elle, une manière de bousculer la vie, s'arranger avec les sortilèges, retenir les chimères.
Par le truchement d'une inspiration poétique et colorée, Estelle Sarah Bulle, née à Créteil, d'un père guadeloupéen, a écrit ce premier roman qui vient puiser sans doute dans les racines de sa famille, les souvenirs de quelques-uns d'eux qu'elle a pu interroger au fil du temps. Le récit s'inspire pour beaucoup de témoignages des siens, mais la puissance de la narration en fait aussi un récit romanesque atypique. La narratrice a beau s'appeler Eulalie, tiens ! Eulalie comme sa grand-mère ! on pense forcément à l'auteure lorsque la narratrice s'interroge et interroge un territoire qu'elle n'a pas connu et qu'elle découvre dans les mots des siens. L'imaginaire de l'auteure a sans doute fait le reste.
Il y a indéniablement un art du conte que j'ai découvert et aimé ici dans ce récit foisonnant, enrichi par une langue fleurie, colorée par l'influence créole, où mythes et réalités se côtoient dans une savante alchimie. Des odeurs, des images viennent à nous.
Il y a des moments savoureux comme la description de la conquête spatiale faite par le grand-père, Hilaire, qui prend une autre tournure en créole, plus drôle, plus excitante.
Je me souviens aussi d'un passage très touchant du livre où Petit-Frère veut à toute force, retrouver une photo de sa mère Eulalie, qui aurait peut-être existée.
La tante Antoine, qui suit son désir et s'engouffre comme une tornade dans l'existence, assume une féminité flamboyante dans un monde ou l'esprit libre et rebelle se décline plutôt habituellement au masculin.
Si Lucinde et Petit-Frère ne sont jamais parvenus à lui tenir tête, le texte aussi s'en ressent quelque peu dans ce déséquilibre des forces. C'est peut-être ce qui m'a fait me détacher de ce roman à certains instants.
Le charme du livre tient essentiellement à ce ton picaresque au bord de l'enchantement, emporté par l'existence de la tante Antoine.
L'attachement à une terre, l'exil, le déracinement, l'arrachement sont des thèmes qui portent le roman. L'arrachement à Morne-Galant que vit Antoine, propulsée dans la turbulente Pointe-à-Pitre dès l'âge de seize ans offre déjà pour celle-ci un nouveau territoire où exister, s'affranchir de Morne-Galant, puis c'est l'envol vers Caracas. C'est un monde de séduction et de violence. Il y a la rencontre extraordinaire et en même temps éphémère avec Armand là-bas, trafiquant de pierres précieuses, ancien bagnard de Cayenne, personnage tout droit sorti d'un récit de Jack London, de Joseph Kessel ou de Henry de Monfreid...
C'est le temps où peu à peu les superstitions et les charmes vont basculer et s'éteindre dans l'ère de la modernité.
C'est un exil à rebonds multiples. Lorsque les tractopelles viennent plus tard à la fin des années soixante évacuer le village de Morne-Galant, il est déjà temps de partir vers les HLM ou les bidonvilles de Pointe-à-Pitre. Ce sont des cicatrices laissées sur la terre retournée, dans les débris des maisons, le fatras du bois et des tôles arrachés, les souvenirs que l'on ramasse par morceaux...
Puis plus tard, d'autres partiront vers la France, terre d'espérance, qui deviendra bientôt terre de désillusion.
Un personnage traverse le récit, c'est un oiseau à la fois fier comme un héros et égaré dans une histoire qui lui échappe peu à peu, c'est Hilaire, le grand-père, qui vécut jusqu'à cent cinq ans. Il n'a jamais compris qu'on puisse mener une autre vie que la sienne.
La narratrice apprend à aimer l'histoire des siens, qui devient peu à peu son histoire, elle se l'approprie, celle d'où elle vient mais qui n'a pas vécu l'arrachement, l'exil, elle le vit à travers les témoignages de ses deux tantes et de son père, elle est née dans la grisaille, aime cette île gorgée de soleil et de désir, un monde de sensations secrètes, inaccessible la plupart du temps, « une succession de violences, de destins liés de force entre eux, de soumissions et de révoltes ».
C'est un texte qui m'a enroulé dans ce tourbillon d'images, de couleurs, d'odeurs, d'exil aussi avec toute la douleur qu'il éveille. C'est un texte pour lequel j'ai eu cependant quelques difficultés d'approche aux premières pages. Je ne sais pas bien ce que je retiendrai de ce récit quelques temps plus tard, sans doute le personnage d'Antoine, flamboyant, grandiose, rebelle ; pour le reste j'ai peur qu'il manque peut-être un souffle pour l'emporter dans mon horizon... Après, de ce que les livres deviennent, l'endroit où ils parviennent dans notre mémoire si capricieuse, on n'en est pas toujours maîtres...

Lu dans le cadre de la sélection du prix Cezam 2019.
Commenter  J’apprécie          431
Titre : Là où les chiens aboient par la queue
Auteur : Estelle-Sarah Bulle
Editeur : Liana Levi
Année : 2018
Résumé : Apollone naquit à Morne-Galant, un village reculé de Guadeloupe, au début des années cinquante. Celle que l'on surnommera Antoine – son nom de savane destiné à éloigner les mauvais esprits – vivra plusieurs décennies sur son île natale avant de rejoindre la métropole. Là, sur les pentes de la butte Montmartre qu'elle aime tant, dans son minuscule commerce fait de bric et de broc, la vieille dame confiera les secrets de sa famille à la fille de son frère cadet.
Mon humble avis : Ceux qui ont pour habitude de lire ses petites chroniques savent à quel point je ne suis pas attaché à l'actualité littéraire, ou plutôt à quel point je ne l'étais pas. le constat de mes lectures de ces dernières semaines est implacable : beaucoup de contemporains et de romans qui font l'actualité. Un mal ou un bien ? Je ne saurais le dire, reste que la littérature contient tant de trésors à découvrir qu'il me semble aberrant de se cantonner aux bouquins dont on parle sur les réseaux sociaux ou dans les médias à l'instant T. Bref, et c'est le bon côté de la chose, suivre le courant permet parfois de tomber sur des perles, et indéniablement le roman de Estelle-Sarah Bulle fait partie de cette catégorie rare. Là ou les chiens aboient par la queue est un texte enrichissant, par sa langue et son contexte bien particulier. D'abord le style : des mots qui coulent, du créole, des expressions poétiques, une écriture élégante et imagée. Ensuite le rythme, il s'agit d'un roman court, un roman choral où les chapitres se succèdent avec différents narrateurs dont la fameuse Antoine, pierre angulaire de la famille Ezechiel. J'avoue avoir eu une préférence marquée pour ce personnage attachant, pour ses aventures sud-américaines et son amour, unique et onirique. Avec ce texte, Estelle-Sarah Bulle embrasse plus de cinquante ans d'histoire Guadeloupéenne : des séquelles de l'esclavagisme aux velléités indépendantistes, des révoltes sociales à l'immigration massive des antillais en métropole à la fin des années soixante. A travers les pérégrinations de cette famille, c'est tout un pan de l'histoire de France qui est dépeint, souvent avec malice, acuité et toujours avec tendresse et un recul salvateur. Sans pathos, avec des mots forts et une certaine forme d'ironie, l'auteur nous parle de combativité, de résilience, de liberté et de destins chaotiques. C'est beau, enthousiasmant, c'est le premier roman d'Estelle-Sarah Bulle et c'est une petite pépite.
J'achète ? : Oui, sans aucun doute. Là ou les chiens aboient par la queue est un roman court, original et tonique. Un texte qui sent le soleil mais aussi la déception. Un texte où affleure le désespoir à chaque page, une oeuvre peuplée de personnages forts et marquants. Un très joli premier roman, encore une fois.

Lien : https://francksbooks.wordpre..
Commenter  J’apprécie          420
Estelle-Sarah Bulle raconte la vie de Guadeloupéens pauvres, partagés entre leur village d'origine, Morne Galant, la capitale insulaire Pointe à Pitre, qui a tellement changé en quelques décennies, et la métropole si lointaine, où les membres de la famille Ezéquiel finissent par arriver l'un derrière l'autre.

Après un début rendu un peu confus par un arbre généalogique complexe, où les surnoms prennent la place des prénoms, et par le souci de l'auteur d'authenticité, l'amenant à multiplier les formules créoles, le récit familial à quatre voix trouve sa forme.
Avec en premier lieu, un personnage haut en couleur, la volubile et volcanique « Antoine », soeur aînée, première à quitter le village pour tenter sa chance à Pointe à Pitre. Commerçante dans l'âme, elle saura toujours se débrouiller avec les affaires, comme avec les sorts, mais ne se mariera jamais, tout en gardant la nostalgie d'un aventurier rencontré lors d'une virée au Vénézuéla.
Suit la deuxième soeur, Lucinde. Plus posée, mais aussi plus désireuse de quitter sa classe sociale en se transformant en couturière, notamment pour les dames bekés.
Enfin, le petit frère, évidemment surnommé « Petit-frère », père de la quatrième narratrice, celle qui n'a connu que l'hexagone et qui ne rencontre son grand-père Hilaire qu'à l'occasion de vacances de temps en temps..
Quatre histoires racontées à la première personne du singulier, quatre points de vue sur les racines antillaises : difficulté de s'en sortir économiquement sur l'île, entre un lopin de terre toujours plus petit, une grande ville qui a progressivement transformé ses bidonvilles en HLM de béton (Pointe à Pitre), et un déracinement lointain à la recherche de postes sûrs dans l'administration.

Des quatre, Antoine est de loin celle dont le parcours est le plus original, le plus éloigné des conventions. Mais c'est de la confrontation des quatre visions de l'histoire que se dessine un peu de l'âme antillaise. Pas de facilités, pas de clichés, juste la juxtaposition complexe de destins.

Commenter  J’apprécie          410
Belle découverte que ce premier roman multi-primé qui nous emmène, à l'occasion de la quête identitaire d'une jeune métisse française, dans l'atmosphère moite et colorée de la Guadeloupe, dont on voit défiler l'histoire depuis les années 40.

Antoine, c'est la tante rebelle, forte femme attachée à sa liberté comme à son île.
Lucinde, sa soeur, a de l'or dans les doigts dont elle se sert pour assouvir ses rêves de confort et de modernisme.
Leur petit frère, c'est celui des trois qui voudra le plus vite partir loin de ses racines guadeloupéennes qui le brûlent.

la nièce, c'est celle qui va recueillir leur histoire, celle d'une famille pauvre de sang-mêlés qui a pris ses racines dans la culture coloniale française, a qui perdu ses repères qui surfé sur la vague du 'modernisme' paternaliste amené dans l'île avec De Gaulle, puis atterri, de façon plus ou moins heureuse, dans une banlieue parisienne où aucun fruit à pain ne pousse sur le béton.

Roman identitaire, réquisitoire doux-amer contre le colonialisme, "Là où les chient aboient par la queue" est avant tout une évocation formidable, grâce à ces quelques figures fortement incarnées et à une plume vive et percutante, d'une terre à la fois proche et lointaine, et de sa singularité.
Une lecture vivante et enrichissante!
Commenter  J’apprécie          392
Il est difficile de ne pas succomber au charme du premier roman d' Estelle- Sarah Bulle.
Pour commencer, un langage parsemé de mots créole qui m'a enchantée : cé la chyen ka japé pa ké, ou alors ‘A pa menm jou fèy tonbé an dlo i ka pouri ‘ 😉
Pas de panique ! La traduction est dans le texte. Il y a d'autres expressions dont on peut imaginer la traduction. C'est original et amusant.

Après la mort de son grand- père Hilaire et peu de temps après la naissance de sa fille, Eulalie sent le besoin de connaître un peu plus sur ses racines et questionne ses deux tantes Antoine et Lucinde, ainsi que son père.
C'est à travers le récit de cette fratrie très attachante que le roman prend vie et nous fait découvrir l'histoire de Guadeloupe du XX siècle, ainsi que le départ et l'installation en France des trois enfants Ezechiel. Ce sont les années 60, la période des changements et de l'exode des Antillais vers la Métropole.
Même si chacun donne aux événements sa touche personnelle, on ne peut s'empêcher d'apprécier tout le monde. C' est vrai qu'ils sont différents dans leur façon de confronter la vie, mais leur joie de vivre est bien présente et ils se soutiennent dans les moments difficiles. ‘parce qu'un frère et une soeur peuvent être comme des étrangers l'un pour l'autre, et s'aimer quand même'.
Mais l'histoire est plus large que ça. N'oublions pas la famille Lebeck qui jouera aussi un rôle dans le début et la suite des événements.
Lequel ? A vous de le découvrir!
Des bretons pauvres, une fois installés en Guadeloupe ils avaient tenté de prospérer grâce à la culture du café et du cacao. C'est de cette famille que leur grand- mère Eulalie était issue.
J'ai suivi avec plaisir le récit des quatre personnages (La nièce raconte aussi son expérience de vie) .
Mais ce qui fait vraiment la force de ce roman, c'est sûrement son personnage principal, Antoine, une femme qui n'a pas froid aux yeux et que par son caractère ne laisse personne indifférent.
C'est un livre que j'ai fermé le sourire aux lèvres, malgré la gravité de certaines choses : le racisme, les difficultés de l'exil.
Vous l'avez sûrement compris, c'est un roman lumineux, il y a de l'humour, une prose fluide, de la poésie dans les mots...
Que demander de plus ?
Un très beau moment de lecture. Vraiment.


Commenter  J’apprécie          398




Lecteurs (1013) Voir plus



Quiz Voir plus

Famille je vous [h]aime

Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

chien
père
papy
bébé

10 questions
1429 lecteurs ont répondu
Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

{* *}