Je flâne en tongs sur le chemin de la plage dans une atmosphère à l'opposée de celle qui bruine dans mes bouquins. le soleil cogne autant qu'une deuxième brune, les nuages sont aussi absents que les corps vierges de tatouages et la température semble sortir d'un fion de fiévreux. Sous mes yeux, adossée à l'échoppe d'un vendeur de carreaux, une étagère pleine à craquer d'incunables en libre-échange. Attiré comme un moustique vers un prose de nudiste, je balaye les rangées d'un index chercheur. Coincé entre un
De Villiers et un Angélique, un pavé imprimé assez gros pour être lu de loin ou avec des bras de cinq mètres. Selon ce qui se raconte sur la quatrième, rien n'a été pondu de plus génial depuis l'invention de l'omelette à la Vache qui Rit. Ramolli par l'ambiance estivale, en symbiose avec les semelles de mes tongs, j'embarque la brique, rêvant déjà, pauvre fou, aux fabuleuses heures de bonheur à portée. Il en va des oeuvres majeures comme des machines à pain, à jus ou à yaourt, quand on les déterre pour une bouchée de pain dans les vide-greniers, il y a un os.
Je suis sorti surfer un jour où le drapeau rouge flottait. Je me suis retourné au bout d'une demi-heure de combat acharné avec le shore-break ; je n'avais pas avancé plus de deux mètres par rapport au bord de la plage. Même constat ici en abordant le rivage estampillé 140. En théorie, je devrais être, à ce stade, plongé jusqu'au cou dans les énigmes tordues, tournant les pages d'un doigt enfiévré. En théorie. Retour à la couverture, l'oeuvre est écrite à quatre mains. Si j'étais mauvaise langue, j'y rajouterais un pied ou deux. Mais je ne le suis pas. Je peux me planter, mais je suppute l'un des deux d'être responsable de la partie « énigme historique » et l'autre du liant romancé. le premier dormait pendant le premier tiers. L'Hypnerotomachia Poliphili, personne n'y comprend rien, les inconscients qui ont tenté d'aborder ses côtes y ont perdu leur raison, leur existence, l'amour de leur vie, leur temps, leurs clés et le mot de passe du wii-fi. Inutile de consacrer un tiers du bouquin là-dessus. Les anecdotes du campus constituent un chouette hors sujet, ce n'est pas ça qui va nous permettre, je cite, de « percer les mystères du plus beau livre de tous les temps ». L'impression d'avoir pris du poisson au resto : le burger de la table d'à côté paraît vachement plus appétissant.
J'avoue, j'ai basculé en sprint à vitesse exponentielle. Je suis arrivé au bout comme on pioche dans un paquet de chips entamé : sans grande conviction.
Je ponds des pulps, des romans de gare. Je me suis toujours appliqué à ne pas berlurer le client sur la marchandise, aussi bien au niveau des premières que des quatrièmes de couverture. le badaud sait dans quoi il va se plonger. Sans ambiguïté. le problème de ce bouquin est là : la faute n'est pas à imputer aux auteurs, mais à l'éditeur. À vouloir à tout prix se trouver des michetons, ils se plantent de cible et se foutent de la gueule, et des écrivains, et des lecteurs. le fond de cette histoire n'est pas la résolution des mystères de l'Hypnerotomachia, mais comment ce type de quête peut basculer en obsession, façon incendie en pinède. Les fameuses énigmes ne constituent qu'un mince fil conducteur servant de trames au vrai sujet du livre.
Peut-être que le bouquin est chouette, je n'en sais rien. L'autre soir, j'ai cru commander un dessert de la famille des charlottes, on m'a parachuté une assiette de fruits rouges. Ce n'est pas que ce n'était pas bon, mais ça quand même foutu les nerfs.