Conter l'état d'âme d'un réalisateur s'apprêtant à faire un film sur le spleen d'un quarantenaire. Lui-même, étant évidemment dans un spleen incommensurable ! Pas aisé comme challenge et l'auteur ne parvient pas à nous captiver. Dommage, l'enjeu s'annonçait jouissif. Certains passages nous sauvent de l'ennui et situations répétées, mais elles ne réussissent pas à nous sortir du... spleen qui nous gagne :)))
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Mon pauvre Mezzabotta, pensais-je, n’éprouve aucun embarras, profite au mieux de cette offrande éphémère de sève pure ... Nous en éprouvons tous tôt ou tard le désir, nous nous concédons tous, périodiquement, de telles cures de jouvence, d’insouciance et de volupté ... Elles sont faites pour cela, ces diaboliques nymphettes ... Oh, il y aura un prix à payer, il faudra que tu t’y prépares ... Cette peste va te briser le cœur, c’est écrit en toutes lettres sur sa figure, dans ce regard énigmatique et madré. Toi, tu ne le vois pas, bien évidemment, car l’envoûtement provoque la cécité et met la raison en échec ...
La tenir serrée dans mes bras, sentir son cou si proche de mes lèvres, humer le parfum délicat de sa peau et apercevoir l'ondulation tribale des flammes qui se déhanchaient dans le foyer de leurs torches, la vision hypnotique des murailles antiques qui nous ceignaient, émouvantes et nobles comme des grand-mères, et les notes suaves du saxophone, des cymbales et de la guitare acoustique, cette atmosphère romantique et feutrée me fit soudain sombrer dans l'une de ces tirades pathétiques dans lesquelles les excès d'émotion et d'alcool nous entraînent inéluctablement, et dont on se maudit, le lendemain, de s'y être livré :
« Tu es tout, Claudia, en as-tu conscience ? Tu es... la première femme du premier jour de la création...
Au fond, chacun de mes producteurs aurait souhaité, comme mon père, que je devienne médecin, ou comme ma mère, cardinal, alors que moi je voulais être un marionnettiste, un saltimbanque, un bouffon, ne me soumettre à aucune règle, laisser jaillir mon imagination sans entraves, être libre comme un céphalopode dans les profondeurs de la mer.
En somme, je voulais être un artiste.
Le producteur est un homme d'affaires. En rassemblant d'importantes sommes d'argent, il rend la création artistique possible ; il faut lui en être reconnaissant. Il est d'ailleurs en cela le descendant de l'Église catholique, sans laquelle nombre de grands chefs-d'œuvre du patrimoine culturel n'auraient jamais vu le jour, mais aussi des Médicis ou des Borgia, qui étaient les producteurs artistiques de leur temps. Hélas, ces braves gens ne se contentent jamais de convoquer des artistes et de leur dire : « Je te donne tout l'argent dont tu as besoin, fais-moi une belle œuvre d'art ! », ils seraient alors des créatures divines ! Non, les producteurs prétendent systématiquement s'immiscer dans le processus créatif : ils veulent conseiller,
Je contemplai avec émoi l'ange qui jouait dans l'eau avec l'insouciance d'une lavandière. Elle avait su résister aux démons de l'argent et de la célébrité, exhalait le bonheur authentique et la douceur de vivre. Et moi, qu'en avais-je fait de mon argent et de ma célébrité ? de mes Oscars, de mon Lion d'argent et de ma Palme d'or ? Que tirais-je de cette vie d'artiste, cette vie de création et de liberté, d'honneurs, de belles femmes, de luxe et de réceptions mondaines que la planète entière m'enviait ? Absolument rien ! Je n'étais qu'un homme frustré, triste et angoissé qui avait jeté sa femme, être exceptionnel, dans les bras du chagrin et des anxiolytiques. Un homme qui se noyait dans le travail pour échapper aux difficultés, aux sentiments, à l'étouffante complexité de la vie sur Terre, ne jurant que par les studios, les marionnettes et les caméras pour reproduire un monde que je pouvais maîtriser, façonner à ma guise, baignant ainsi toujours dans un liquide amniotique qui anesthésiait mes peurs.
Je me moquais d'elle, bien évidemment, mais le fait est que la chair blanche et bombée qui jaillit du décolleté qu'elle révéla en retirant son manteau de velours noir eut sur moi l'effet d'un sortilège lascif.
Carla représentait pour moi l'attraction viscérale, le pur vice de la chair. Elle avait un beau visage, certes, était même haute de taille et bien faite physiquement – à condition bien sûr qu'on n'eût rien, ce qui est mon cas, contre les croupes larges et les hanches dodues –, mais elle souffrait en revanche de limites indéniables sur les choses de l'esprit, et dégageait un je-ne-sais-quoi de vulgaire, dans les manières, le rire et la voix, qui m'avait toujours conduit à la conserver secrète, même auprès de mes amis les plus proches.
En résidence d'écriture "Les Avocats du Diable" à la Laune (Vauvert), février 2021