Il y a vingt ans déjà je me souviens d'avoir fait, avec la conscience d'accomplir un acte presque sacré, l'acquisition de ce livre dans son édition de 1992 (Litera). Je préparais à l'époque l'épreuve (exotique) de littérature roumaine comme option au baccalauréat français, avec une sélection de textes qui comprenait « Ode (en mètre antique) ». Seul Cărtărescu pouvait me guider sur les pas du « grand poète national » sans tomber dans les écueils des clichés. À Vienne, mes remarques sur l'Ode ont été très appréciées. Depuis, il m'est néanmoins devenu difficile de me référer à celui dont la place dans la littérature roumaine, surtout à l'étranger est devenue « impossible ». Paradoxe amer s'il en est, lorsqu'on se rappelle à quel point son oeuvre est censée incarner l'universalité.
« Mon implication la plus intime dans ce bref texte éclot brusquement lorsque je me le figure, non pas comme un essai critique, mais comme une sorte de poème, d'espace géométrique où se déploient certaines obsessions et fascinations que je partage avec le romantique depuis plus d'un siècle. Il est possible que le lecteur aussi le perçoive comme tel. » le propos de Cărtărescu étant donc de contribuer à la compréhension de la poésie d'Eminescu, unique façon d'apprécier les profondeurs de ses vers.
La culture et la sensibilité du jeune Cărtărescu, poète lui-même, s'affirme dans un style simple et clair, dénué de considérations trop académiques. Exemple : « Prin fluiditatea sa, parfumul se asociază și apei: ne amintim de celebra mare parfumată a lui
Poe (To Helen). Din aceste motive, teiul înflorit devine o prezență permanentă aproape a scenei simbolice în care se desfășoară la nivelul de suprafață erosul eminescian ». (De par sa fluidité, le parfum est également associé à l'eau : on se souvient de la célèbre mer parfumée chez
Poe (À Hélène). C'est ainsi que le tilleul en fleurs devient une présence quasi permanente de la scène symbolique, sur laquelle évolue, en surface, l'eros d'Eminescu.)
Pourrait-on rêver d'un projet de traduction de cet exercice d'admiration, par les propres étudiants-admirateurs du professeur Cărtărescu ?
Gao Xingjian est convaincu que « l'homme doit laisser la trace de sa voix » à la force de sa « plume » (La raison d'être de la littérature, discours prononcé devant l'Académie suédoise le 7 décembre 2000).