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Françoise Cartano (Autre)
EAN : 9782851992055
284 pages
Henri Veyrier (01/01/1979)
4/5   1 notes
Résumé :
On a déjà fait de nombreuses lectures de Sade. Une seule manquait, et peut-être la plus éclairante pour notre époque : Sade féministe, avec pour paradoxe moteur que la pornographie se met au service des femmes !
Sade a tout compris des rapports de la politique et du sexe. La machine sadienne, que démonte admirablement cet ouvrage, est une caricature extrême de notre société : asservissement du plus faible au plus fort, de la femme par l'homme.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Angela Carter décrypte l'oeuvre de Sade selon une posture double : d'un côté elle s'attache à retranscrire et interpréter la pensée d'un auteur qui l'a beaucoup influencée. de l'autre, elle veut mettre en relief, voire dénoncer, les archétypes que l'oeuvre du Divin Marquis a contribué à propager dans la culture populaire du XXème siècle. Dans ce but, Carter analyse les ambiguïtés de cette vision a priori hostile à la femme, mais pourtant capable d'inclure les femmes dans les rangs des libertins. Elle décrit à sa façon la femme telle que Sade la conçoit, la femme sadienne.

La majeure partie de l'essai est consacrée aux deux femmes sadiennes les plus célèbres : les soeurs Justine et Juliette.
Justine (ou les infortunes de la vertu), c'est la femme-enfant. Sa naïveté et son inconscience en font une vierge éternelle, qui n'apprend jamais de ses expériences et devient ainsi un temple à désacraliser pour les libertins. Marilyn Monroe en est la fille spirituelle la plus évidente aux yeux de Carter.
Juliette (ou les prospérités du vice), c'est la femme cosmopolite et caméléon, capable de surmonter tous les attributs de la féminité (vus comme des limitations chez Sade) afin de s'arroger le sceptre du pouvoir. Pensez à une chef d'entreprise sans scrupules et manipulatrice, comme Elizabeth Holmes.

Ces héroïnes sont essentialisées par le titre même des oeuvres où elles apparaissent. Cela permet à Carter de pointer la contradiction majeure de l'univers sadien : la vertu et le vice y sont innés, alors que l'univers où ces personnages de « contes de fée » évoluent est dépourvu de « morale absolue », on ne peut pas y appliquer la fameuse maxime kantienne « agis bien parce que c'est bien », sous peine d'infortunes.

Cette contradiction illustre l'ambivalence du libertin sadien, qui prétend réaliser « la perpétuelle subversion morale de l'ordre établi » (c'est la définition de l'art selon Sade) mais ne renonce pas pour autant aux dichotomies propres à l'ordre de l'Ancien régime, à sa morale et à ses rapports de force : bien et mal, activité et passivité, domination et soumission, etc. Chez Sade, le libertin a besoin du bien et du mal, car il jouit de faire le mal, de désacraliser le temple. Cette logique s'avère étrangère aux notions d'amour libre et de sensualité : comme chez les chrétiens intégristes, le simple sexe hors mariage est criminel (sans parler de ses dérivatifs...). Ainsi le libertin sadien ne jouit-il qu'intellectuellement, en prenant conscience de violer les lois des hommes et de la nature. Sade a donc nécessairement une notion très précise des règles de la morale, qu'il retranscrit en négatif plutôt que de les déconstruire ; et l'accomplissement de sa vision s'opère ainsi dans des lieux où la débauche suit des rites d'un rigorisme quasi-mécanique, comme dans Les Cent Vingt Journées de Sodome. Pour cette raison, Carter pense que Sade est au fond resté un puritain.

Cela peut paraître d'autant plus vrai que le libertin sadien (homme ou femme) n'autorise pas l'autre à jouir. Il voit la réciprocité du plaisir comme une faiblesse de l'égo. « La réciprocité des sensations n'est pas possible, car le fait de les partager revient à en être dépouillé. »
Le sadisme est une sexualité mégalomane, ou comme le définissait Michel Foucault une « présomption sans limite de l'appétit », dont l'égotisme forcené finit par constituer une prison, car le sujet ne peut repousser éternellement les limites de son désir unique, et ne peut finalement aboutir qu'à un retour en enfance, un stade anal, « coprophile »
« le triomphe de la volonté recrée, en tant qu'Utopie, le monde de la petite enfance, or il s'agit d'un monde de cauchemar, d'impuissance et de peur, où l'enfant, à partir de sa propre absence de pouvoir, conçoit le fantasme de sa suprématie absolue. »
Cette « saint terreur de l'amour », régressive par nature, s'est durablement implantée dans l'imagerie culturelle et les comportements modernes (comme dit plus haut), ce qui fait obstacle à l'émancipation de la femme, selon Carter.

Réhabiliter l'amour via le plaisir mutuel dans les relations sexuelles aussi extrêmes soient-elles, c'est le point de vue qu'elle défend de façon sous-jacente, sans jamais se lancer dans un long prêche féministe. On peut en trouver la trace dans sa fiction, qui, non sans rappeler la description sadienne de l'art, s'attache souvent à subvertir... l'appétit sadien, en mettant son pouvoir transgressif au service d'un plaisir plus universellement partagé.

Cet essai stimulant dans tous les sens du terme peut se lire selon cette perspective ou bien par simple curiosité pour l'oeuvre du Divin Marquis et de son impact jusque dans certains courants féministes.
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
(au sujet de Sade)

Son destin s’est révélé particulièrement moderne : se retrouver emprisonné sans procès, sous prétexte de crimes qui n’existaient essentiellement que dans l’esprit. Il n’est ni surprenant que Justine évoque Kafka, avec ses images dominantes de procès et de châteaux, ni que cette oeuvre nous soit parvenue depuis le confinement de son créateur lors du début de la période moderne dont elle a constitué l’un des livres précurseurs, malgré la censure. Le sadisme, suggère Michel Foucault, n’est pas une perversion sexuelle mais un fait culturel ; la conscience d’une « présomption sans limite de l’appétit ». L’oeuvre de Sade, avec son attraction compulsive pour l’imagination transgressive des romantiques, s’est avérée capitale dans la gestation de la sensibilité moderne ; sa paranoïa, son désespoir, ses terreurs sexuelles, son égocentrisme omnivore, sa tolérance pour le massacre, l’holocauste, l’annihilation.

His was a peculiarly modern fate, to be imprisoned without trial for crimes that existed primarily in the mind. It is not surprising that Justine, with its dominant images of the trial and the castle, recalls Kafka, nor that it arrives to us out of the confinement of its creator at the beginning of the modern period of which it is one of the seminal, if forbidden, books. Sadism, suggests Michel Foucault, is not a sexual perversion but a cultural fact; the consciousness of the ‘limitless presumption of the appetite’. Sade’s work, with its compulsive attraction for the delinquent imagination of the romantics, has been instrumental in shaping aspects of the modern sensibility; its paranoia, its despair, its sexual terrors, its omnivorous egocentricity, its tolerance of massacre, holocaust, annihilation.
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La mort solitaire de Marilyn par intoxication aux barbituriques, nue, dans son lit, une mort vénérée et désirée par tous les nécrophiles, est la version contemporaine de l’éclair qui foudroie la blonde douce et idiote, l’agneau aux yeux bleus et à la toison d’or que l’on immole sur l’autel du monde. (…) Depuis l’enfance, elle baignait dans les doctrines de la Science Chrétienne : « l’amour divin a toujours satisfait et satisfera toujours tous les besoins humains » : la propre maxime officieuse de la pieuse Justine dans un roman qui constitue le pèlerinage de l’âme en quête de Dieu, écrit par un athée.

Marilyn’s lonely death by barbiturates, nude, in bed, a death adored and longed for by all necrophiles, is the contemporary death-by-lightning of the sweet, dumb blonde, the blue-eyed lamb with the golden fleece led to slaughter on the altar of the world. (…) Since a child, she had been steeped in the doctrines of Christian Science: ‘Divine love has always met and always will meet every human need’, the pious Justine’s own, unspoken maxim in a novel which is the pilgrimage of the soul in search of god written by an atheist.
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La chair possède des orifices spécifiques pour contenir la bite qui la pénètre, mais la relation entre la viande et le couteau est plus aléatoire : un coup n’importe où peut convenir. Sade explore les possibilités sexuelles inhumaines de la viande ; c’est une erreur de penser que ses personnages sont faits de chair. Il n’y a rien de vivant ou de sensuel chez eux. Sade est un grand puritain et il est mené à aseptiser la sensualité dans tous les sujets qu’il aborde ; ainsi ne décrit-il les relations sexuelles que selon le lexique de la boucherie et de la viande.

Flesh has specific orifices to contain the prick that penetrates it but meat’s relation to the knife is more random and a thrust anywhere will do. Sade explores the inhuman sexual possibilities of meat; it is a mistake to think that the substance of which his actors are made is flesh. There is nothing alive or sensual about them. Sade is a great puritan and will disinfect of sensuality anything he can lay his hands on; therefore he writes about sexual relations in terms of butchery and meat.
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L’une des plus cruelles leçons de Sade est que tout privilège entraine implicitement la tyrannie. Ma liberté entrave la tienne, à moins qu’elle ne la reconnaisse aussi.

One of Sade’s cruellest lessons is that tyranny is implicit in all privilege. My freedom makes you more unfree, if it does not acknowledge your freedom, also.
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