Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. Elle est parue directement sous la forme d'un récit complet en 2015, sans prépublication. Elle est l'oeuvre de
Jonathan Case, un auteur complet : scénario, dessins, encrage, mise en oeuvre d'une unique couleur bleu-gris par le biais de lavis. Il est également le dessinateur de Green River killer, et l'auteur complet de Dear creature.
L'histoire se déroule à New York en 1936. Frank O'Malley est un garçon d'ascenseur au Waldorf Astoria. Il distribue des tracts dans la rue pour promouvoir une représentation de Macbetth de
Shakespeare, interprétée par des afro-américains. Il conseille à son oncle Pack d'être moins agressif envers les passants lorsqu'il essaye de leur vendre des pommes à l'unité, (6 cents la pomme). Lorsque l'heure est venue, il se rend à son travail au Waldorf où il croise Gil (un autre garçon d'ascenseur) qui lui reproche d'être en retard. O'Malley commence par prendre en charge les bagages de 2 hommes d'affaire qui ont retenu une chambre au dernier étage. le grand bond ne lui donne pas de pourboire, mais lui demande d'aller faire le plein de son étui à cigarettes, avec des Chesterfield.
En se rendant au buraliste de l'hôtel, O'Malley aperçoit une porte de chambre ouverte, avec un coffre à bijoux ouvert bien en évidence. La tentation est trop forte, mais il se fait surprendre par Theresa Harris (une femme de ménage de couleur) qui lui intime de tout laisser en ordre. En redescendant, il a la mauvaise surprise de voir que Jack Helmer est de retour pour prendre une chambre à l'hôtel. Il lui doit encore 400 dollars perdus au poker. Helmer le repère immédiatement. Un peu plus tard, O'Malley aide une cliente magnifique (Nina Booth) à amener ses bagages jusqu'à sa chambre.
L'éditeur Dark Horse entretient une ligne de comics originaux, favorisant des créateurs indépendants. La curiosité du lecteur est donc éveillée par chaque ouvrage de cette collection, d'autant plus qu'il en parait assez peu. En feuilletant rapidement cette bande dessinée, le lecteur apprécie le dessin naturaliste sans être chargé, le parti pris de se restreindre à une seule couleur, et des images descriptives, sans être photographiques.
L'auteur a choisi de raconter une sorte d'aventure, de type réaliste : un vol dans un grand hôtel. L'enquête est menée hors champ du récit, ce dernier se focalisant d'abord sur Frank O'Malley, puis sur Theresa Harris. le premier est un jeune homme appartenant au prolétariat, devant se soumettre aux exigences des clients qui le considèrent comme un larbin. Il présente un caractère enjoué, agréable avec Theresa, plein d'entrain. Sans qu'il soit besoin d'explication ou de longue exposition, le lecteur comprend que son statut d'employé est révocable à la première plainte, et qu'il ne doit pas toucher lourd. C'est un jeune homme sympathique qui génère immédiatement de l'empathie, malgré son inclination à être tenté par un petit larcin.
Le premier rôle féminin suscite encore plus la sympathie. Comme pour O'Malley, le lecteur n'apprend rien sur son histoire personnelle, juste sa situation présente : employée de couleurs à une tâche subalterne dans un grand hôtel, soumise au racisme quotidien et banal. Elle aussi joue son emploi à chaque remarque d'un client. Dans son temps libre, elle est actrice de théâtre dans une troupe amateur appelée Mercury Theatre et dirigée par un jeune Orson Welles (authentique) qui monte une représentation de
Macbeth.
Le lecteur un peu curieux apprécie la qualité des références historiques discrètes qui parsèment le récit. Orson Welles a effectivement dirigé cette troupe de théâtre pour monter ladite pièce dans une version avec une distribution entièrement afro-américaine (appelée Vaudou
Macbeth), et la mise en scène a servi de base pour son adaptation cinématographique
Macbeth de 1948. Il apparait Canada Lee, un véritable acteur de l'époque, défenseur des droits des noirs américains.
Jonathan Case met également en scène le racisme ordinaire de l'époque, sans misérabilisme.
Le temps investi pour les recherches se voit également dans les dessins. le regard du lecteur s'attarde sur les tenues vestimentaires d'époque, sur les accessoires tels que les valises ou les malles de voyage, ou encore sur les modèles de voiture.
Jonathan Case ne joue pas la surenchère en termes d'éléments d'époque authentique. Il privilégie des dessins lisibles, tout en maintenant une densité d'informations visuelles satisfaisante. Il simplifie les traits des visages pour les rendre plus expressifs, sans qu'ils n'en deviennent caricaturaux. Il n'y a que pour les tenues de Nina Booth qu'il se lâche un peu plus dans la fantaisie, en cohérence avec le caractère gentiment direct de cette femme. Il soigne également ses différentes coiffures.
Jonathan Case commence son récit sur une base de 5 ou 4 cases par page, pour finir sur une base de 4 ou 3 cases par page. Ce nombre relativement limité de cases par page donne une narration aérée et concise, ce qui lui permet d'intégrer un bon nombre d'informations visuelles par case sans donner l'impression de gaver son lecteur. L'artiste rend chaque scène vivante que ce soit par une alternance de cadrages et un langage corporel approprié pendant les dialogues, ou par des mouvements réalistes et vifs lors des séquences d'action. le lecteur éprouve l'impression de voir évoluer des individus normaux et plausibles, sans capacité physique extraordinaire, sans comportement aberrant.
Le lecteur se laisse donc porter par ces dessins agréables, cette ambiance rétro consistante et vraisemblable, et ce jeune homme plein d'allant, éprouvant un béguin pour Theresa, sans aucune arrière-pensée sur la différence de leur couleur de peau. le scénariste développe une intrigue concrète et consistante. Il y a donc un vol de bijou (un collier de chien avec des pierres précieuses a été dérobé dans l'hôtel). Il s'en suit une enquête, avec intervention de la police dans l'hôtel, interrogation du petit personnel, à commencer par la femme de chambre noire (Theresa). Mais l'histoire n'est pas racontée du point de vue de la police, elle l'est du point de vue de Frank O'Malley et de Theresa Harris. L'auteur reste dans un registre réaliste, sans intervention du surnaturel, sans exploits physiques spectaculaires. Il n'y a qu'un autre vol réalisé d'une manière qui sort de l'ordinaire, sans trop tirer sur la corde de la suspension consentie d'incrédulité.
Le récit repose donc sur un double suspense : celui de l'identité du voleur, et celui de savoir comment O'Malley et Harris pourront éviter de prendre à la place du véritable coupable. En filigrane,
Jonathan Case dépeint également la société de l'époque, par petites touches, sans prétendre à l'exhaustivité, sans transformer son récit en analyse sociologique, encore moins en pamphlet. Il montre la condescendance qui pèse sur Theresa Harris du fait du couleur de sa peau. Ça va de la répugnance raciste de madame Pendleton (la propriétaire du chien dont on a volé le collier précieux) aux a priori ordinaires envers cette citoyenne de seconde classe. Il faut que le lecteur ait en tête l'existence du racisme pour qu'il le reconnaisse dans certaines réactions ou certains comportements. le scénariste ne matraque par le thème. Il montre également la condition du prolétariat, la manière dont Frank O'Malley et Theresa Harris sont prisonniers d'un système de classe, sans espoir de profiter des opportunités qu'offrent le capitalisme à l'américaine. Ils sont nés pauvres. Ils sont partis pour trimer toute leur vie avec un salaire minimum, sans espoir de progression sociale. Il est évident qu'ils ne deviendront jamais des clients du Waldorf Astoria. À nouveau, le lecteur le constate par leur quotidien, sans que le scénariste ne l'explique ou ne l'expose.
Le titre du récit renvoie à la politique interventionniste menée par le président américain
Franklin Delano Roosevelt de 1933 à 1938, pour lutter contre les effets de la Grande Dépression aux États-Unis. Dans la première séquence, le lecteur peut voir la rémanence des effets de la Grande Dépression, dans le petit boulot exercé par l'oncle Pack : vendeur de pomme à l'unité sur un coin de trottoir. Par contre, le récit n'évoque pas nommément la politique du New Deal, ni n'en montre les effets. le plafond de verre est bien présent, et l'ascension sociale du prolétariat n'est pas au programme. le titre renvoie donc plutôt au changement de situation des 2 principaux protagonistes apporté par le dénouement.
À la fin du tome, le lecteur constate qu'il a passé un très agréable moment de lecture. Les dessins sont très agréables à l'oeil, tout en restant à destination des adultes. le récit se déroule à bonne allure sans être épileptique. Les personnages sont sympathiques et humains. La narration est assez légère, sans être superficielle car elle évoque en creux une réalité sociale et historique. 4 étoiles pour un récit peut-être pas tout à fait assez ambitieux. 5 étoiles pour un récit intelligent et sans prétention.