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3,69

sur 781 notes
Un manuscrit de l'un des plus grands auteurs du XXème siècle, retrouvé et édité 60 ans après sa mort, un auteur qui a marqué plusieurs générations à la fois pour son écriture époustouflante et pour ses prises de position antisémites et de collaboration avec le régime d'occupation en 39-45, qui fascine certains, en dégoute d'autres, et les deux souvent… comment, pourquoi émettre un jugement, pire, une note sur 5 ???
Evidemment, ça n'est pas achevé (et on sait que Céline travaillait comme un forcené ses textes jusqu'à obtenir… et les retravaillait encore !), évidemment ça pourrait paraître aujourd'hui sous la plume d'un inconnu que ça ferait le même choc littéraire, évidemment les conditions rocambolesques de survie du manuscrit comptent autant que le texte lui-même, évidemment ça ne vaut pas le Voyage et la suite, évidemment on va avoir l'air d'un c… si on ne l'a pas au minimum parcouru, évidemment…
C'est un manuscrit unique, c'est Céline, la question de savoir si « ça vaut la peine » de le lire est presque obscène. Qu'on soit amateur ou inconditionnel de Céline, on le lit (ça n'est pas bien long) et on attend le suivant (Krogold c'est un fake?).
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On savait ce que Barbusse, Barthas, Dorgelès, Drieu La Rochelle, Giono et les autres avaient dit de la guerre, qui devait être la der des ders. Mais Céline, lui, on ne savait pas dans le détail et ce, même si la guerre hantait son oeuvre.

On savait aussi que des manuscrits avaient été « détruits » par des résistants du dernier quart d'heure, les mêmes qui avaient dû crier « Vive Pétain ! » en 1940 et crier ensuite « Vive de Gaulle ! » en 1944. Versatilité de l'espèce humaine, aurait dit Céline…

Cependant, les résistants en question n'avaient finalement pas eu la bêtise crasse de pulvériser l'écriture de Céline. Alors l'un d'eux a planqué lesdits manuscrits et, longtemps après, les a refilés à un journaliste – nom de plume : Jean-Pierre Thibaudat –, qui a fait l'objet d'une plainte légitime de la part des ayants droit de l'écrivain. Plainte classée sans suite…

Le sieur Thibaudat a tout de même séquestré ces manuscrits pendant environ quinze ans, histoire de contenter ce mystérieux lecteur les lui ayant remis, à la condition que la veuve de Céline n'en profite pas de son vivant. Lucette Almansor, devenue Destouches en 1943, est décédée en 2019, à l'âge très honorable de 107 ans ! Dès lors, les manuscrits ont refait surface…

Seulement voilà, nous avons été privés, durant de nombreuses années d'un joyau littéraire qui nous parvient aujourd'hui brut, sans les retouches de Céline, même si cela demeure prodigieux sur le plan littéraire.

Et ne comptez pas sur moi pour tartiner sur les pamphlets de Céline et autres poncifs qui permettent aisément de mettre sous le tapis des vérités comme celle d'un Mitterrand longtemps ami, après-guerre, avec l'homme qui livra les enfants juifs aux Nazis : René Bousquet.

Guerre est là et bien là. Et il envoie du lourd, de l'aussi lourd que les marmites et autres shrapnells qui pleuvaient sur la tête du maréchal des Logis Destouches, blessé en Belgique en octobre 1914. Guerre qui, comme il est dit en appendice, « comble un vide sur un épisode capital de la vie et de l'oeuvre de l'écrivain, avec un récit qui, s'il est de premier jet, est largement représentatif de son écriture ».

Je pourrais vous dire en long, en large et en travers que c'est génial, que cette pulsion romanesque – la vérité de Destouches étant malaxée par l'imagination de Céline, comme dans toute son oeuvre – est fulgurante, qu'elle arrive comme un souffle violent dans le paysage terne et poussif de la littérature française actuelle, ou prétendue telle. Céline nous avait prévenus : « La merde a de l'avenir. Vous verrez qu'un jour on en fera des discours. »

Mais mieux vaut lire Guerre, dont voici quelques extraits qui frappent comme des balles de mitrailleuse, dans une écriture qui ne ressemble qu'à elle-même et raconte tout ce qui est possible de dire sur l'espèce humaine dans ses oeuvres :

- « Je crois plus aux facilités. J'ai appris à faire de la musique, du sommeil, du pardon et, vous le voyez, de la belle littérature aussi, avec des petits morceaux d'horreur arrachés au bruit qui n'en finira jamais. »
- « Ҫa brille pas fort l'espérance, une mince bobèche au fin bout d'un infini corridor parfaitement hostile. On se contente. »
- « Fallait pas que je fasse beaucoup d'appels aux souvenirs, ça me gâtait ma journée. C'est incroyable ce que j'en avais pas beaucoup qu'étaient marrants. »
- « Ils parlaient tous une langue bizarre, à vrai dire, une grande langue de cons. »
- « À tant d'années passées, le souvenir des choses, bien précisément, c'est un effort. Ce que les gens ont dit c'est presque tourné des mensonges. Faut se méfier. C'est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie. »
- « C'est écoeurant quand on a vu pendant des mois les convois d'hommes et de tous les uniformes défiler dans les rues comme des bancs de saucisses, kakis, réserves, horizons, vert pomme, soutenus par les roulettes qui poussent tout le hachis vers le gros pilon pour cons. »


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Soixante ans après sa mort, trois inédits de Céline ont été retrouvés. « Guerre », écrit en 1934, soit deux ans après la publication du « Voyage au bout de la nuit », en est le premier opus.
Tout a peut-être écrit sur la guerre de 1914-1918, cette immense boucherie absurde qui ne régla aucunement la question de la haine entre les peuples puisque, vingt plus tard, éclata le conflit le plus meurtrier de toute l'histoire de l'humanité.
À mon sens, seul Louis-Ferdinand Céline a su saisir, au plus près, et dans son entièreté, toute l'horreur de la « Der des Ders » dont il fut l'un des acteurs. Comme des millions d'hommes qui n'en sortiront pas indemnes.
Tout commence sur un champ de bataille. Ferdinand, le narrateur, est seul. Ses camarades gisent, inertes, victimes des combats. le survivant est blessé au bras et à l'oreille gauche.
« J'ai attrapé la guerre dans ma tête » écrit-il. Elle ne la quittera plus jamais.
Soigné dans un hôpital, il est bichonné par une certaine Mlle L'Espinasse, modèle de dévouement ou de perversion, c'est selon, qui se dépense sans compter pour adoucir les souffrances de ses protégés. Même les cadavres sont les objets de ses attentions !
Les relations entre le blessé et l'infirmière vont donner lieu à des descriptions très crues auxquelles Céline ne nous avait pas habitués, sauf dans « Mort à crédit ». Pour Ferdinand, le sexe est la preuve qu'il est bien vivant.
Il se lie aussi d'amitié avec un certain Bébert, un maquereau de la pire espèce.
Si « Guerre » n'est qu'un premier jet et que Louis-Ferdinand l'aurait très sûrement peaufiné, il n'en reste pas moins que ce roman plus ou moins autobiographique est de belle facture.
On reconnaît bien le style expressionniste, truculent, inventif, explosif et délirant d'un Céline, plus misanthrope que jamais, dont le double est pris au piège de ses pulsions de vie et de mort.
En devenant un poilu, Ferdinand est entré dans le monde des adultes. Il doit alors faire le deuil de son enfance évanouie...
Et, si on rit beaucoup aux excès de l'auteur, on compatit avec lui, confronté à cette perte et à la douleur provoquée par la guerre à jamais gravée dans son corps et son esprit, l'affliction étant renforcée par l'incompréhension de ceux de l'arrière.


EXTRAITS
- J'ai appris à faire […] de la belle littérature aussi, avec des petits morceaux d'horreur arrachés au bruit qui n'en finira jamais.
- Même si on n'avait plus que dix minutes à vivre on chercherait encore de l'émoi tendre d'antan.
- Il pouvait jamais plus arriver que du pire.
- C'est putain le passé, ça fond dans la rêvasserie.
- J'en avais marre […] d'être en pièces de la tête depuis les idées, l'oreille jusqu'au trou du cul, je voulais me réparer d'une manière ou d'une autre.




Lien : http://papivore.net/litterat..
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Je n'ai pas réussi à "entrer" dans Voyage au bout de la nuit; je me suis dit que ce court roman autobiographique pourrait me faire revenir vers Céline.
Et bien non. Rien ne me plaît, ni le sujet, ni le style, ni l'auteur. Les mots d'argot ne font pas à eux seuls un texte brillant, original, profond. Ca suinte la cruauté, l'ennui, la bêtise. D'accord c'est un premier jet, mais l'esprit est là.
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Cet ouvrage est constitué de documents inédits retrouvés récemment et relatifs à une partie de la vie de l'auteur qui y raconte sa participation à la guerre de 1914, les blessures dont il a été victime et son hospitalisation qui a suivi. La première partie, véritable cri de douleur et de souffrance semble décrire une réalité brute de fonderie figurée par l'emploi des mots crus de soldat et constitue un témoignage précieux sur les séquelles des souffrances endurées par l'auteur. La suite, les soins à l'hôpital et l'environnement décrits, sans doute inspirés des personnages réels rencontrés semble avoir fait l'objet de compléments romanesques avec les qualités littéraires qu'on connaît de l'auteur, son goût pour les scènes de sexe et ses outrances libertaires. du grand cru de Céline, à la hauteur de « mort à crédit » et de « voyage au bout de la nuit »
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Nous sommes en Guerre, disent les fanas de Céline.
Humour.

J'ai terminé à mon immense regret "Guerre". C'est malin ça, il faudra attendre septembre pour la suite.

Quelle émotion qu'a procuré l'achat de ce livre
Vous pensez depuis le temps qu'on parle des manuscrits disparus. Qu'à la fin, on y croyait plus jusqu'à ce qu'ils soient retrouvés.

Je remercie les éditions Gallimard et les ayants droits de Céline/Destouches pour leur travail d'édition

Que penser de ce livre ?

Il faut dire que Céline n'a pas pu travailler comme d'habitude ces écrits. On sait pourquoi. On est donc face à un premier jet... Un canevas. Je vais meme dire un plan. Un plan plat que Céline aurait pu mettre du relief, corriger, mettre de la matière... Tortiller la langue comme il aimait tant faire, ses petites épingles à linges pour des feuillets etc... de ce plan on aurait eu la maquette. Mais on en est pas la, ce n'est pas à moi simple lectrice d'imaginer le travail de l'auteur. Il est vrai que chaque lecteur a son "Guerre" propre si on réfléchit sur ce livre.

Mais déjà, on peut remarquer le génie de l'écriture. Ses aphorismes, ses coups de sang. Désabusé de la race humaine et de son hypocrisie. Des scènes d'anthologie. La sombre description de ses parents, un moment de lecture très fort.Même imparfait (car pas travaillé par l'auteur, je me répète) ce livre est un chef d'oeuvre. Un chef d'oeuvre entouré de l'affection des lecteurs de Céline.

C'est pour cela que j'aimerai toujours la littérature. Pour ce gère de surprise Ce qui me fait plaisir c'est qu'on reconnaît enfin les qualités d'écriture de Louis Ferdinand. On en parle (on fini par oublier les écrivailons et c'est tant mieux. C'est qui le patron ?). Il ne manquerait plus qu'il soit best seller, en rupture de stocks et en réimpression. Cela serait assez cocasse. Pour une fois, les gens vont lire de la vraie littérature.
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Je trouve immonde de porter aux nues ce texte vraiment dégoûtant. Les élucubrations intérieures de ce petit monsieur me font vomir (tout comme lui qui vomit tout au long de l'histoire suite à ses gravissimes blessures de guerre). Ce qu'il raconte heurte ma sensibilité de femme et je n'y vois aucune poésie. Un réalisme certes mais dans une prose qui, à mes yeux, n'a rien de littéraire.
Franchement, j'en ai marre de ces idolâtres de Céline. Parlons plutôt de Jean Genet qui, lui, avait un vrai talent d'écrivain, même dans les scènes les plus scabreuses.
La pub faite autour de ce manuscrit retrouvé, édité et qualifié de "chef-d'oeuvre" est une opération commerciale parfaitement orchestrée. du grand n'importe quoi.
Céline est un individu écoeurant de machisme et de violence. Peut-être conforte-t-il intérieurement ces hommes qui aiment lire des fantasmes de romans de gare bien obscènes où les femmes sont uniquement de la "chair à bites" tout comme monsieur Céline fut uniquement de la "chair à canon" dans la glorieuse armée française. Quant aux scènes soi-disant érotiques, elles s'apparentent à des viols
Si on y regarde de plus près, l'une des constantes de nombreux soldats de toutes les armées du monde c'est de violer les femmes de l'ennemi. Elles sont le "butin de guerre" que le troufion lambda peut s'approprier, tout en imaginant (c'est typiquement machiste) que la donzelle est consentante (ou va le devenir pendant l'acte). Après usage, il semble qu'on a aussi le droit de tuer la dame (réf. témoignage de deux soldats Russes en Tchétchénie, entendu sur France-Culture il y a de nombreuse années).
Pas étonnant que, par la suite, quand le juif a été désigné comme l'ennemi, la logique de Céline n'a pas bougé d'un pouce.
Quand on méprise son semblable au point de le considérer comme un être inférieur, on peut lui faire subir les pires tortures puis s'en débarrasser comme d'un vieux torchon, persuadé qu'on en a le droit !
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C'est en voyant sortir ce titre, Guerre, en 2022, que je me suis dit que je devais lire Voyage au bout de la nuit avant. Connaitre un peu le style et l'univers de Louis Ferdinand Céline avant de lire ses manuscrits retrouvés me semblait une bonne idée. C'est en version poche que je me replonge dans la gouaille du fameux écrivain.

Guerre est un roman probablement semi-autobiographique qui raconte Céline après une blessure de Guerre. Avec une irrévérence coutumière, il raconte la vie dans les infirmeries, les autres blessés, les magouilles et les mensonges. Tout pour ne pas être renvoyé au front.

Avec une franche absence de complexes sur son côté licencieux et fraudeurs, Céline décrit l'autre humanité, celle des lâches, des profiteurs, des fourbes et des voleurs. Habitué aux récits héroïques, on se voit tous un peu comme la personne qui aurait fait acte de bravoure. Céline remet l'humanité à sa place car à travers lui, on a l'autre versant de ce que nous sommes aussi. Et c'est pas très beau.

En tous cas, la lecture en est joyeuse tant le verbe de l'auteur est en tous libre dans ce texte. Si vous aimez Céline, vous aimerez Guerre, sinon, passez votre chemin.
Lien : http://livrepoche.fr/guerre-..
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Au nom de quoi aurais-je dû m'empêcher d'acheter ce livre ? Peut-être parce qu'il s'agit de Céline, ou peut-être encore parce qu'il est question en loin de manuscrits « volés ». Mais quoi ? Vole-t-on encore un mort ? À vrai dire, l'annonce de la sortie de plusieurs inédits de Céline m'a fort réjouie et m'a conduite à une quasi exception : j'ai acheté un nouveau Gallimard - en tête de gondole- chose que je n'avais plus fait depuis « Les Bienveillantes ». J'ai lu et entendu comme certains de mes amis ou connaissances sont sont sentis bien embarrassés d'aller acheter le « nouveau » Celine. Une sorte de honte coupable, un peu comme lorsque l'on va acquérir un jouet à caractère pornographique. Moi pas. C'est par le seul hasard que j'ai commandé l'oeuvre via Internet. Je l'ai d'abord demandée en magasin et il y était en rupture de stocks, voilà tout. Numéro un des ventes durant plusieurs semaines au point qu'il fût absent de certaines grandes enseignes quelques temps (comme quoi, il reste encore des lecteurs), ce livre n'aura donc pas tant embarrassé que cela. Pour ma part, j'aurais plutôt honte de demander un Levy ou un Despente. Lire Céline reste à mon sens non l'apanage de l'antisémite mais du lecteur exigeant.
Je n'avais pas d'attentes particulières mais une grande curiosité, et c'est heureux : j'aurais peut-être été un peu déçue. Ce « Guerre » que l'on nomme roman et qui semble être le brouillon de quelques chapitres seulement d'un roman d'envergure - j'ai logiquement pensé à une partie non retenue du Voyage au bout de la nuit- n'atteint pas le point d'excellence du roman que je viens de citer. Et c'est logique et normal : on dirait un premier jet, une ébauche non relue, une écriture trop brute, non encore travaillée. Et cette idée de brouillon (je n'ai fait aucune recherche sérieuse sur le sujet, et peut-être que je me trompe, qu'il ne s'agit pas d'un brouillon) en dirait long sur la manière de procéder de Céline : une sorte de frénésie d'abord, un déballage (un degueulage) de ses souvenirs et pensées avant une relecture et réécriture plus minutieuse plus tard. On notera les nombreuses répétitions notamment, l'impression d'une oeuvre non aboutie, dans le style autant que dans l'intrigue, et une vulgarité un peu poussée à l'extrême (on peut imaginer que Céline pensait ainsi, en mots orduriers naturellement, puis se surveillait un peu ensuite afin que son travail soit publiable). On est un peu au-delà de la langue populaire qu'on lui connaît et de ce style, si fort, en langue parlée mais travaillée. Là, on dirait une version non expurgée de Céline, et c'est presque drôle d'imaginer Céline se reprendre en réécriture, décider qu'il était allé trop loin, soigner un peu ce langage putassier, et surtout de se figurer que les premières versions de ses romans publiés aient pu être épurées par lui-même ou un éditeur. J'aurais aimé, en ce cas - mais j'extrapole nettement - lire les brouillons entiers de tous ses romans.
J'ai logiquement pensé au Voyage au bout de la nuit car il est facile d'insérer ce « passage » dans le roman, de deviner précisément où il se situe. Et pour cause : Céline n'invente rien au juste, il revisite son passé, romance son expérience. Et même, ce « Guerre » me fait songer à une pièce de puzzle seule, isolée, à un élément séparé d'un tout. Il y manque quelque chose en structure, peut-être un début et une fin.
Voici donc Ferdinand, celui de 1914, vautré dans son sang, la tête et les oreilles ahuries de bruits de détonations, blessé de guerre et hospitalisé dans une sorte d'hôpital dans lequel il est « pris en charge » par une singulière infirmière, l'Espinasse. Ah, c'est bien drôle tout de même, ces soins médicaux faits essentiellement de sondes urinaires. Comique comme tout, cette convalescence. C'est que cette fille donne de sa personne pour les soldats, ça on peut le dire. Voilà : les enfants de la patrie ont fait don d'eux-mêmes au nom de la nation, et à son tour, la lubrique infirmière le leur rend bien en quelque sorte. Elle sonde, branle, suce aussi un peu. N'importe leurs blessures, ils doivent être tous sondés parce que « le médecin l'a ordonné ». Cet abus de pouvoir sur des soldats souvent alités est d'une belle drôlerie : elle les viole un peu entre deux soins, et personne ne s'en plaint.
Le médecin, lui, est tout aussi dérangé : il ne pense qu'à opérer. Ça ampute à tout bout de champ, ça veut tenter une chirurgie du cerveau. Il s'exerce en somme. Et les autres soldats, eux, sont tous un peu délurés, escrocs, opportunistes. Voilà là le décor. Céline redessine un hôpital de guerre à sa façon de morgue et de dérision qu'on lui sait. Et soudain le lieu morbide devient une scène de théâtre de boulevard, un truc comique aux scènes cocasses. Et c'est drôle, très drôle. L'humour de Céline est savoureux, mêlant dérision et autodérision. Tout est d'une stupidité et d'une absurdité ahurissantes, tout comme l'est la guerre. Ils sont tous fous : soldats, médecin, infirmière. On croirait un asile plutôt qu'un hôpital de guerre. Et Ferdinand est déjà un peu le « salopard » que l'on connaît, celui qui a envie de gerber en voyant ses stupides parents débarquer. Non qu'il les déteste, seulement il les sait si bêtes et si petits qu'il ne peut s'empêcher de le dire, voilà, et avec la liberté qu'on lui sait. Il a de médiocres parents, comme tous les gens qui l'entourent, et aussi mesquin, pingres et imbéciles, il n'y peut rien au juste. Faudrait-il les aimer parce qu'ils sont ses parents ? Non pas. Ferdinand est déjà si loin qu'il appartient à une autre espèce qu'eux, qu'aucun dialogue véritable n'est plus possible. Il les voit comme on regarde avec hauteur un tas de fumier. Ah, que j'aime cette « arrogance » qui n'est au fond que lucidité amorale. C'est à peine de l'insolence, au mieux de la froideur saine. Ses parents ne sont dignes que de mépris, alors pourquoi s'empêcher de le dire? D'ailleurs ce « roman » réapparu donne néanmoins une information importante : on comprend que la personnalité de Ferdinand ne s'est pas forgée après guerre, que son mépris n'est pas un « traumatisme de guerre », en ce qu'il insinue qu'il a toujours trouvé ses parents insuffisants et même horriblement cons.
Dans les odeurs de pisse et de sang, de vomi, de médicaments et de membres amputés, il reste pourtant cet élan de vie, cette sorte de puissance incarnée notamment par la L'Espinasse : quand on est encore baisé, quand on peut encore bander, on est bien vivant. Et cette folle lubrique obsédée de bites sous couvert de sonde urinaire est tout aussi efficace que n'importe quel remède médical. le soldat diminué est encore homme tant qu'il est branlé. Il y a la guerre, la peur qui fait qu'on chie dans son froc, puis l'odeur de son sang chaud, la douleur de ses blessures, l'hôpital et les branlettes de l'infirmière, l'imbécilité notoire des êtres qui l'entourent, et pour tout cela, voilà qui est l'apothéose de l'absurdité : la médaille de guerre. Ferdinand la reçoit sans grande fierté : il a conscience qu'elle ne tient qu'à un pur hasard, qu'à un concours de circonstances. Il n'est point un héros de guerre. S'il avait pu déserter sans risque, éviter les balles, faire tuer un autre pour épargner sa vie, il est évident qu'il l'aurait fait. D'ailleurs, ils éprouvent, tous autant qu'ils sont, une sorte de malaise quand on vient arrêter un déserteur. C'est que tous le sont plus ou moins, ou a minima se réjouissent fort de leur blessure à partir du moment où elle n'est pas mortelle. C'est toujours ça de gagné, et ça rêve de rentrer à la maison. Nul héros de guerre mais une bande de cons qu'on à envoyés se battre à grands coups de pieds au cul, ou menace d'être fusillés. Tous lâches au fond, se foutant éperdument du sort de la patrie pourvu qu'ils soient renvoyés à la maison.
Ah que c'est drôle, absurde et consternant à la fois. Et cependant, rien ne donne plus une impression de réel que ce récit où toute l'absurdité d'une situation est exacerbée de manière magnifiquement éhontée. Tout y est cru, brut, d'une formidable indécence. Tout pue la chair à canon décomposée et les odeur putrides d'un hôpital de fortune mêlée aux odeurs de foutre des soldats. Et au fond, ce sont les pauvres esprits étriqués, fous, médiocres, qui sentent plus fort que les corps. Et tout y est beau parce qu'au fond, tout y est vrai (selon la définition du roman réaliste De Maupassant).
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Alors bien sûr il y a eu toute cette histoire autour des manuscrits retrouvés : où étaient-ils passés ? comment sont-ils réapparus ? Quel foin.

Le plus important n'était pourtant pas là. le plus important est le texte de Guerre. Et cette vérité : Céline reste le meilleur Céline. de très loin. Car on en a lu qui se sont réclamés de lui, qui l'ont imité, pastiché, recopié, recraché. Mais lire Guerre : quelle claque.

Ces moins de deux cents pages nous rappellent, y compris dans leurs faiblesses (le texte n'est pas achevé) (et puis le propos brasse de la crasse), l'immense voyeur qu'il fut et l'immense conteur qu'il est, à tordre et à concasser la langue, à lui faire rendre gorge, à l'inventer à chaque ligne comme nul autre.

Certains détracteurs ont comparé Céline, pour la pensée et pour le ton, à un taxi parisien. Ceci, qui n'est pas un compliment, n'est pas faux mais on se plait tout de même à regretter de ne pas en croiser des plus souvent comme lui, des taxis.

Eh bien ! guerre donc...
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