Toujours merci à finitysend qui m'a donné envie de me lancer dans les univers
C. J. Cherryh. "
Le Puits de Shiuan" m'a moins emballé que "
Les Portes d'Ivrel", qui lui m'avait emporté. le plaisir de la découverte n'est plus là : je n'attendais rien du 1er mais beaucoup du 2e. L'humeur du moment joue aussi… Pourtant cet opus est plus homogène donc plus abouti pour nous offrir un beau livre d'ambiance qui peut envoûter son lecteur si ce dernier n'y prend garde (lu encore une fois en écoutant la BO d'"Excalibur" qui mélange partitions wagnériennes et musicalités moyenâgeuses : rhaaa loveley !).
Le roman est divisé en 3 parties :
La 1ère partie nous présente à travers les yeux de la jeune pilleuse de tombes Jhirun un monde agonisant et ses routes inconnues peuplées de vents et de bouillonnements d'eau. L'ambiance crépusculaire est mieux rendue que dans "
Les Portes d'Ivrel" mais je gage que l'auteur peut encore s'améliorer dans sa voie. Ici l'abus de sorcelleries qujaliennes a détruit l'ancienne lune désormais remplacée par 7 satellites, dont Ani la noble et Sith la démoniaque. La nouvelle configuration astronomique provoque séismes, tsunamis, tempêtes et inondations qui font sombrer petit à petit le monde dans le néant.
A ce niveau là, la parenté avec le chouette "
La Dernière Lame" de la française
Estelle Faye interroge, mais qu'importe car les bonnes idées sont faites pour vivre quitte à être reprises…
La 2e partie qui constitue le gros du roman est simple au niveau de son intrigue principale : un course poursuite voire une course contre la montre entre Morgane et Vanye d'un côté, Roh alias Liell alias Zri d'un autre côté. Simple mais pas simpliste car la traque du est plus subtile qu'il n'y paraît, l'ambiguïté étant maintenue sur plusieurs points jusqu'à la toute fin du roman :
- le sorcier immortel voleur d'âmes et de corps est-il Zri, Liell, Roh ou autre chose ?
(La possession ressemble plus à une régénération à la Dr Who : l'intellect et la mémoire sont conservés mais le sorcier change de personnalité en fonction de celle sa nouvelle victime, or Roh était un chef plus honorable tu meurs…)
- en arrivant sur le monde de Shiuan Morgane et Vanye ont-ils voyagé dans l'espace ou dans le temps ? Qui sont les anciens Rois des Tumulus dont les patronymes semblent si familier à Vanye ? D'ailleurs pourquoi les autochtones parlent-ils une langue si compréhensible à ses oreilles ?
- qui est responsable de la lente agonie du monde de Shiuan : les Qujals ou bien Morgane elle-même ? D'ailleurs cette dernière va-t-elle sacrifier les derniers survivants de ce monde mourant pour atteindre la prochaine étape de sa mission ?
La 3e partie est en fait un épilogue qui nous montre le choix de 2 protagonistes de vivre et de mourir ensemble en attendant la fin de leur monde plutôt que de s'enfuir une énième fois.
Le choix de tout raconter du point de vue de Vanye est un atout et une faiblesse.
Le binôme Morgane / Vanye est attachant : Morgane est sans âge, froide, résolue et impitoyable alors que Vanye est jeune, impétueux, anxieux et compatissant. Il apporte une touche d'humanité à sa suzeraine qui sinon ne serait qu'une implacable machine à tuer obsédée par sa mission…
Beaucoup de non-dits encore une fois, mais surtout l'essentiel de l'action se déroule hors-champ : par 2 fois Morgane s'esquive pour jouer l'émeutière meneuse d'hommes et débloquer la situation en jouant sur son côté implacable. Dès qu'elle agit en solo on sent qu'elle se mue en guerrière impitoyable pour qui la fin justifie les moyens : non seulement on le montre pas, mais de surcroît la répétition dans la narration est dommageable.
Encore une fois les personnages secondaires sont bien évanescents : le roi Bydarra et les princes Hetharu et Kithan, les aristocrates sangs-mêlés aux cheveux d'argent, la brute Fwar (qu'on retrouvera dans le tome 3 je présume)… Et faute d'approfondissement difficile de comprendre pourquoi
Jhirun et Khitan qui on tout quitté pour suivre Vanye et Morgane changent radicalement d'avis quelques mètres avant de franchir la Porte d'Aberais qui aurait pu assurer leur Salut…
On pourrait penser que l'auteure américaine ne renouvelle pas sa formule en remplaçant le château des Leth par la forteresse d'Ohtij-in. Que nenni : si Leth fleurait bon la demeure de littérature gothique, Ohtij-in sert de support à une critique sociale assez féroce : plutôt que d'aider son prochain en attendant l'inévitable fin, les élites accumulent des richesses désormais inutiles juste pour se donner l'illusion d'être au dessus du mot commun, illusion renforcée par l'accumulation de la misère humaine au pied de leur très artificielle tour d'ivoire. Une seule échappatoire pour quitter la pauvreté imposée : accepter de devenir les esclaves des caprices et des lubies des présumés puissants. Mentalité hautement méprisante et méprisable des élites de tous les temps et de tous les lieux et de ceux qui veulent leur ressembler à tout prix.
Une réflexion très actuelle alors que le livre date de 1978. Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes…
Dans tous les cas j'ai apprécié (lu en à peine quelques soirées), et le rendez-vous est pris pour le tome 3 intitulé "
Les Feux d'Azeroth" !
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