Comme je le disais plus tôt, chez Rue de Sèvres, on aime les titres engagées. Après Lumière noire dont je parlais dans le précédent article, dans un tout autre registre, voici Calpurnia, un récit féministe qui ne laissera pas non plus indifférent et où les sublimes dessins de
Daphné Collignon viennent souligner la force des propos de Jacqueline Kelly dont elle adapte l'oeuvre ici.
Calpurnia était en effet à l'origine une série de deux romans américains, mettant en scène une charmante petite fille après la guerre de Sécession, à l'aube du XXe siècle. Celle-ci, aux côtés de son grand-père, contre toute attente se passionne pour la nature qui l'entoure et dans laquelle elle aime tant déambuler, ce qui n'est pas du goût de sa mère très conservatrice...
Avec cette charmante enfant magnifiquement rendue sous le trait de
Daphné Collignon, qui lui donne des airs de Sophie de la Comtesse de Ségur, nous allons suivre une petite fille qui va tenter de se rebeller contre sa condition de femme telle qu'on l'entendait fin XIXe - début XXe. C'est une vraie bouffée d'air frais et en même temps un voyage douloureux car tout est fait pour la brider. Calpurnia tente pourtant d'affirmer sa personnalité haute en couleur, mais dur dur de lutter contre une société aussi bien installée et des parents et surtout une mère toute puissante.
J'ai adoré suivre les déchirements de cette enfant, jeune adolescente, qui a un côté vraiment passionné et une insatiable curiosité. C'est enchanteur de la voir se balader dans la forêt seule ou avec son grand-père à la recherche de nouvelles espèces en tout genre. Son grand-père est une superbe figure tutélaire et on adore leur relation complice. Celui-ci n'a que faire que ce soit une fille et lui ouvre bien des horizons. Il râle même à cause de la façon dont on éduque les filles et des carences qui en ressortent. Car en effet, au-delà de la passion pour les sciences et la nature qu'on nous transmet, il y a également un combat criant dans ce livre : celui de la libération et de l'instruction des femmes qui ne devraient pas être cantonnée à leur rôle de mère et de maîtresse de maison.
Cependant, Calpurnia est une fille de son temps. Certes grâce à son grand-père, elle a accès à tout un monde plein de mystères et de sciences, mais elle fait aussi partie d'une famille classique américaine et ne peut que courber l'échine... On aime la voir évoluer dans sa famille avec ses nombreux frères, le grand qu'elle adore, ceux proches d'elle qui tournent autour de sa meilleure amie, et avec ses parents avec qui elle a des relations assez distantes. C'est un portrait assez juste de l'époque, je pense, avec ses défauts et ses qualités.
Jacqueline Kelly, à l'origine de ce texte, ne fait pas concession. Elle a un discours assez âpre dans les deux sens. Elle ose critiquer le modèle d'éducation des enfants, le rôle qu'on attribue par défaut aux femmes, mais en même temps, elle ne propose pas un happy end à ses lecteurs. Elle est honnête et montre le poids de la société, de la famille, auquel doit se résoudre, bon gré mal gré, son héroïne.
La mise en scène imaginée par
Daphné Collignon pour mettre en image ce récit fut un vrai bonheur. J'ai adoré sa mise en page éclatée et moderne, qui soulignait l'imagination galopante et romanesque de son héroïne. Elle est également très variée et propose de nombreuses variations au fil des aventures de l'héroïne pour accompagner et personnaliser celles-ci de manière vraiment originale et pas du tout figée dans le classique découpage en cases qu'on trouve encore trop souvent en BD. Elle a un trait vraiment chaleureux, qui rend de suite les personnages attachants de par leur bonhommie. La peinture de la nature dans laquelle vit Calpurnia est magique. Sa palette est également très parlante, changeant au gré des humeurs de l'héroïne. C'est du très très bel ouvrage !
Ainsi, la poésie des dessins de
Daphné Collignon s'accorde à merveille avec la force du récit de Jacqueline Kelly pour nous offrir un objet magnifique qui enchante autant qu'il révolte. L'édition intégrale proposée par Rue de Sèvres en novembre dernier est un très bel ouvrage, avec son dos toilé rouge et sa couverture intimiste, qui donne envie de le retrouver sous le sapin. Seule petite frustration, cette fin brutale et abrupte qui laisse le lecteur en suspens, alors qu'il ne rêve que d'une chose : voir la suite des aventures de Calpurnia tandis qu'elle continue de grandir. J'espère donc que la suite sera un jour également adaptée en BD par
Daphné Collignon.
Lien :
https://lesblablasdetachan.w..