Longtemps considéré comme un art de la scène, le genre théâtral a fini par intégrer le domaine des oeuvres littéraires. C'est pour cette raison qu'il a finalement sa place au milieu des chroniques de romans, d'essais ou de recueils poétiques que l'on trouve sur Instagram. Il a sa place, mais on le voit peu. Dorénavant, et parce que 2022 sera l'occasion de fêter le 400ème anniversaire de la naissance de
Molière, il y aura donc aussi des Kikroniks consacrées aux textes théâtraux.
Louise et
Jean-Paul vivent dans leur maison meublée Ikéa avec leur deux adolescents, Jane et Robin, et Albert, le père de Louise. L'ensemble constitue l'une des familles les plus dysfonctionnelles qui soient. le fils, téléphone greffé à l'oreille, a une véritable passion pour la chirurgie qu'il expérimente sur Smoothie, le chien de la famille ; la fille, anorexique assumée, rêve d'un anneau gastrique pour son anniversaire ; le père est en fuite permanente, hésitant entre suicide et fugue ; le grand-père, dans son fauteuil roulant, est un gueulard qui ne fait qu'ajouter à l'épuisement de Louise qui s'acharne à entrer dans le rôle de la « bonne mère de famille ». Et tout ce petit monde vit à Rueil -… Malmaison qui n'a jamais aussi bien porté son nom.
«
Les uns sur les autres » est une curiosité textuelle. Pour ce qui est de l'écriture purement théâtrale, on y trouve très peu de didascalies, laissant ainsi au metteur en scène et aux acteurs une grande liberté, mais aussi de quoi s'arracher les cheveux : j'imagine déjà le metteur en scène qui devra faire pleurer des murs ou montrer l'invisibilité de Jane. Ah oui, figure-toi qu'obsédée par son IMC (Indice de Masse Corporelle), la jeune fille finit par le faire devenir négatif et se rendre invisible pendant une bonne partie de la pièce. Ce n'est qu'une folie parmi toutes celles qui éclaboussent le texte de
Léonore Confino. La première d'entre elles est probablement le langage parlé par la mère, la fille et le grand-père. Un parler reflet du rythme de vie infernal de cette famille dans le frigo de laquelle s'amoncellent les Tupperware des repas qu'on ne partage plus : même les points de suspension sont trop longs pour marquer l'inachèvement permanent de chaque phrase. Les onomatopées et les points sont autant d'uppercuts envoyés à la face du naturalisme et du père qui, dans sa langue quasi wikipédiesque, rêve d'en finir.
Et puis survient le drame, la sale blague des ados qui va provoquer, outre la très belle scène de lecture des lettres des grands-parents, un véritable séisme dans la famille en faisant apparaître ses racines et évoluer tout ce petit monde en redonnant aux phrases leur entièreté et aux liens familiaux leur vérité.
Je ne saurais trop conseiller la lecture, à défaut de la voir, de cette pièce à l'écriture à la fois brute dans l'esprit, mais extrêmement travaillée dans la forme. On ne sait plus si l'on assiste à une comédie, un drame, une tragédie ; on se fout finalement des étiquettes, on savoure les mots, écrit ou suggérés, et les émotions qui naissent de ces répliques : on rit, c'est certain, on est ému, c'est très probable, et on ressort de cette lecture avec l'énorme envie de découvrir d'autres textes de l'autrice qui a su s'emparer des travers de notre société contemporaine pour déglinguer une famille qui, dans sa chute, a dû s'écraser le nez dans la boue du passé pour se redresser et finalement faire en sorte que chacun n'aille… « pas si mal ».