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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Une nouvelle traduction de Jacques Mailhos agrémentée d'illustrations en noir et blanc de Chabouté, toutes les occasions sont bonnes pour revisiter l'oeuvre de James Crumley comme nous le propose les éditions Gallmeister avec Fausse Piste, premier roman de la série consacrée au détective Milo Milodragovitch. Au-delà d'une traduction plus contemporaine, il s'agit de découvrir ou redécouvrir l'une des voix marquantes du roman noir américain qui fut paradoxalement l'un des écrivains les plus méconnu de ce fameux courant « nature writing » issu de la ville de Missoula dans laquelle James Crumley a toujours séjourné en côtoyant James Lee Burke et Jim Harrison.

A Meriwether dans le Colorado c'en est fini des flagrants délits d'adultère pour le détective privé Milo Milodragovich qui se morfond désormais dans son bureau depuis que l'on a réformé la loi sur les divorces en le privant ainsi de sa principale source de revenu. Alors que ses finances sont au plus mal, il passe en revue les ruines de sa vie sentimentale entre deux cuites avec ses camarades de beuverie. Une existence bancale sans grandes interférences jusqu'à ce que débarque la belle Helen Duffy à la recherche de son petit frère disparu. Pour les beaux yeux de cette femme séduisante, Milo se lance maladroitement sur les traces du jeune étudiant amateur de tir au revolver au dégainé rapide. Mais l'enquête va se révéler plus chaotique qu'il n'y paraît.

Une écriture généreuse, sincère, dotée d'un humour vachard, c'est la marque de fabrique de James Crumley qui reprend tous les canons du roman noir et du polar en les assaisonnant d'une tension confuse parfois décousue mais qui se révèle au finale d'une étonnante maîtrise en embarquant le lecteur dans les tréfonds de l'âme tourmentée de ce détective qui sort vraiment de l'ordinaire. A bien des égards, Milo Milodragovitch présente de nombreuses similitudes avec son auteur dans sa propension à s'imbiber généreusement d'alcool en alternant des périodes de morosité et de gouaille festive tout en s'investissant corps et âmes dans des enquêtes qui s'avèrent bien plus originales qu'on ne pourrait l'imaginer. Publié en 1975, Fausse Piste capte également le climat de révolution culturelle qui régnait à l'époque aux USA. Une période confuse où l'on croise des personnages atypiques comme ce travesti féru d'arts martiaux ou cet ancien avocat qui a renoncé au droit pour s'imbiber quotidiennement et méthodiquement d'alcool. Libéralisation des moeurs qui va de pair avec la consommation de drogues devenant une plaie sournoise et endémique renvoyant aux propres addictions de Milo Milodragovich et de son entourage proche et indirectement à l'auteur qui ne porte jamais de jugement de valeur mais qui témoigne magistralement de son temps.

Parce qu'il ne faut pas s'y tromper, Fausse Piste, comme d'ailleurs la plupart des ouvrages de James Crumley, fait partie de la quintessence du polar en dépassant allégrement tous les codes du genre. On entre dans une autre dimension d'une incroyable facture tant sur le plan narratif que sur l'objet de l'intrigue et il serait vraiment regrettable de passer à côté de cette remise au goût du jour que nous propose les éditions Gallmeister qui a eu la bonne idée de l'agrémenter des illustrations percutantes de Chabouté parvenant à saisir l'atmosphère du roman avec une belle justesse.

James Crumley nous présente donc des récits emprunts à la fois d'une violence crue et d'une grâce parfois émouvante, servis par la force de dialogues truculents et incisifs permettant de mettre en scène toute une galerie de personnages d'une singulière sensibilité, toujours délicieusement humains dans toutes leurs imperfections qu'ils dissimulent sous une somme d'excès et brutalités quelques fois extrêmement saisissante. Ainsi Milo Milodragovich, ex shérif deputy corrompu et détective alcoolique se distancie des clichés usuels propre à ce type de personnage pour incarner ce qui se fait de mieux en matière de personnage à la fois torturé par ses démons tout en tentant de faire le bien du mieux qu'il peut autour de lui. Homme frustre, parfois très maladroit mais toujours sensible et obligeant, Milo résoudra une enquête pénible et compliquée car parsemée d'une myriade de fausses pistes et dont la conclusion se réalisera à ses propres dépens.

Indéniablement Fausse Piste, comme tous les romans de James Crumley, constitue l'une des très grandes références dans le domaine du polar et du roman noir et s'inscrit dans deux séries emblématiques mettant en scène Milo Milodragovich pour l'une et C.W. Sughrue pour l'autre, détective également mythique que l'on retrouve dans le Dernier Baiser qui vient de paraître également au éditions Gallmeister. Et pour achever de vous convaincre de lire James Crumley, il faut bien prendre conscience que Fausse Piste n'est que le début d'une oeuvre magistrale qui a révolutionné le genre. Indispensable et fondamental.



James Crumley : Fausse Piste (The Wrong Case). Editions Gallmeister 2016. Traduit de l'anglais (USA) par Jacques Mailhos.

A lire en écoutant : The Ghosts of Saturday Night de Tom Waits. Album : Asylum Years. Asylum 1986.
Lien : http://monromannoiretbienser..
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Après Ross Macdonald, Gallmeister se lance dans la réédition et la retraduction d'un autre monument du roman noir. Place à James Crumley, certainement d'ailleurs encore plus en phase avec l'étiquette de l'éditeur de nature writing. Si tous les romans de Crumley ne souffraient pas forcément de grands défauts de traduction (à tout le moins pour le lecteur qui se fie avant tout à la qualité du texte en français faute de lire l'original), malgré quelques grosses bourdes tel ce bar topless devenu un bar sans toit dans le dernier baiser, ils avaient été cependant confiés à une multitude de traducteurs, de Philippe Garnier à Jean Esch, en passant par François Lasquin ou Nicolas Richard pour n'en citer que quelques-uns. Aussi peut-on se féliciter du choix de confier ces nouvelles traductions à Jacques Mailhos, réputé être un des meilleurs traducteurs actuels de l'américain et dont la traduction de la série de romans de Crumley donnera une véritable cohérence à l'ensemble.
Autre particularité de cette réédition et qui y apporte un incontestable supplément d'âme, les illustrations confiées à des dessinateurs de renom. C'est Chabouté qui se colle à Fausse piste et qui ne se contente pas d'illustrer le roman mais dont les dessins entrent réellement en résonnance avec le texte et le sublime.
Le texte, justement, parlons-en. Ou même, commençons par le laisser parler avec ce paragraphe d'ouverture :
« le droit est un univers mystérieux. Tout comme les changements suscités par les hommes et le temps. Pendant près de quatre-vingts ans, la seule façon d'obtenir un divorce dans notre État était de faire condamner votre conjoint pour un délit grave ou de le prendre en flagrant délit d'adultère. La violence physique ne comptait même pas, pas plus que la folie. Et, pendant les dix premières années qui suivirent ma démission de mon poste dans la police du comté, j'ai bien gagné ma vie sur le dos de ce droit matrimonial archaïque. Puis, dans une frénésie d'activité à la clôture d'une session parlementaire extraordinaire, le législateur m'a mis au chômage en civilisant les lois relatives au divorce. Nous avons désormais le divorce par consentement mutuel. Les partisans et les opposants de cette évolution furent pareillement choqués par la soudaineté de l'action du législateur, mais pas aussi choqués que moi. J'ai passé les deux jours suivants à broyer du noir dans mon bureau, à me saouler en admirant la vue, à évaluer les perspectives que m'offrait mon avenir brutalement assombri. La vue était sensiblement plus belle que mes perspectives. »
En ce milieu des années 1970, Milo Milodragovitch, détective privé et ivrogne autoproclamé a trente-neuf ans. Et si son avenir s'est singulièrement assombri, c'est que s'il est l'héritier d'une riche famille de Meriwether, Montana, les dispositions testamentaires de ses parents font qu'il ne touchera rien de son héritage avant d'avoir cinquante-trois ans. Sans travail et avec une conséquente consommation quotidienne de whisky, les quatorze années à venir risquent donc d'être longues. Et comme dans tout bon roman noir, arrive la femme fatale. Helen Duffy cherche son jeune frère. Venu à Meriwether pour travailler sur sa thèse, il n'a plus donné signe de vie depuis trois semaines et la police locale n'a pas envie d'enquêter. Milo a besoin d'argent et Helen Duffy en a. Mais surtout, il est sous le charme de la jeune femme et va finir par accepter l'affaire. le voilà parti pour une enquête dans le Meriwether des ivrognes, qu'il connaît bien, mais aussi des junkies, qui semblent pulluler depuis quelques temps et qu'il connaît moins.
Comme toujours chez Crumley, l'intrigue est touffue et d'autant plus complexe qu'on la découvre à travers les yeux d'un Milo qui émerge rarement de la longue cuite qu'est sa vie. Et si l'on embarque avec plaisir dans l'enquête, on le fait surtout pour suivre ce héros mal embouché, aux mots ravageurs, au coeur d'artichaut et habité par un constant vague à l'âme. Âpre et violent récit dont la qualité tient autant à la fascinante galerie de personnages usés par la vie qu'à la plume toujours belle et bien souvent sublime de Crumley, Fausse piste ouvre avec panache la série de romans noirs consacrés à Milo Milodragovitch et à C.W. Sugrhue qui fera son apparition dans The Last Good Kiss. On trouve déjà là tout ce qui fait de James Crumley un des auteurs majeurs du roman noir américain – et certainement d'ailleurs, du roman américain en général. La vision sans concession mais sans nostalgie non plus d'une Amérique qui part peu à peu à vau-l'eau, l'amour des personnages cabossés, la tendresse, l'humour et la mélancolie, et l'alcool qui ronge mais qui rend aussi tout cela un peu plus vivable. Il y a des bagarres de saloon, des amours impossibles, des rencontres ratées et des moments de grâce. C'est peu dire que l'on est heureux de retrouver James Crumley dans ce nouvel écrin.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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Fausse Piste est une réédition très attendue par tous les amoureux du roman noir/policier américain, les éditions Gallmeister signent le retour d'un très grand écrivain dans nos librairies ! C'est donc tel un petit tsunami que James Crumley débarque dans ma vie de lectrice !

J'ai adoré ce livre pour de nombreuses raisons. Tout d'abord c'est pour cet humour noir, sarcastique, qui est omniprésent et très efficace ! On se régale des réflexions de Milo : ce détective désabusé par une vie rythmée par quelques verres d'alcool et son travail qu'il est sur le point de perdre. Je trouve que ces touches d'ironie sont excellentes et permettent d'apprécier encore plus le personnage central. C'est un être complexe tiraillé entre ses valeurs et la déchéance de son existence, de son entourage.

Ensuite j'ai adoré le fait que tout se déroule dans une petite ville du Montana : on capte l'âme d'une Amérique en proie à une forme de décrépitude où les bars sont les centres névralgiques de la vie citoyenne. On sent une sorte de désarroi, désillusion des habitants comme s'ils étaient engoncés dans des vies étriquées ou comme s'ils ne pouvaient échapper à leur destin, à leur ville et au bar... C'est un portrait fascinant, réaliste, cruel et électrique des États-Unis. C'est ce qui rend d'autant plus incroyables les personnes qui arrivent à s'en sortir ou qui essayent de garder une certaine échelle des valeurs humaines.

J'ai adoré ce livre pour ce style efficace qui mélange poésie et âpreté : c'est encore une fois une traduction excellente du grand Jacques Mailhos, figure emblématique de la qualité recherchée par les éditions Gallmeister. On ressent véritablement les sentiments, les déboires d'un protagoniste inoubliable ! Autre gros point majeur de ce roman : les superbes illustrations de Chabouté qui illuminent encore plus cette histoire, il a parfaitement capté l'ambiance voulue par l'auteur !

En définitive, Fausse Piste est ma première rencontre avec le style et l'univers de Crumley et je peux vous dire que je compte bien tout lire de l'auteur à présent !
Lien : http://leatouchbook.blogspot..
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Qu'on se le dise, Milo Milodragovitch n'est pas un anti-héros, non, il est le contraire d'un héros, ce qui n'est pas exactement la même chose. Enquêter ? Il ne l'a jamais fait, même du temps où il était policier. Il n'est devenu détective privé que par la force des choses – et la nécessité de se nourrir. Là encore, pas d'enquête, mais des photos de couples illégitimes. Milo, un paparazzi avant l'heure, que la législation plus tendre avec les amants qu'avec les détectives, force à diversifier ses pratiques.
Comme dans tout bon roman noir, nous avons une femme fatale, vraiment fatale : Helen. Celle-ci (comme c'est mignon !) s'inquiète pour son gentil petit frère, tellement gentil, tellement innocent, qu'il est forcément en danger, et forcément sans lien avec toutes les horreurs qui se passent dans cette ville.
J'aimerai vous dire que Milo découvre des faits en contradiction avec les pensées et les désirs d'Helen. Il n'en est rien. Les faits lui tombent dessus quasiment par accident, il n'a aucun mérite pour les découvrir. Il est même parfois nécessaire de lui mettre les barres sur les t et les points sur les i. Heureusement (pour lui), il n'avait aucun doute sur sa crédibilité de détective.
Ce roman est l'occasion de peindre une belle galerie de portraits de personnages tous plus paumés les uns que les autres. Leurs passions, leurs ratages les emprisonnent. Certains sont touchants. D'autres, pas du tout. Et les victimes n'avaient rien demandé à personne – ou presque rien.
Milo survit – en sale état. S'il ne vaut pas tripette en tant que détective, il fait partie de la catégorie des personnages attachants, parce que sa lucidité et son humour sont bien présents dans ce qui constitue la première de ses aventures.
Les familles sont toutes dysfonctionnelles : tout le monde veut toujours coucher avec tout le monde et parvient en général à trouver un dérivatif particulièrement vicieux. Et l'amour n'a pas l'air de compter dans l'histoire. Trop d'amour, pas assez d'amour : dans les deux cas, vous produisez la même quantité de famille malheureuse.
Lien : https://deslivresetsharon.wo..
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Meriwether dans le Montana, l'Amérique des 70'S et Milton Milodragovitch alias Milo privé imbibé mais imbibé haut en couleurs.
Une ode au bel échec et à la loose magnifique.
1er James Crumley en ce qui me concerne et certainement pas le dernier. L'intrigue n'est pas spécialement palpitante mais l'essentiel n'est là. Ce qui compte c'est la splendide écriture, un personnage extraordinairement sympathique et attachant et un roman noir formidablement humain.
Une grosse claque!!!
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FAUSSE PISTE de JAMES CRUMLEY
C'est le premier opus de la série qui met en scène Milo, l'un des 2 privés que fait vivre Crumley. Milo a 39 ans, héritier d'une riche famille, mais il doit attendre ses 52 ans pour empocher son héritage. Alors, ce survivant de la guerre de Corée joue les privés essentiellement dans des affaires de divorce et d'adultères. Pas de chance, une nouvelle loi instaure le divorce à l'amiable! Chômage et voilà que débarque une jolie femme qui n'a plus de nouvelles de son frère. Une histoire hautement improbable va fournir à Milo l'occasion de gagner quelques dollars qu'il pourra boire et fumer voire sniffer entre 2 bagarres de bistrot. Je me perds souvent dans les bouquins de Crumley mais c'est sans importance, tant j'adore cet anti héros alcoolisé et toujours prêt à tomber amoureux. Livre détente par excellence, régalez vous car c'est très bien écrit.
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Les éditions Gallmeister ont entrepris de retraduire et republier tous les romans – soit une dizaine – de James CRUMLEY (1939-2008) depuis déjà quelques années. Alors que vient de paraître « Folie douce », prenons un peu de temps pour rembobiner, avec cette première réédition de l'auteur chez Gallmeister en 2016.

CRUMLEY a créé deux héros récurrents pour deux courtes séries parallèles. Deux détectives privés : Milo Milodragovitch et Sughrue, deux types qui vont finir par se croiser au cours des deux séries, mais n'anticipons pas, car ici il s'agit d'une affaire où seul Milodragovitch intervient, et c'est donc sa toute première apparition pour un titre initialement paru en 1975. C'est aussi le premier roman de l'auteur.

Milo, ancien soldat de la guerre de Corée, est de ces détectives désabusés, qui aime jouer avec sa santé physique par l'abus d'alcools et de drogues diverses dans la petite ville de Meriwether (50000 habitants) du Montana. Spécialisé dans le divorce, il n'est plus appelé pour régler des contentieux, se sent partir sur la touche, quand une certaine Helen Duffy fait appel à lui pour un tout autre programme : son frère cadet, Raymond, a disparu depuis trois semaines. Bien vite, ce frangin est retrouvé mort.

Si l'intrigue peut paraître simple de prime abord, il n'en est rien au fur et à mesure du déroulé des événements. de nombreuses bouilles patibulaires vont venir le glacer, des alcoolos, des camés, des putes, bref tout ce qui représente les bas fonds d'une ville étasunienne des années 70, avec son quota de hippies plus ou moins louches.

C'est aussi l'occasion pour Milo de revenir sur sa vie, âpre elle aussi : parents alcooliques puis suicidés, errances diverses et ancien boulot chez les flics, mais Milo est devenu un privé. Privé d'avenir, d'amour, il « volue dans les bars les plus sombres de la ville, y croise les pochetrons les plus ténébreux, la mafia locale, les salauds. « le bronzage artificiel ne parvenait pas à masquer totalement sa couperose, et la veste hors de prix taillée sur mesure ne parvenait pas non plus à masquer sa bedaine. Ses denses cheveux noirs ne grisonnaient nulle part, mais ils avaient l'air peints au-dessus de sa tête ronde ».

La force démoniaque de CRUMLEY réside dans son imagination et sa patte. Faisant la part belle aux dialogues crus et violents « à l'ancienne », il stupéfie par son humour caustique, noir lui aussi, le tout emballé dans une verve puissante et accrocheuse. Bien sûr, CRUMLEY se moque de la bien pensance, du politiquement correct, et tout le monde en prend pour son grade. Sous un fond noir foncé, il parvient à nous faire nous gausser presque de bout en bout. Un autre de ses talents dans l'écriture est celui d'enchaîner une scène sanguinolente et crade avec un petit moment de poésie, une prouesse où le rythme est brisé immédiatement, occasion pour le lectorat de reprendre son souffle avant une nouvelle immersion dans les rues poisseuses de Meriwether.

L'ambiance générale est ambivalente, entre froideur extrême du fond (personnages déglingués sans futur ni scrupules, relations humaines électriques, coups bas et surenchères permanentes à coup d'argent sale) et drôlerie, presque légèreté de la forme. Car CRUMLEY est un vrai conteur. Il déniche une anecdote pourrie qui désamorce le climat quasi nihiliste du roman. En le lisant, il est difficile de ne pas penser à Jim HARRISON. Deux écrivains de la même génération, tous deux attachés au Montana, et appartenant d'ailleurs à la fameuse école littéraire de cet Etat. Seulement, CRUMLEY possède encore moins de pudeur que HARRISON. Si ce dernier tombe parfois émerveillé devant certains de ses personnages et les « protège », CRUMLEY n'en a rien à foutre, il brandit le jusqu'au-boutisme en arme absolu. Son Milo est un pourri, comme ceux qu'il traque. Il picole jusqu'à s'écrouler et se réveille avec des cachets de speed. CRUMLEY est un peu une version polar halluciné de HARRISON.

Ami.es politiquement corrects, passez votre chemin sans attendre. Les situations, les mots, les relations des personnages de CRUMEY choquent. Il passe la démultipliée sans aucun répit ou presque. Il rend notre monde encore plus dégueulasse qu'il n'est. Seulement, voilà, il maîtrise son récit à la perfection. D'accord il use et abuse de mots grossiers, de cadavres jonchant son récit, tout comme dans les dialogues il use et abuse du mot « vieux ». Mais il nous prend à revers avec ces moments de pure poésie. le rythme est fort soutenu, étouffant par les scènes, mais cet humour dévastateur vient tout rendre dérisoire, comme si rien n'était finalement important sur cette fichue terre. Par la causticité il fait passer la pilule (de speed), il désenclave une noirceur qui pourrait être totale. Dans une ville où l'on envoie les dégueulis d'ivrognes au labo pour expertise, tout est permis, et donc les voyous se permettent tout.

Rien qu'en lisant ce premier roman vous vient subitement une solide gueule de bois, comme un lendemain de mélange varié d'alcools frelatés et de baisers impudiques avec un cendrier plein de mégots jusqu'à la gueule. L'expérience est étonnante, presque extrême, et pourtant elle s'avère redoutable par son addiction, d'autant que le finale, exceptionnel, est dans ce polar mené de main de maître sans toutefois nous rabibocher complètement avec l'espèce humaine.

SI vous suivez régulièrement Gallmeister, le nom du traducteur, jacques MAILHOS, ne vous sera pas inconnu. Il a en effet traduit pour cet éditeur, entre autres, des auteurs tels que Edward ABBEY, Doug PEACOCK, TREVANIAN, James DICKEY, Henry-David THOREAU, Ross MACDONALD, Jim TENUTO, Barry LOPEZ et pas mal d'autres. « Fausse piste » est depuis sorti en version poche chez Gallmeister, mais si vous pouvez dégoter cette version grand format, faites-le, car elle est agrémentée de dessins somptueux en noir et blanc de CHABOUTÉ qui valent le déplacement et rendent encore plus vivant l'univers poisseux et enivrant – c'est le mot - de CRUMLEY. Pour votre anniversaire par exemple…

« Je taille la route, vieux, c'est tout. Je me tire de cet endroit malsain. Les mecs sont vraiment bizarres, ici, vieux. Ils marchent tous au speed et aux cachetons et à l'héro et à la putain de méchanceté pure. J'ai été dans des tas de coins, vieux, mais j'ai jamais vu un endroit comme ici. On trouve pas d'herbe en ville, sauf celle que les gars cultivent chez eux. L'acide est systématiquement coupé avec du speed. Et c'est la première fois que je vois autant de mecs accrocs à l'héro depuis que j'ai quitté la côte est ».

https://deslivresrances.blogspot.com/

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Où comment la Vénus de Milo, lui donne une chaude piste

Les critiques paresseux expédient souvent James Crumley sur l'étagère du Noir, avec l'étiquette d'un « Chandler destroy ». Un peu court quand même.

Crumley ne boit évidemment pas dans la même catégorie que l'auteur de « The Long Goodbye » et ce n'est pas grave car l'écrivain du Montana (un de plus ! Thomas Savage, Jim Harrison Rick Bass, Norman McLean…il y a un truc dans l'eau là-bas ou quoi ?) mérite une place à part entière.

L'histoire de « Fausse piste »est édifiante.

En effet circa 70, la civilisation finissant par gagner même les coins les plus reculés des États-Unis, une décision législative laxiste décide que le flagrant délit d'adultère n'est plus la seule façon d'obtenir un divorce dans l'État du Montana.
Et pour un détective tel que Milo Milodragovitch, l'irruption du divorce par consentement mutuel signe la disparition d'une manne financière et le retour à la vie terne de privé (de ressources). Il est bien en attente d'un héritage prometteur, mais il ne pourra en bénéficier qu'à l'âge de 53 ans, soit, dans 14 ans, en raison d'une disposition testamentaire scélérate.

Et au rythme où il descend les bouteilles de whisky, 14 ans, c'est long et hypothétique.

C'est dans cette ambiance morose que surgit -pour le coup, c'est très chandlerien- la femme mystérieuse. Elle s'appelle Helen Duffy, et cette petite chose candide et fragile, recherche son jeune frère, dont elle sans nouvelles depuis de longues semaines. le cerveau embrumé par l'alcool et la concupiscence, Milo la fait d'abord fuir en suggérant un paiement en nature.
Mais bientôt, il se reprend et se lance à la recherche du jeune homme, dans la ville de Meriwether livrée aux junkies, aux ivrognes et aux flics corrompus.

Ce roman se nourrit de coups de poing, de coups de coeurs, d'une intrigue prétexte à un défilé d'âmes brisées dérivant dans l'alcool et le désespoir. Seule demeure chez Milo, une étincelle d'humanité rédemptrice, capable de lui laisser croire qu'il pourra jouir un jour d'une vie tranquille, avec sa belle et ses cannes à pêche.
C'est compter sans la poisse et ses sirènes qui cherchent en permanence à l'attirer au fond d'un verre.

C'est un grand récit, acre et mélancolique, drôle souvent, qui mérite d'autant plus qu'on prenne son temps pour le savourer, que la traduction de Jacques Mailhos, déjà remarquable avec les romans d'Edward Abbey ou Ross McDonald, est parfaite.

A noter parmi des dizaines d'autres, cette réflexion à méditer : « Que ce soit par de longs et ennuyeux discours ou par des regards qui en disent des kilomètres, les ivrognes ont toujours de bons arguments pour justifier leur ivrognerie. Ils boivent pour oublier ou pour retrouver la mémoire, pour y voir plus clair ou pour ne plus y voir du tout ; ils boivent parce qu'ils ont peur, parce que leur réussite les étouffe ou que leurs échecs les consternent ; ils boivent parce qu'ils n'ont pas de foyer et que leur coeur est solitaire, ou au contraire pour fuir l'horreur de leur ménage qui bat de l'aile. »
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Montana. Meriwether. Années 70. Il prend une sacrée claque en apprenant que son taf va être réduit à néant. Fini les filatures qui menaient au flagrant délit d'adultère. le détective et ex-flic Milo Milodragovitch se rince le gosier jusqu'à plus soif. Et dire qu'il pionce sur un matelas de dollars qu'il ne pourra empocher que dans un peu moins de quinze années. L'héritage de papy le banquier. Et puis « La dame en robe rose ouvrit la porte » et fit part de son inquiétude au sujet du silence prolongé de son frère Raymond. Milo ne va pas cracher sur cette manne inespérée d'autant plus qu'Helen Duffy est ma foi charmante.

Les amateurs avertis l'attendaient ce « Fausse piste » de James Crumley et ceux (dont je suis) qui vont le devenir après sa lecture vont signer des deux mains pour s'accaparer les prochaines parutions à venir. Car ce choix de retraduire les huit romans – après ceux de Ross McDonald – ne peut que satisfaire un lectorat attentif à cette « remise au goût du jour » des oeuvres qui ont connu un « destin éditorial chaotique » comme le précise Olivier Gallmeister. Précision importante puisque nous parlons de nouvelle traduction, c'est Jacques Mailhos, une pointure reconnue dans le métier, qui a accepté de relever le défi. Et je me suis senti bien moins seul lorsqu'il avoue « ne connaître l'auteur que de nom. » (lire les entretiens sur Fondu Au Noir) Seconde précision importante, c'est Chabouté qui illustre ce roman lui offrant une stature supplémentaire avec de remarquables dessins en noir et blanc qui collent parfaitement à l'ambiance.

Avec cette enquête Milo va nous conduire aux portes des bistrots, nous allons marcher dans les vomissures, les crachats puis entrer et subir l'atmosphère hallucinée de ces êtres sans passé ni futur et dont le seul présent se trouve là sous leur nez, sur le comptoir cradingue. Ces personnages cabossés par la vie suivent une autre chemin et Milo en fait le sien. Pochard il l'est mais cela ne l'empêche pas de chercher des pistes qui vont aussi le conduire dans un autre milieu, celui de la came. Il va s'en prendre des cuites phénoménales, il va s'en prendre des branlées monumentales mais il va se relever et succomber à la beauté de sa cliente. Où est ce putain de jeunot ?
La suite sur : http://bobpolarexpress.over-blog.com/2016/05/errance-aveugle.html
Lien : http://bobpolarexpress.over-..
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Première enquête du privé Milo Milodragovitch. Les Milodragovitch, à Merriwether (Montana), font partie des meubles. Dernier rejeton d'une lignée de poivrots fameux, Milo est détective privé, spécialisé dans les constats d'adultères. Mais voilà qu'une splendide et trouble rouquine l'envoie retrouver son petit frère disparu…

Crumley revisite les classiques du roman de privé avec un lyrisme et un brio éblouissants. Il en profite au passage pour égrainer sa haine du touriste et du banditisme mafieux, sa tendresse pour les fortes têtes provinciales, piliers de bars et autres loosers amochés par la vie, et son incompréhension détachée de la nouvelle génération aux cheveux longs. Chute amère et magnifique. Un chef d'oeuvre !
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