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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
C'est en digne philosophe du mouvement des libertins érudits que Cyrano de Bergerac nous offre cette oeuvre majeure, autrement appelée l'Autre Monde (L'Autre monde ou Les États et Empires de la lune et du soleil ou encore Histoire comique des États et Empires de la Lune et du Soleil), oeuvre que les philosophes renvoient volontiers à la littérature, d'où l'habitude prise d'y déceler un soi-disant proto-roman d'anticipation. Alors que dire de Tchouang Tseu ne sachant plus s'il rêvait qu'il était un papillon ou un papillon rêvant qu'il était lui-même, y verrait-on de la science fiction ? Il n'y a pas plus d'anticipation ici que dans les utopies de Thomas More et de Campanella.

Foisonnant panthéisme enchanté et singulier, à la fois roman d'aventure et conte philosophique, métamorphose permanente nous semant pantelants dans les marges, Cyrano de Bergerac dans ce livre nous mène par le bout de notre petit nez en nous dépouillant de nos habitudes chrétiennes et nous offre tout l'éventail de sa philosophie de libertin : monde immanent que dieu contient et qui contient Dieu, âme matérielle et mortelle, statut de l'homme soudain descendu de son piédestal chrétien pour apprendre l'enseignement de la Nature (le Deus seu Natura de Spinoza s'annonce à grands pas), altérité prise dans la diversité, questionnement du réel et de la vérité hors du religieux…

La course folle de son style, de ses inversions de valeurs et de ses prises de distance (planétaires donc intellectuelles) sont à l'image de son personnage et de sa vie : clair obscur, bouillonnant soleil et face cachée.
Jouant des distorsions, souvent initiatique, Cyrano de Bergerac se pose en observateur de son temps, de ses moeurs et de sa morale en travestissant le vrai dans la fiction et l'irréel dans la vérité, obsession que l'on retrouve chez tous les penseurs libertins érudits. Avec mille personnages, mille situations, mille métamorphoses, révisant la mythologie grecque et judéo chrétienne, le tout sur un ton poétique malicieux et renversant, ce cabinet de curiosités joue avec notre optique et nos points de vue pour penser autrement et proposer une alternative aux perspectives chrétiennes, ses illusions, ses vérités fictives, sa morale et ses artifices.

Présenter, à la suite de cette oeuvre philosophique, une étude ardue de physique pure littéraire (inachevée) de Cyrano est plus que pertinent pour dire combien ce penseur est un enfant de son siècle, siècle pétri d'une passion pour penser le monde d'une façon matérielle et raisonnée, à cent lieues de l'étouffante scolastique des intellectuels religieux et des commentateurs platoniciens et aristotéliciens chrétiens. Il s'y interroge d'ailleurs sur les conditions de la connaissance et montre qu'il est un grand connaisseur des sciences de son époque. Cyrano de Bergerac annonce avec ses collègues libertins érudits tous déistes, ou fidéistes voire panthéistes comme lui, tous autant philosophes que scientifiques, l'avènement du grandiose péril spinoziste puis celui des Lumières.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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j'ai lu ce roman dans le cadre de mon cours de littérature en philosophie. même ressenti qu'après avoir lu du Diderot ou du Voltaire, je me sens tout simplement "remplie" d'une vision nouvelle. de fait, ce roman est absolument passionnant. mes moments préférés sont ceux où le protagoniste converse avec les habitants des différentes planètes qu'il visite. comme le résumé l'indique, le fonctionnement de ces sociétés fictives permet de questionner la notre et de la mettre en perspective. j'en suis sortie avec des étoiles dans les yeux.

"L'Autre Monde" est divisé en deux : d'un côté "Les États et Empires de la Lune" et de l'autre "Les États et Empires du Soleil". j'ai particulièrement aimé le premier.

j'ai aussi relevé de nombreuses métaphores très percutantes : le style de l'auteur m'a bien plu. d'ailleurs, écrit au XVIIème siècle, je me demande si Voltaire ne s'en serait pas inspiré pour ses propres oeuvres. j'avais appris en étudiant Cyrano de Bergerac (je parle bien de l'auteur et non pas du personnage de Rostand !) que son oeuvre est oubliée du plus grand nombre. alors, si vous vous intéressez aux oeuvres des Lumières, n'hésitez pas à découvrir ce roman qui annonce déjà les interrogations du XVIIIème siècle !

(issu de mon compte Instagram @l.iris.me)
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Considérées parfois comme relevant du genre de la science-fiction, ces "Histoires comiques" s'inscrivent plutôt dans la lignée du roman parodique baroque, initiée par Don Quichotte en 1605 et continuée en France par Sorel (Le Berger extravagant) ou Scarron (Le Roman comique). Quant au contenu, Cyrano reprend directement l'idée de L'Homme dans la Lune de Francis Godwin publié en 1638. Comme lui, ce voyage fantaisiste est l'occasion d'un décalage dans la fiction permettant de débattre librement des questions de physique et de philosophie qui pourraient être condamnées par l'Église (Galilée est condamné en 1633). Outre l'explication et la légitimation par la logique des thèses scientifiques de ses contemporains concernant l'astrologie (les mouvements des planètes, l'infini de l'espace, le vide…), la biologie et la physique (la nature des corps, les particules, les cinq éléments…), l'oeuvre de Cyrano est avant tout de nature satirique et non réaliste, avec pour commencer cette parodie du Jardin d'Éden. En cela, Cyrano est clairement l'héritier des Histoires Vraies de Lucien de Samosate (IIe siècle) dont les voyages dans l'estomac d'une baleine, sur des îles merveilleuses ou dans l'espace, influencèrent Rabelais, Swift, Voltaire, Collodi (Pinocchio) ou encore Eiichiro Oda (One Piece). La rencontre avec des Séléniens civilisés habitant la Lune, vivant à quatre pattes et ayant des moeurs totalement contraires à celles des hommes, propose au lecteur un miroir inversé, changement de point de vue sur la civilisation, décentrement, relativisation des normes et des valeurs morales considérées alors comme universelles : l'autorité du père, la virginité et l'abstinence, la supériorité de l'homme sur l'animal, l'immortalité de l'âme… En luttant contre le dogmatisme de l'Église qui empêche les avancées de la connaissance et la recherche du bonheur, Cyrano se place dans la perspective épicurienne ou libertine de son maître Pierre Gassendi, et fait circuler des idées qui pouvaient paraître tout à fait extravagantes ou choquantes à ses contemporains alors qu'elles sont devenues l'objet de luttes sociales et idéologiques : les libertins du XVIIIe comme Sade ont milité pour la liberté sexuelle, les anarchistes remettent en question la domination masculine et paternelle, les anthropologues la domination d'une culture sur une autre, les décroissants de l'homme sur la nature...

L'authenticité du voyage dans le Soleil a parfois été contestée. C'est pourtant la suite logique. Après avoir mis à mal les repères de la raison dans Les États et Empires de la Lune, Cyrano développe en tout sens l'horizon de la connaissance humaine dont on pourrait disposer en osant libérer la parole scientifique et philosophique, et donc le potentiel de penser. La persécution dont son personnage Dyrcona est victime et qui l'oblige à fuir jusque dans le Soleil, rappelle les parcours de Giordano Bruno (brûlé par l'Église en 1600) et de Campanella (qui passe vingt-sept ans en prison et y écrit son utopie La Cité du Soleil). le royaume des oiseaux où se déroule un nouveau procès s'inspire-t-il en quelque chose de la Conférence des Oiseaux du poète soufi Farid al-Din Attar ? Ces oiseaux qui jugent et condamnent le voyageur au nom de la civilisation à laquelle il appartient parce que celle-ci les persécute, et aussi en raison de son mode de vie, représenteraient aisément une culture voisine comme celle du monde musulman. Son sauvetage par un oiseau qu'il a aidé un jour fait penser à l'univers des contes mais montre aussi comme l'amitié et la tolérance devraient surpasser la communauté de croyance. En même temps, ces oiseaux revanchards symbolisent et dénoncent de manière totalement avant-gardiste le mauvais traitement que les hommes font subir aux animaux (Bruno s'était fait végétarien après Pythagore et Plutarque...) et cette nature qui pourrait bien être tentée de se venger... le Soleil, élément divin représentant l'absolu, l'ultime élévation, le lieu d'un idéal comme chez Campanella, pourrait bien être interdit d'accès à des humains intolérants, fermés d'esprit, guerriers, avides...
Lien : https://leluronum.art.blog/2..
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