«...une petite orpheline sur terre, qui a dû chercher affection et famille au large, dans la mer.
La terre ferme a été une marâtre, alors que la mer l'embrasse et la caresse.
Sur l'île, il lui a manqué le creux d'une main comme coussin pour la sienne.
Les dauphins ont pensé à lui offrir le soutien d'une nageoire pour la faire glisser avec eux sans poids.»
Histoire d'Irène est un très bel hommage à la terre grecque, à la Méditerranée, empreint de poésie, d'intensité, d'une très grande profondeur. Un texte qui prend toutes les allures d'un conte, fascinant, l'auteur navigue entre réalité et fiction, pour évoquer sans nul doute des faits bien réels. À travers ce texte,
Erri de Luca donne la parole à ceux qui n'ont pas de chez eux, exclus, et que leur différence ne leur permet pas d'être acceptés là où ils vont.
«Être expulsés deux fois fait mal aux os. Pour la Méditerranée est une mer qui jette dehors.
Pour ceux qui l'ont traversée, entassés et debout sur des embarcations hasardeuses, la Méditerranée est une mer qui jette dedans.
Au large, l'été, se croisent des radeaux et des voiliers, les destins les plus opposés.»
C'est aussi une ode à la nature et au monde animal, un hymne à la vie.
«L'amour entre les créatures est le roi des exceptions, il est à la vie ce que l'hérésie est aux religions.»
«Elle m'emmène au massacre des dauphins dans la baie de Taiji, chaque année leur sang engraisse la mer du Japon.
On les abat jusqu'aux derniers qui cessent de résister et se laissent tuer.
Les dauphins commandent leur respiration et peuvent l'arrêter.
[...]Un dauphin vit cinquante ans, beaucoup moins s'il est prisonnier d'aquariums et de piscines.
Contraints à faire des cabrioles en l'air pour recevoir leur nourriture, ils tombent malades, humiliés par le vacarme des applaudissements. Ce sont des coups de fouet et des dérisions.»
Erri de Luca se met en scène dans ce récit; n'est-il pas cet écrivain solitaire qui écoute les histoires d'Irène, qui les entend du fond de son âme, car Irène ne parle pas, celui qui est à l'écoute de ceux qui sont rejetés, et qui en tant qu'écrivain retranscrit leur témoignage, leur histoire et nous pousse à la réflexion, nous transporte loin de notre quotidien ?
Le second et court récit le ciel dans une étable revient sur la libération de Capri par les américains en 1943 et évoque la fuite vers la liberté de son père (je me suis renseignée !) Aldo de Luca, sous-lieutenant dans les chasseurs alpins, qui a été contraint de se cacher après la dissolution de l'armée italienne. le récit raconte ce périple à la rame vers Capri, en compagnie de cinq autres personnes, en fuite aussi, pour d'autres raisons. Il fera la rencontre d'un juif; les échanges avec cet homme sont poignants.
«Depuis combien de temps es-tu clandestin ?» L'homme montre deux doigts dans le noir, l'index et le majeur, et il murmura : «Depuis deux mille ans. - Tu ne les fais pas. Moi, trois semaines caché m'ont déjà fait vieillir. Ca veut dire qu'à erre tu paieras à boire. La fin de deux mille années de clandestinité doit être arrosées comme il se doit.» Dans le noir, le juif fit le geste du toast.
Le troisième récit Une chose très stupide, est celui que j'ai préféré. Un superbe récit, très poétique et émouvant, sur la mort, sur la rudesse hivernale tant redoutée dans ces contrées du Sud, sur la scission intergénérationnelle. Avec beaucoup de douceur,
Erri de Luca, nous transporte à l'aube d'un ultime instant ensoleillé, en compagnie de ce vieux napolitain, hanté par ses souvenirs de guerre qui s'abandonnera face à la Méditerranée ... une ultime saveur douceâtre et libératrice dans la bouche.
J'ai découvert
Erri de Luca dans les actualités, il avait été accusé de terrorisme pour avoir incité au sabotage J'ai été intrigué par cet homme si discret et pourtant si éloquent quand il s'agit de défendre de nobles causes.
Un auteur que je vais suivre, parce que très émue par l'homme et par sa plume poétique.
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