Erri de Luca nous offre là un texte court mais dense, un texte où chaque mot compte et est à sa place. Il a la même précision et la même puissante beauté que les gestes (que l'auteur connaît bien) du grimpeur à mains nues qui s'élève tout en souplesse en harmonie avec la paroi.
Deux solitaires vont se mesurer : le roi d'une harde de chamois qui sent son déclin et qu'est arrivée pour lui sa dernière saison de domination et un braconnier qui, lui aussi, la fatigue le gagnant, compte terminer en beauté en ramenant comme trophée la barbe et les cornes de ce roi majestueux qui le nargue depuis des années.
Au cours des journées qui précèdent leur ultime rencontre nous apprenons à les connaître, partageons avec eux leur approche de la nature, comment ils s'y intègrent l'un et l'autre, comment ils rusent, se préparent, prennent la mesure de leur force et de celle de l'adversaire.
«Il ne dormait pas avec le troupeau, pas même pendant l'automne de l'accouplement...Il descendait vers la harde à des heures différentes, avec le brouillard, avant l'aube, après le coucher du soleil. Il ne donnait à personne la chance de le prévoir.»
« L'homme ... était incapable de leur complicité avec la hauteur. Eux vivaient dans son intimité, lui n'était qu'un voleur de passage.
Il avait vu les chamois franchir les précipices en pleine course, l'un derrière l'autre, exécutant une séquence de pas identique dans leur prise d'élan.Leur saut était un raccommodage entre deux bords, un point de suture au-dessus du vide. Il enviait la supériorité de l'animal,...»
Et la force de l'animal est surtout d'être entièrement présent à chaque instant.
«Les animaux savent le temps à temps, quand il est utile de le savoir. Y penser avant est la ruine de l'homme et ne prépare pas à être prêt.»
On n'assiste pas à un affrontement entre l'animal et l'homme, plutôt une élévation de l'un par l'autre et... qui aurait pu penser qu'un papillon allait peser d'un tel poids ?.... Je n'irai pas plus loin car cette histoire pleine de poésie sait aussi tenir en haleine.
Un petit texte, «Visite à un arbre», complète ce volume en nous contant la rencontre de l'auteur et d'un pin des Alpes, penché sur le vide : «Une fois par an, je monte saluer l'arbre, j'emporte de quoi écrire et je m'assieds à son pied......Un arbre solitaire a une clôture invisible, aussi large que son ombre à poser tout autour. Avant d'y entrer, je retire mes sandales. Je m'allonge sous sa lumière.»