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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Deux hommes et une femme.

L'un, écrivain, a appris l'hébreu pour lire la Bible, et le yiddish, bouleversé par une visite au ghetto de Varsovie reconstruit et à Auschwitz-Birkenau, en mémoire de ces onze millions de personnes qui le parlaient dans les pays de l'Est avant la Seconde Guerre mondiale. L'autre, citoyen autrichien, s'est lancé dans l'étude de la kabbale, après une rencontre fortuite, pour comprendre la défaite du Troisième Reich. La femme découvre, à vingt ans, que son père est un criminel de guerre, nazi sans remords, masqué sous une fausse identité, facteur de métier, quasi muet en public pour que sa voix ne soit pas reconnue par d'anciennes victimes des camps.

La kabbale est au centre du récit.
L'auteur aime l'esthétique des lettres hébraïques et la sonorité des mots qu'il murmure. le criminel de guerre les décortique pour saisir pourquoi les chefs allemands n'ont pas désintégré le livre sacré, noyau du judaïsme, alors que l'éradication du peuple élu par la destruction des corps, a été un échec.

L'un traduit en italien des oeuvres en yiddish d'auteurs peu connus dans son pays.
L'autre associe les chiffres aux lettres pour donner sens, son sens, aux Sephiroth. Il découvre que tout y existe que la persécution des Juifs est annoncée, que la vengeance y est inscrite. Il se sent traqué depuis son retour à Vienne, non pas par ceux de son pays mais par « eux ». Il veut savoir pourquoi le nazisme a échoué et pourquoi, lui, soldat obéissant, doit errer à travers le monde.

Après le départ de sa femme, il trouve un appartement plus proche de son lieu de travail, tout près de l'Institut Wiesenthal où il dépose chaque jour du courrier, croyant prendre à revers ses poursuivants. Sa fille accepte de rester à ses côtés, sans complicité et sans conflit. Elle a reçu son père en héritage à un âge où elle aurait pu recevoir un fils. C'est un poids dont elle ne sent aucune culpabilité, aucun besoin de retrouver des enfants de nazis, aucun besoin de connaître l'identité réelle de son père. Elle pose comme modèle à l'Académie des beaux-arts. Elle se sent « faite pour le métier de statue ».

Lors de quelques jours de vacances au Tyrol, le père et la fille s'arrêtent dans une auberge. C'est là qu'a lieu la rencontre avec l'auteur, revenu d'une journée d'alpinisme.

L'un lit un texte en yiddish tout en remuant les lèvres comme à son habitude ; l'autre y voit un signe, il croit qu'il a été rattrapé, que la vengeance est proche, que sa défaite est consommée.

Ce livre comporte deux parties : la première narrée par un écrivain qui a appris l'hébreu pour lire la Bible et le yiddish par devoir de mémoire, qui ressemble tellement à son napolitain « deux langues de grande foule dans des espaces étroits ». Il brosse avec délicatesse les victimes de la Shoah.

La deuxième partie est racontée par la fille du criminel de guerre. Son enfance innocente bercée par un mensonge sur sa filiation. Sa vie d'adulte auprès d'un père qu'elle ne veut pas renier mais pas accréditer non plus.

Erri de Luca sait, en peu de mots et avec sobriété, donner de la profondeur et de l'épaisseur à ses personnages, comme il sait à merveille manier des conceptions contraires sans juger, sans prendre parti tant il connaît la complexité humaine.

Une grande humilité pour aller à l'essentiel. La classe.





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« le tort du soldat est la défaite. La victoire justifie tout. »

L'officier nazi qui déclare cela se sent traqué, perpétuellement, où qu'il aille. Sa femme beaucoup plus jeune que lui l'a quitté. Sa fille apprend à ce moment qu'il est son père, et non son grand-père comme on lui avait fait croire. Elle perd une mère en même temps qu'elle accepte son père. Non ses exactions, non ses crimes, mais son père.
Durant son enfance, elle a supporté le silence lourd de ses parents, mais elle a expérimenté également la légèreté des mains d'un garçon sourd-muet ouvert à la douceur du monde. Jeune fille, jeune femme, elle a offert au regard des élèves des Beaux-Arts son corps hermétique et parfait.
Tandis que son père étudiait la kabbale et la symbolique des nombres. Tandis qu'il était taraudé par l'essence du judaïsme, hanté par les Juifs.

D'un autre côté, il y a l'écrivain napolitain hanté par le yiddish qui « ressemble au napolitain, deux langues de grande foule dans des espaces étroits. Expertes en misères, émigrations et théâtres ». Chargé par son éditeur de traduire des manuscrits d'Israel Josuah Singer, il s'immerge dans ces textes et en retire une jouissance extrême.

Le couple père-fille et l'écrivain se retrouvent fortuitement dans une auberge des Dolomites. La montagne pesante et majestueuse au soleil couchant accentue l'atmosphère d'incompréhension, de souvenirs, de nostalgie, de peur et de jouissance.

Tout cela, oui, tout cela rassemblé dans une atmosphère qui m'a subjuguée et m'a appris la plénitude.
J'aurais voulu tout noter, j'aurais voulu tout retenir. Chaque mot est pesé, chaque phrase forme un collier de sagesse. Je quitte ce livre riche de tout ce que j'ai lu. Je me sens pleine.

Lumière, profondeur.
Regard hanté, regard traqué.
Cri.
Apparence intime.
Jouissance des mots. Secret des nombres.
Silence. Mystère, toujours.

J'ai adoré
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J'avais apprécié cet auteur voici dix ans déjà à la lecture du « Noyau d'olive » ; quelle force et quelle exigence ! Je le redécouvre toujours aussi fortement engagé et parfois passionné lorsqu'il s'agit d'intervenir pour défendre la nature ou plus encore une communauté comme citoyen. Et pourtant son engagement s'affine et devient par la même encore plus mystérieux et plus puissant à la fois ! Comme il l'a dit lors d'une interview, « J'écris pour rendre présents ceux qui ne sont plus là » et à la dernière page de ce bref récit p. 88, il prend rendez-vous avec le destin. Une lecture tout à la fois puissante et réservée. Un vrai bonheur de lecture d'un auteur qui connaît beaucoup de langues dont l'hébreu. JP.
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Roman bouleversant au propre, les deux pistes amorcées au court du récit se rejoignent dans un final déchirant, comme au figuré, le destin de ce soldat traqué cherchant dans la Kabbale le sens de la défaite nazie remue les tripes.
Erri de Luca est, à l'instar d'un Vassilis Alexakis, un érudit passionné de la langue, estimant que la vérité se situe au niveau de l'os.
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Erri de luca nous raconte deux histoires, :
celle d'un homme amoureux de la langue yddish, " le yiddish a été mon éntêtement" , une maison d'édition lui propose de traduire des textes pour en faire un recueil des oeuvres de Singer, il nous rappelle une partie de cette vilaine guerre et la destruction du peuple juif.
et celle d'une jeune femme qu vit avec son père. Longtemps elle a cru que son père était son grand père, celui-ci criminel de guerre nazi a changé de nom et de traits, jamais elle ne saura son vrai nom, mais elle vit avec lui par devoir. Cet homme ne voulait pas reconnaître la responsabilité de ses actes et il fuyait " la majeure partie de sa vie, mon père a regardé derrière lui"
ce livre nous incite au travail de mémoire, de nous responsabilités.à souvent ignorer l'autre.
Les paragraphes sont courts et percutants, on a envie de continuer, continuer pour "savoir" ce morceau de vie.
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"Il torto del soldato" Feltrinelli aprile 2012.
Je voulais rentrer la version italienne puisque c'est celle que j'ai lue, mais Babelio me le met automatiquement en français. C'est un peu contrariant.

Inutile que je présente les personnages et le décor. C'est déjà fait par les autres lecteurs.

Voici un petit livre de 78 pages,composé de mots spécifiques qui cachent des significations importantes.
C'est une histoire aux multiples lectures, un récit qui captive et fait réfléchir sur la guerre, sur les mensonges et les demi-vérités, sur le fait que L Histoire est écrite par les vainqueurs.
Plusieurs questions sont soulevées:
_la langue yiddish possède-t-elle sa grammaire des signes qui peuvent donner à lire les événements et le destin?
_où finit le territoire de la justice dans la vie d'un soldat?
Elle est mince la ligne qui sépare la gloire et l'héroïsme des vainqueurs de la condamnation des vaincus;
Le tort du soldat est de perdre la guerre, parce que la victoire justifie tout , à l'inverse de la défaite.
La jeune femme présent L Histoire selon deux points de vues : celui de son père autrichien et le sien, celui de la fille qui demeure extérieure aux événements passées.
Elle met en évidence les rapports vieux père et fille. Une fille qui ne veut pas être celle d'un criminel de guerre.

J'ai aimé et j'apprécie de ne rien perdre de la beauté du texte d'origine.
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Le tort du Soldat.

Court mais justement essentiel ce récit traite de la convergence de de deux vies apparemment sans liens.

Pourtant le propos qui tourne autour de la littérature yiddish met en scène l'auteur et le couple improbable d'une fille et de son père nazi qui fuit les représailles. Loin de regretter ses actes, il regrette la défaite de son peuple : le tort du soldat, c'est la défaite.

Erri de Luca et cet homme n'ont en commun que la langue, sa formation, son alphabet, sa syntaxe et l'effet qu'ont certains caractères sur le sens des mots.

C'est donc sur ce terrain qu'ils vont se retrouver sans échanger une seule parole. Chacun prendra l'autre pour ce qu'il n'est pas sous les yeux rêveurs de la femme qui identifie De Luca à un amour de jeunesse. Pas de mots là non plus, le jeune pêcheur d'Ischia était sourd muet…

De Luca et sa traductrice savent les mots qu'il faut pour captiver un lecteur acquis sans contrainte à cet exercice brillant et lourd de sens.
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Deux récits sur la barbarie nazie reliés par une rencontre fortuite dans une auberge près du mont Stoconi.
L'écrivain a appris le yiddish pour que cette langue et cette culture ne tombent pas dans l'oubli. Il se rend sur les lieux d'internement et du génocide pour traduire en mots cette inhumanité.
Après une escalade en montagne, il rencontre une jeune femme et son père, un criminel nazi.
La jeune femme à son tour raconte : son enfance, faite de fuites, de mensonges, de silence; son adolescence et ses découvertes du corps, de ses sensations de légèreté ressenties grâce notamment à un jeune homme sourd et muet.
Dans une langue à la fois simple et recherchée, Erri de Luca met en place 2 récits émouvants, profonds et efficaces. Il donne l'impression au lecteur d'être lui aussi un transmetteur de sagesse et d'érudition.
A lire, relire, faire lire ce texte qui devrait plaire aussi à de jeunes lecteurs.
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« Pour toi, toute coïncidence est un hasard, parce que tu ne veux ni voir ni connaître. Et pourtant, tout est écrit dans ces sommes égales. » Ainsi l'ancien criminel de guerre nazi parle-t-il à sa fille de ce qu'il vient de découvrir, dans sa vieillesse : « la kabbale était le noyau ignoré du nazisme ». le tort de ce soldat en est conforté, non pas qu'il regrette ses crimes, mais plutôt son ignorance d'alors, car le Tort du soldat, ce fut la défaite.

Erri de Luca a construit un double récit remarquable dans lequel il n'y a pas de hasard. Sa rencontre dans un refuge de montagne avec ce criminel et sa fille n'est pas fortuite. Amoureux des grands espaces parmi les cimes ou sur les mers où tout semble libre, ce roman est parfaitement ordonné selon des calculs qu'il a fait siens.

« J'ai fermé les yeux, je me suis endormi une minute, car je ne sais pas prier. » Puis, les ayant rouverts, il a écrit cet hommage à un peuple et à une langue, le yiddish, qu'il a voulu apprendre, pas simplement parce qu'elle a de commun, avec son napolitain natal d'être « expertes en misères, émigrations et théâtres. »

Erri de Luca n'est pas croyant, pourtant il a déjà écrit de nombreuses lectio divina, publiées en plusieurs épisodes par Gallimard. La fille du criminel nazi ne croit pas en dieu non plus, mais elle sait qu' « en hébreu, un des noms de la divinité signifie : « Ce qui suffit ». (…) Je ne suis d'aucune foi, mais pouvoir s'adresser à « Ce qui suffit » doit être une bonne ressource. »

C'est également ce que l'on peut dire de ce dernier ouvrage paru d'Erri de Luca, qui a bien mérité le prix Jean Monnet 2014 de littérature européenne.
Lien : http://tmblr.co/Z4Dxcn1MpaUVM
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Juste ... Magnifique!
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