Les fauves qui ne se nourrissaient que de chair fraîche et de sang chaud et qui ne goûtaient l’herbe qu’en bouillie dans la panse et les tripes de leurs victimes ; les fauves, Lion, Panthère, et d’autres moins redoutés, avaient fui vers d’autres pays où la tutelle des hommes sur leurs bêtes était moins vigilante et où la Savane était peut-être moins complice de celles-là, Biche, Antilope, Gazelle qui n’avaient pas de maître, sans doute, mais qui n’ayant non plus, ni crocs ni griffes avaient toujours compté sur leurs pattes, sur l’écran des fourrés, sur la hauteur et l’épaisseur des touffes ou sur l’humeur du vent, pour sauver leur vie et prolonger leurs jours et leurs nuits.
Si M’Bam-l’Âne n’avait jamais pu lire, s’il n’avait pu apprendre beaucoup, il avait retenu et retenait très bien le peu qu’il avait appris.
Tout d’abord il avait appris chez lui que si ceux de sa famille avaient été dotés d’oreilles de la taille de celles que chacun y portait, c’était pour bien entendre et mieux s’entendre même au milieu des plus assourdissants braiements.
Il avait appris que ce qui entrait par l’oreille restait plus sûrement dans la tête et dans la mémoire que ce que l’œil regardait ou croyait voir et qui souvent n’était que leurre.
L’herbe sèche des champs avait maintes et maintes fois enflammé l’herbe verte de la brousse. Tanières de Lions, gîtes de Lièvres, bauges de Phacochères avaient souvent brûlé après les greniers des villages au passage des conquérants et des pillards dont les chefs laissaient derrière eux ruines et deuils, veuves et orphelins ; mais aussi parfois traînaient dans leur sillage quelques sentences, fruit des enseignements de leurs griots.
Tout arrive décidément en ce monde. En ce pays plein d’herbe et d’eau, d’où la maladie s’est enfuie depuis des lunes et des lunes il ne meurt plus une bête même pas la plus vieille des vaches de ce malheur de Malal-le-Berger ; et Laobé le creuseur de bois surveille trop bien ses ânes ; plus un seul bout de fesse à emporter depuis plus d’une lune...
Mais... mais les plus vieux du pays affirmaient cependant aux temps anciens : « Qui descend de son canari brisera tout autre canari qu’il chevauchera ! » Les temps ayant changé, et vivre étant devenu moins facile, les moins vieux, plus près des jours de nos pères, soutenaient pour leur part : « Qui descend de son canari trouvera occupé par son propriétaire tout autre canari qu’il abordera.»