Christian Dotremont4/5
1 notes
Abrupte fable
Résumé :
Du surréalisme sous l’occupation allemande à l’aventure expérimentale de Cobra initiée en 1948, Christian Dotremont a traversé son temps en poète qui s’émerveille et s’inquiète à chaque fois du mystère consistant à « aller et venir ainsi dans la réalité ».
Ses incessantes allées et venues, dont témoigne l’anthologie Abrupte fable qu’il avait ébauchée sans pouvoir l’achever, le menèrent de Tervuren en Belgique, où il est né, à Zandvoort et à Bruxelles, à Pari...
>Voir plus Christian Dotremont aurait eu cent ans cette année. Il est décédé en 1979, à l'âge de 56 ans, dans le sanatorium de Buizingen. Avec lui mourait le dernier surréaliste belge, fondateur du groupe Cobra et inventeur des « logogrammes », mêlant mots et peinture pour en faire de véritables poèmes visuels.
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Les trois forêts
extrait 3
J’étais seul l’autre nuit, — à regarder la forêt, — par la fenêtre, — puisque nous ne vivons plus que deux et je me disais que tu étais à un bout de la forêt, — et que moi j’étais à l’autre bout, — et qu’il n’y avait au fond qu’une forêt — dans le monde, — entre nous, — et j’espérais que d’arbre en arbre allait capricieusement voler ta voix, — mon amour, — jusqu’à mon amour. La forêt, tant je la regardais, a parlé, mais voilà je ne l’ai pas comprise, — tant je t’écoutais.
Pour Sevettijärvi
Extrait 1
Il faut voler le feu sans perdre les braises ni les cendres, ni le froid pour lequel on l’allume ni le froid vers lequel il disparaît. Nous prîmes le feu et les braises et les cendres, mais eûmes tendance à échapper aux froids, c’est-à-dire aux quelques marges que cependant nous faisions quelquefois, et aux marges qui quoi qu’il en soit sont parmi et aux marges qui quoi qu’il en soit sont dehors. Sevettijärvi, c’est la marge du dehors, qui a son parmi, le formidable parmi du rien qui je le disais. Je vais partir pour Sevettijärvi, avec un peu de mon parmi dans une valise, elle contient un mot de Laila, la fourrure du glouton, des rectangles pleins de brouillons de Bachelard, de Bove, de Beckett, un deuxième chandail, un appareil photographique, les poussières que je ramasse sans fatigue, et les brouillons que je fais moi-même dans des rectangles de papier avion, de papier machine ;
….
Pour Sevettijärvi
Extrait 2
le savon glissa, il y a une heure, dans le seau, et tomba dans la rigole de glace où je versais l’eau, et du coup fut repurifié, par cette mort, et je le ramassai, il est là aussi, rectangle fondu, chargé encore d’un peu de gel. Est-ce que ce peu de gel tiendra jusqu’à Sevettijärvi ? C’est presque toujours la même chose. Je me demande si ma cigarette tiendra jusqu’à la pierre runique, si mes lacets tiendront jusqu’à ce soir, si mon souffle tiendra jusqu’à demain, et si rien ne cède tout de suite, rien ne tient tout à fait, et je ramasse, je me ramasse, et de cet amas de brouillons, j’essaie de faire un peu de feu pour quelques autres. Moi, j’ai de quelques autres un peu de feu, et quelquefois des mêmes, plus celui qui me pousse dans la vue quand je suis contraint de me la froisser, dont j’ai prédit qu’à Sevettijärvi.
Les trois forêts
extrait 2
Tu étais avec moi lorsqu’une autre forêt, — une autre nuit — d’un autre été, m’a parlé, — elle parlait à toi premièrement, — elle nous parlait, — mais c’était la même voix, je l’ai tout de suite reconnue. Toi, tu aurais pu la comprendre, facilement, — tu connais les forêts par cœur, — et moi j’aurais pu, puisque tu étais là, — comprendre quelque chose, — juste assez pour deviner grand’chose. Mais voilà, nous n’avons l’un et l’autre entendu que la voix, tant notre amour nous occupait de son silence — et de sa chanson à lui.
Les trois forêts
extrait 1
C’est une nuit d’été que j’ai pour la première fois entendu la forêt parler, je me suis arrêté pour que le bruit de mes pas, — j’ai dominé mon émotion pour que le battement de mon cœur — ne se mêlent pas à cette voix tumultueuse de feuilles, — craquante de branches et glissante de mousse, — et palpitante d’odeurs et d’oiseaux, — claire d’été mais sourde de nuit. Je n’ai pourtant pas compris, — je n’ai rien compris, — je n’étais pas habitué, — et de mon côté je n’ai rien dit.
Christian DOTREMONT – Une Vie, une Œuvre : écrire les mots comme ils bougent (France Culture, 2002)
L’émission "Une Vie, une Œuvre", par Michel Cazenave, diffusée le 21 avril 2002 sur France Culture. Invités : Pierre Alechinsky, Frédéric Baal, Anne Beyers, Michel Butor, Jacques Calonne, Luc de Heusch et Ann West.
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