Même si le livre n'est pas mal écrit du tout, on va s'entretenir ici bien davantage d'histoire que de littérature.
Bien entendu
Antoine DREYFUS ne possède pas un patronyme totalement anodin quand on évoque la France de Vichy, ou même, quelques années avant, une affaire militaire qui défraya, pour le moins, la chronique, les deux ayant, pour écoeurante clef de voûte, un antisémitisme de fond dans le pays.
Notre journaliste s'attaque avec vigueur et une belle honnêteté à ce sujet : les grandes maisons de négoce, autres courtiers en vins et même viticulteurs ont-ils résisté à la vague allemande des années 40 ? Vigueur parce que d'une part il attaque de front le problème avec la plus grande région viticole française, le Bordelais, honnêteté parce qu'il avoue son impuissance à pénétrer les arcanes de secrets de famille bien gardés, hélas pour la vérité historique.
Nous sommes actuellement submergés de tant d'infos, sur fond de pandémie ou de campagne électorale, que le devoir dit de mémoire nous échappe un peu. Aussi se trouve-t-il fort à propos qu'un rappel de certains événements autant que de personnages y ayant collaboré, si j'ose dire vu l'époque, nous soit remis en face.
J'avoue que, personnellement, j'avais zappé le fait que le sombre Bousquet avait été préfet de la Marne, c'est-à-dire de la région Champagne, jusqu'en avril 1942. Pour ma part, vivant actuellement dans le sud-ouest, Adrien Marquet m'était davantage connu. La façon dont le journaliste dépeint la bourgeoisie bordelaise se voit criante de vérité. Mauriac avait bien commencé ; là, il s'agit d'autre chose. Quand on lit la manière dont Louis Eschenauer vivait, quatre-vingts ans après, je crois qu'on a du mal à se réimaginer l'époque, époque où neuf français sur dix crevaient la faim. le témoignage de sa nièce, qui a mis le fond de son oncle à disposition du journaliste, apporte un regard tout à fait digne d'intérêt. On peut regretter que d'autres régions aient occulté le plus gros de cette époque de honte.
Par ailleurs, le reporter nous rappelle une foule de pratiques, en passant, vécues dans ces années 40. Finalement, ce récit emprunte presque la forme d'un road-movie.
À côté de ce qu'ont fait ou fait faire les criminels de guerre, atrocités, tortues, délations …, les actes de ces richards, pour qui le mot profit constituait la pensée principale, paraissent globalement moindres. D'autant que les premiers évoqués ont souvent fini leur vie dans leur lit, et parfois repris le cours d'une vie bien ordinaire.
Mais la bassesse d'esprit, la flagornerie, le fayottage ne constituent pas pour autant des attitudes recevables. le problème est qu'elles s'ajoutent au reste d'une partie d'histoire déjà invivable.
Ce serait souhaitable que ce petit ouvrage comporte plusieurs tomes. Des langues pourraient se délier, d'ici là. Sait-on jamais ?
le devoir de mémoire est décidément chose bien difficile.