Les Rois Maudits est l'une des fresques historiques les plus enthousiasmantes, les mieux écrites, que j'ai lues jusqu'ici, avec Fortune de France de
Robert Merle ! le Roi de Fer, qui jette les bases de la saga, est un roman brillantissime, qui nous immerge totalement au temps du roi Philippe le Bel, durant la dernière année de son règne, en 1314, laquelle clôt sept années passées à abattre le puissant Ordre des Chevaliers du Temple, dernier pouvoir à lui tenir tête. Jacques de Molay, le Grand Maître, vient enfin d'avouer sous la torture toutes les infamies imputées à sa milice.
Maurice Druon prend pour point de départ à son heptalogie la légende selon laquelle Jacques de Molay aurait lancé une malédiction au moment de son exécution à l'encontre de ceux qui ont oeuvré à sa chute, ainsi qu'à l'encontre de leurs héritiers. On ne peut oublier la fameuse scène du bûcher d'où le vieil homme, possédé par une colère enragée, prononce à travers les flammes qui le ravagent ces paroles saisissantes :
”« Pape Clément !… Chevalier Guillaume !… Roi Philippe !… Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste jugement ! Maudits ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu'à la treizième génération de vos races ! »
(page 113)
Deux autres fils conducteurs viennent interagir avec l'intrigue principale, voire l'influencer : la rivalité pour la succession d'Artois entre Mahaut d'Artois et son neveu Robert d'Artois et l'idylle amoureuse entre le banquier Guccio Baglioni et la noble Marie de Cressay (même si pour l'instant, cette dernière intrigue ne semble pas interférer avec
L Histoire, mais patience, les pièces du puzzle se mettent doucement en place !^^).
L'auteur réussit l'exploit de brosser toute une galerie de personnages historiques au caractère varié très crédibles : le roi Philippe, majestueux et implacable, son frère Valois vaniteux et brouillon, ses fils aînés et puînés fades et médiocres, les serviteurs de la Couronne Marigny et Nogaret loyaux mais plus royalistes que le roi lui-même, son cousin Artois truculent et revanchard, sa tante Artois calculatrice et autoritaire, Tolomei le banquier siennois rusé et opportuniste... D'ailleurs, peut-être que cette profusion de protagonistes pourra gêner au début le lecteur qui découvre seulement ce pan de notre histoire, et qu'il aura besoin d'un certain temps avant d'assimiler les identités et les intérêts privés de chacun. Car deux clans gravitent, complotent et intriguent autour du roi : d'un côté le parti des légistes et des tenants d'un état réformateur regroupant Marigny, Nogaret, Philippe de Poitiers, fils cadet du roi, Louis d'Evreux demi-frère du roi ; et de l'autre côté le parti des barons, favorables au retour d'un système politique traditionnel et féodal réuni autour de Charles de Valois, Louis de Navarre et Charles de Bigorre fils du roi, et Robert d'Artois.
On sent que
Maurice Druon s'est beaucoup documenté, non seulement sur la situation géopolitique de la France médiévale mais également sur la vie quotidienne de ses habitants (armement, nourriture, hygiène, vêtements, éclairage, système de chauffage...), si bien que l'on se sent complètement immergé dans l'histoire. Cette documentation n'est jamais pesante mais se fond au contraire très naturellement au récit dans lequel aucun détail n'est négligé, jusqu'au vocabulaire de vieux français.
Malgré les drames humains qui se jouent (la chute des Templiers, la chute des trois brus du roi provoquée par Robert d'Artois pour récupérer son comté, les malheurs conjugaux de la reine d'Angleterre), certaines scènes et certains dialogues sont vraiment très drôles : par exemple, la scène du conseil où le roi ne cesse de rabrouer son héritier d'un sec «Taisez-vous, Louis !» suite à ses interventions toutes plus idiotes les unes que les autres ou la scène entre Mahaut et Robert d'Artois, accouru lui annoncer l'arrestation de ses filles et de sa nièce.
”- ... je veux qu'elle aide à sa ruine en allant braire devant le roi, et je veux qu'elle en crève de dépit.
Lormet baîlla un bon coup.
- Elle crèvera, Monseigneur, elle crèvera, soyez-en sûr, vous faites bien tout ce qu'il faut pour cela, dit-il.
(page 201)
Chaque phrase, chaque mot fait mouche. L'auteur sait comme personne renvoyer ses personnages vers la médiocrité, la vanité ou la solitude de leur vie en une formule définitive.
Les portraits qu'il brosse sont criants de vérité. Ainsi, Philippe le Bel est décrit comme un roi dur et majestueux, insensible à l'amour, même filial ; et pourtant, il souffre parfois de cette distance qu'il a lui-même instaurée. Mais pour la grandeur de l'Etat, il a renoncé à tout bonheur personnel !
Les personnages échappent à tout manichéisme, et même parmi les plus cruels ou les plus retors, il y a quelque chose e eux qui nous touche ou nous empêche de totalement les vouer aux gémonies.
Ainsi,
Marguerite de Navarre, qui tondue et revêtue de sa robe de bure, trouve encore la force de répondre crânement à sa belle-soeur :
”«Moi, si je n'ai pas eu le bonheur, au moins j'ai eu le plaisir, qui vaut toutes les couronnes du monde, et je ne regrette rien !»
(page 226)
On ressent toutes les émotions, tous les doutes, toutes les envies rentrées ou sursauts d'orgueil des personnages, tant les mots utilisés par l'auteur sont justes et précis.
Bref, un véritable régal !
En bref :
Les + : un contexte historique extrêmement bien resitué et exploité ; des personnages réalistes et captivants ; un style efficace et des dialogues savoureux
Les - : aucun à mes yeux
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