En lisant ce livre, je me suis surpris à deux reprises à rire franchement. C'était à la page 64.
Mais en fait, quand je dis rire, c'est un euphémisme. Car je me suis vraiment poilé, gondolé, bidonné, dilaté la rate et le pancréas à en faire péter une bonne demi-douzaine d'artères et de veines environnantes (et pas des moindres !) Enfin, bon : du bonheur. J'ai même eu l'impression de glousser aussi jubilatoirement qu'en lisant le
Dictionnaire Superflu à l'Usage de l'Elite et des Bien-Nantis ou l'une ou l'autre oeuvre hautement poilante de feu
Pierre Desproges.
Je m'en vais sans attendre exemplifier mon propos : Page 64, donc, Samuel, le personnage principal, a fait escale dans un hôtel, avec un chauffeur de taxi, dénommé William, qui a pour mission de conduire le sus-nommé Samuel jusqu'au lieu où l'ex-femme de Samuel, Gloria, est censée se trouver. William est chauffeur de taxi, ne l'oublions pas, et très soigneux avec sa voiture et très porté sur la chose automobile. Et voici donc deux extraits dans lesquels
Jean-Paul Dubois nous gratifie de son humour désopilant. Cela se passe dans le salon de l'hôtel :
William, dans un fauteuil, parlait d'automobile. Lorsqu'il aperçu Samuel, il le salua fraîchement de la tête avant de se remettre aussitôt au volant de sa conversation.
Il fallait oser l'image, non ? C'est splendide, non ? C'est un peu nul de finir toutes mes questions pas "non", non ?
Ensuite Samuel propose à William de dîner avec lui. le pauvre père solitaire voudrait bien raconter à son chauffeur (parce qu'il ne trouve personne d'autre) la rencontre qu'il a faite dans la journée : il a en effet vu (ou imaginé ou rêvé qu'il voyait) sa fille, Maria, morte depuis deux ans. Il a même parlé avec elle (ou son fantôme). Mais William refuse cette invitation à dîner parce que lui, pendant la journée, s'est fait un copain dans l'hôtel :
"Je suis désolé, monsieur, mais ce soir, je suis invité par un homme qui aime les automobiles et qui les connaît bien."
Samuel eut un sourire de compréhension. Ce soir, peut-être pour ne pas être seul, peut-être aussi pour raconter sa rencontre avec Maria, il aurait été prêt à entendre des histoires de vidange. L'occasion lui était refusée, il n'en voulait à personne. Il écoutait seulement le bruit des autres, et, dans l'ensemble, ça tournait rond. C'était là une réflexion de garagiste ou à tout le moins celle d'un homme à l'âme bien lubrifiée.
C'est là que je me suis mis à pouffer comme une baleine, tout aussi puissamment, je le répète, qu'en lisant du Desproges. Et je pose cette question : qu'est-ce que ça peut bien être qu'une âme bien lubrifiée ? J'ai beau chercher, je ne trouve pas. A la place, je ne trouve qu'une chose : que cette phrase est grotesque.
Car, même si un écrivain peut parfois écrire des phrases qui ne correspondent pas à une réalité palpable, compréhensible, je suis assez ouvert aux expressions de liberté créatrice : si la mélodie de la phrase est belle, si les mots qui la composent appellent des couleurs, des souvenirs, des sentiments, des idées qui émeuvent ou plaisent ou bouleversent ou amusent, alors je suis tout réceptif. Mais une âme lubrifiée, non, là, je ne suis pas client. Je ne parviens même pas à savoir si ça peut être beau ou moche, émouvant ou pas, coloré ou terne. Alors j'ai simplement trouvé ça grotesque (bis repetita placent) et j'ai gloussé bruyamment, longuement, joyeusement.
Et puis, soudain, mon rire s'est suspendu, mon regard s'est levé de la page, s'est écarquillé de consternation, s'est figé dans un mélange glacé d'effroi et de déception : je venais de réaliser que
Jean-Paul Dubois n'avait pas écrit "
Maria est Morte" pour me faire rire. Ni pour faire rire qui que ce soit, d'ailleurs.
Le titre, de même que le sujet du livre, de même que les 63 premières pages, auraient dû me mettre la puce à l'oreille. Car si
Maria est morte, c'est triste. En plus, Maria était une petite fille de dix ans. En plus, quand on lit les premières pages, on voit que Samuel (son papa, pour ceux qui ne suivent pas parce qu'ils gloussent encore) est tellement triste qu'il a perdu son travail, qu'il ne regarde plus la télé, qu'il ne finit pas son steak et qu'il vomit le soir. Ben oui, ça fait ça, quand
Maria est morte.
Après, on apprend que quelque temps avant la mort de Maria, sa mère (qui était donc l'épouse de Samuel et qui s'appelle Gloria pour ceux qui pouffent toujours) était partie. Pour qui, pour quoi ? On ne sait pas.
Alors on continue. On suit Samuel qui, depuis la mort de Maria, deux ans plus tôt, cherche désespérément à retrouver Gloria. Et Samuel cherche Gloria pour lui annoncer la nouvelle. Qui n'est plus tellement nouvelle, puisque ça fait deux ans. Mais bon, pour elle, Gloria, ce sera quand même une nouvelle, puisqu'elle ne le savait pas avant. Vous suivez la logique du propos, quand même ? C'est comme pour le chat de
Schrödinger, en fait. Mais bon, là, on s'éloigne.
Revenons donc à Samuel : le roman commence alors qu'il ne veut pas finir son steak et qu'il va se mettre à vomir. Quelqu'un lui téléphone et lui dit qu'il a enfin retrouvé la trace de Gloria qui n'a rien imaginé de mieux que d'aller se perdre dans le fin fond d'un pays exotique. Un pays dont on ne saura jamais le nom, d'ailleurs, mais on s'en fout, puisqu'on n'est pas là pour ça : on est là pour être triste. Donc Samuel raccroche le téléphone, vomit et part.
Et là, ça devient le quatorze juillet du n'importe quoi : ça part dans tous les sens et on ne sait jamais vraiment quand va arriver le bouquet final. Pour résumer, ça ressemble un peu à ça : je me présente, je m'appelle
Jean-Paul, j'aimerais bien oublier ma vie, être aimé, alors je vais décrire quelques scènes un peu dégueu, je crois bien que je vais les enchaîner, histoire d'avoir assez de volume pour bâtir un roman et, pour faire le lien (parce que c'est quand même pas mal, un lien dans un roman) je vais faire passer un pauvre mec d'une scène à l'autre. Tiens, pourquoi pas un mec qui cherche sa femme dans un pays exotique ? Et puis, pour que ça fasse mieux, il faut que je lui donne une raison de partir chercher sa femme, à ce type. Alors on dira qu'il cherche sa femme pour annoncer la mort de leur fille. Pourquoi ? Mais parce que la mort d'une enfant, c'est porteur, ça, coco ! ça attire le lecteur, ça l'attriste et donc ça le retient, jusqu'à la fin, parce qu'il veut savoir comment elle est morte et il veut voir son père souffrir et il veut voir si la mère va souffrir aussi. Et la mort de Maria, ça ne sert vraiment qu'à ça : à coincer le lecteur jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu'on sache comment Samuel annonce la mort de la petite à sa mère et qu'on sache quelle réaction elle a. Alors, comme je ne veux pas vous raconter la fin, je ne vous dis pas si on apprend vraiment comment elle est morte et si sa mère l'apprend ou pas, mais si vous voulez vraiment savoir... Non, j'ai dit que je ne le dirai pas...
Mais en fait, tout ça, la mort, la recherche, l'annonce (qui ne sera jam... non, j'ai dit que je ne dirai rien !) c'est uniquement fait pour avoir un prétexte à un étalage de scènes caricaturales : les gros sont gras et suintants, la bouffe est grasse et puante, les riches sont désabusés et méprisants, les autres sont minables, cyniques, pervers, paumés, vicieux (liste non exhaustive). Tout le monde est dégoûtant, repoussant, mais avec tellement d'insistance sur le trait que ça paraît totalement irréel et même (je reprends ce joli mot) grotesque.
Bien sûr, un certain Monsieur François avait déjà, il y a quelques siècles, dépeint des personnages énormes et impossibles et répugnants et tout et tout. Mais n'est pas
Rabelais qui veut.
Jean-Paul Dubois nous sert du
Rabelais au rabais, des
Gargantua lyophilisés. Et puis, ne l'oublions pas : il continue à nous aligner ses comparaisons et ses images à la noix (je cite de mémoire) : "la pelouse est grasse comme une entrecôte", "l'air à la consistance d'un gâteau", "la pluie est tranchante comme des couteaux". Mais où va-t-il chercher tout ça ?
Il y a des gens très bien qui ont écrit des choses farfelues qui n'avaient rien à voir avec la réalité (il y en a même qui s'appelaient des surréalistes, non ?). Et il y en a aussi un autre, un poète trompettiste que j'adore :
Boris Vian. Mais avec lui, même si certaines de ses images ne représentaient rien, on avait de la musique, de la couleur, du rythme et du sentiment. C'est la différence entre l'écrivain qui veut faire bien et l'écrivain qui fait bien sans pouvoir s'en empêcher, simplement parce que les bonnes fées ont balancé dans son berceau un paquet lourd à porter mais si riche : le talent.
Alors, peut-être que cette quête qui n'aboutit pas (non, j'ai dit que je ne le dirai pas !) et qui patine dans ce ramassis de personnages repoussants, c'est une image du dégoût de vivre qui a saisi Samuel à la mort de sa fille. Oui, sans doute. Mais moi, je n'ai ressenti que le dégoût pour des personnages repoussants. Je n'ai pas pu aller plus en profondeur pour trouver la signification cachée de ce petit
théâtre de la crasse humaine. Car je n'ai pas vu cette profondeur. Je n'ai lu que des mots. Une couche superficielle de mots. Ce qui ne suffit pas à faire un roman.
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