Une vie française /
Jean Paul Dubois / Prix Femina 2004
Ce très beau roman débute par un drame familial passé : Paul Blick se souvient de ce jour de septembre 1958 précédant de quelques jours le retour du Général de Gaulle, il avait alors 8 ans, c'est à dire il y a 46 ans, où il découvre ses parents effondrés dans le couloir de leur domicile à Toulouse, venant d'apprendre par téléphone la mort de leur fils Vincent âgé de 10 ans victime de complications opératoires. Paul venait de découvrir une facette tragique de la vie. Avec de Gaulle en toile de fond…
Aujourd'hui Paul vit seul, voit épisodiquement ses deux enfants Vincent et Marie et son petit fils Louis. Il se souvient…
Parmi les personnages qui ont marqué son enfance, il cite Marie Blick, sa grand-mère paternelle détestée dont il a souvent souhaité la mort. Et puis François Lande son grand-père maternel tant aimé, autrefois berger dans les Pyrénées, et sa femme Madeleine vendeuse de quatre saisons à Toulouse. Victor est le père de Paul : garagiste, il ne s'est jamais remis de la perte de Vincent, sa femme Claire non plus. Ils vivent depuis ce jour comme des zombies, chacun plongé dans son travail, Victor vendant des voitures et Claire corrigeant les écrivains.
Paul replace tous ces événements dans le contexte politique de l'époque national et international, ses premières expériences sexuelles, ses idées politiques et leurs conséquences dans sa relation avec son entourage, ses folles amours, ses pensées secrètes et ses fantasmes, ses peines…Au début, c'est la période
De Gaulle, puis ce sera Pompidou, Giscard d'Estaing, Mitterrand et Chirac.
Pour moi lecteur qui suis né six ans plus tôt que Paul (et que
Jean-Paul Dubois), je retrouve avec émotion et plaisir des souvenirs et des anecdotes quelques fois un peu estompés par le temps auxquels le récit redonne des couleurs.
Paul est sans pitié avec sa famille : « Telle était ma famille de l'époque (années 50 et 60), déplaisante, surannée, réactionnaire, terriblement triste ; en un mot, française. Elle ressemblait à ce pays qui s'estimait heureux d'être encore en vie, ayant surmonté sa honte et sa pauvreté. Un pays maintenant assez riche pour mépriser ses paysans, en faire des ouvriers et leur construire des villes absurdes constituées d'immeubles à la laideur fonctionnelle. »
Paul n'a jamais prié, ni compris ces simagrées consistant à mettre un genou en terre et à supplier quand il n'y a nulle oreille pour vous entendre. Paul n'a jamais cru en quoi que ce soit et voit la vie comme un exercice solitaire, une traversée sans but.
Il se découvre toutefois au fil des années une passion pour les arbres ce qui nous vaut quelques très beaux chapitres sur la meilleure technique pour les photographier.
Et puis cette phrase terrible qui clôt les 400 pages de cette saga familiale palpitante de cinquante années au coeur d'une société française, magnifiquement évoquées par
Jean Paul Dubois dans un style somptueux non dénué d'humour et d'ironie quand le thème s'y prête : « La vie n'était rien d'autre que ce filament illusoire qui nous reliait aux autres et nous donnait à croire que, le temps d'une existence que nous pensions essentielle, nous étions simplement quelque chose plutôt que rien. »