Ecrire en se gardant du spéculaire, du simulacre . de la déflagration . du glissement... autour des yeux, au fond de l'oeil, hors de portée du regard... écrire étant la traversée du souffle, l'impossible traversée... étant l'impossible...
Fragmes, "extrait"
la douleur fraîchement démurée, la levée d'un barrage de mots futurs – comme serait le point de l'aube si le corps était premier venu,
première douceur décrochée dans la lumière, avancée de toute figure, par l'oubli qui grésille à l'extrémité de la faille et ruisselle sur les fragments excédant l'image écrivant les lointains acérant le trait qui traverse la bouche – les saccades de la bouche…
une ébriété ascendante, la frayeur de la langue irritée, dans le tremblement et la précipitation de la course, pur-sang contre le vide qui cisaille ses jarrets…
une longue pacification propice à la projection de la voix dans son entrecroisement arbitraire avec les avancées de l'écriture... la première nuit éclairée, parmi les éclats de pierre contre les bords d'une langue affilée, et sur le point de se détruire…
elle sort pour que je me taise sans fin, pour que, sans fin, je parle en elle, en me taisant, pour que jamais rien, entre elle et moi, rien n'ait commencé…
et puis, elle revient, première, à sa navigation très lente dans les veines, comme à travers un gisement d'images aveugles, une éternité qui change de corps, qui ambule et se plante soudain, et vibre – une écharde dans le corps, dans la langue à vif…
une voix crevassée de gorge nue, chargeant de non-sens ses fissures et sa raucité, une voix qui est la simplicité de la nôtre, et d'un ailleurs, [..]… le non-éclat lisible sur l'entablement abrupt, sur la pierre ensemencée…
disparate, la lumière, le tissu sans fin et sans fils, par la lucidité de l'écart, – et cette aiguille vide, l'éclat courant à sa nudité, trouant le ciel à sa naissance, [..]…
la pusillanime accentuation de la blancheur d'un pli, de la cassure d'une nuit à son comble [..] – quand le tracé de la foudre exaspère le souffle, le gouverne, le fend, le déchire et le jette en lambeaux…
la nuit protégeait la voix jusqu'à sa duplication de naissance : elle court, se désaltère, brûle ce peu de force qui me tient debout – et se précipite sans hâte au lieu de sa disparition, – comme si elle était le feu…
incendie de toujours, ici, depuis ma naissance, la nuit est là pour l'activer, l'élargir, le rendre lisible… il y a des bêtes qui meurent en se jetant dans les flammes, des hommes qui n'en finissent pas de mourir en attendant le feu…
selon la danse des axes et des plis que la phrase a dénudés, a recouverts, a réactivés jusqu'à la rupture…
Jean Frémon La Blancheur de la baleine éditions P.O.L où Jean Frémon tente de dire de quoi et comment est composé son nouveau livre "La Blancheur de la baleine" à l'occasion de sa parution aux éditions P.O.L et où il est notamment question de Michel Leiris, David Hockney, Emmanuel Hocquard, Bernard Noël, Alain Veinstein, Etel Adnan, Louise Bourgeois, Jannis Kounelis, Jacques Dupin, Claude Esteban, Samuel Beckett, Marcel Cohen, Jean- Claude Hemery, Jean- Louis Schefer, David Sylvester, Edmond Jabès à Paris le 2 février 2023
"Ce sont des écrivains, des peintres, des sculpteurs.
Aventuriers de l'impossible. Ce sont des bribes de leurs vies. Tous des chercheurs davantage que des trouveurs. J'ai eu le privilège de les côtoyer. Ce qu'ils poursuivent est ce qui toujours se dérobe. La grâce est une fieffée baleine blanche."
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