Née en 1891 et décédée en 1978, Lili Kagan, épouse Brik, est un témoin capital de tous les bouleversements survenus en Russie au début du vingtième siècle. Ses souvenirs, égrenés lors d'entretiens avec
Carlo Benedetti valent pour son évocation de l'existence difficile menée pendant la guerre, au moment de la révolution de 1917 et pendant les premières années de l'URSS jusqu'en 1930 ! - année où s'arrête la relation de sa vie - année du suicide de Maïakovski, le poète, son grand amour !
Ses souvenirs, c'est d'abord et avant tout sa vie avec Maïakovski ! Rencontré en 1915 alors qu'il avait une aventure amoureuse avec sa soeur
Elsa Kagan (pas encore
Triolet et encore moins compagne d'
Aragon)
Lili Brik a partagé dix ans d'existence avec lui.
"Cette "très heureuse date" marqua le commencement d'un long amour qui connut d'autres rencontres mais resta toujours "immuable et fidèle", comme une source profonde :"Si jamais j'ai écrit chose qui vaille écrira Maïakovski en 1927, c'est à cause du ciel des yeux/des yeux de ma bien-aimée", des yeux "brûlants à charbonner" ; "ses grands yeux marrons sont pressés par l'enflure de la faim..." ; mais "de la verdure et des caresses ils surgissent à nouveau. Plus grands que des soucoupes ils regardent la révolution".
Maïakovski était un personnage hors normes. Grand, massif, beau, séduisant, électrisant ses auditeurs, emplissant tout l'espace dans lequel il se mouvait :
"Il sortit de la poche de sa veste un mince cahier, lui jeta un coup d'oeil rapide, puis le reposa. Il sembla réfléchir un instant. Ensuite, il parcourut la pièce du regard comme s'il avait eu devant lui un auditoire nombreux, récita le prologue puis, d'une voix étouffée et inoubliable, comme parlant en prose, demanda :"vous prenez cela pour le délire de la malaria ? C'est arrivé, c'est arrivé à Odessa".
Nous étions incapables de quitter des yeux ce prodige. Maïakovski garda la même attitude jusqu'à la fin de la déclamation, les yeux dans le vide. Il se lamentait, s'indignait, suppliait, faisait l'important, jouait l'hystérie, marquait les pauses nécessaires."
C'est ainsi que
Lili Brik entendit pour la première fois "le nuage en pantalon".
Dix ans durant, Maïakovski dédiera ses poèmes à "Lilia". Tous deux partagèrent existence quotidienne difficile, exaltation des rencontres avec Pasternak, Bourliouk, Kamenski et tant d'autres, expériences dans le domaine du cinéma, confection du journal mural la Rosta ....
Maïakovski s'est suicidé en 1930. Il avait trente-sept ans.
Pourquoi ce suicide ?
D'après
Lili Brik :" Maïakovski aimait frénétiquement la vie sous toutes ses formes. Il aimait la révolution, l'art, le travail, moi, les femmes, le hasard, l'air qu'il respirait. Son admirable énergie venait à bout de tous les obstacles... Mais il savait qu'il n'aurait pas pu triompher de la vieillesse et il l'attendait avec une horreur morbide depuis son plus jeune âge."
"Lili aime-moi" a t-il écrit dans sa lettre d'adieu.
"Bien des années se sont écoulées depuis la mort de Volodia."Lili, aime-moi". Je l'aime. Tous les jours il me parle à travers ses poèmes."