Comment meurent les soldats russes
Tolstoï vante, une fois n'est pas coutume, la vaillance des soldats russes au combat. A travers le courage d'un soldat face aux montagnards qui multiplient les ruses, blessé au combat qui n'aura de cesse ni de gémir ni de se plaindre considérant qu'il a accompli son devoir du mieux qu'il a pu pour la patrie, il semble quitter ce monde apaisé. Cette "Alerte" qui était le titre premier apparaît étonnamment sous deux formes à la fois comme un remords de conscience et comme déjà un témoignage qui vaut rappel s'il n'est pas entendu. Je me propose de l'expliciter.
Il semble qu'en tant que "premier reporter de guerre" avec
les Récits de Sébastopol où il pointe les horreurs qui émurent la tsarine, en 1854-55, il se dédouane ici quelque peu de cette version tolstoïenne pour en apporter un éclairage nouveau : l'héroïsme et le patriotisme des soldats.
On sait bien sûr à travers son roman fleuve Guerre et paix toute la magnificence des troupes russes au combat face à Napoléon, vu sous un autre versant dix ans plus tard pour quarante ans plus tôt, en introduisant une réflexion sur
L Histoire ; il semble que dans ce cours récit écrit en 1858, en souvenir du Caucase, l'auteur entende témoigner sa sympathie à ces braves soldats qui y ont laissé leur vie et que les témoins ne sont jamais de trop pour le dire. Jamais en fait Tolstoï ne rate pareille occasion pour le dire.
Plus tard sa position va se radicaliser à l'égard de la guerre, même s'il gardera toujours un fond de patriotisme -on le voit notamment dans ses écrits sur la guerre avec le Japon. Il rédigera le Carnet du soldat, le Carnet de l'officier. Il deviendra antimilitariste;
Durant toute sa vie ce thème le hantera, on peut dire que ses réflexions sont profondément justes et complètes. Les quelques faiblesses qu'il avait encore jeune homme, jeune officier, sur le sens de l'armée et de la guerre d'un point de vue politique vont se trouver rabotées par des points de vue acérés et véhéments, parfois au vitriol. La vie militaire aussi, on le voit en creux dans l'épisode de l'été 1866 qui sera pour lui l'objet d'une vraie colère, puis une colère sourde qui se traduira parce ce qu'on sait ! En tout cas dans ses Récits de Sébastopol qu'il faut absolument lire et qui lui valurent de bonne heure un énorme succès, c'est un grand Tolstoï qui se dresse, pour faire un tableau peu flatteur de la guerre, et ici le texte apparaît comme une réflexion à part, celle faite comme lorsque le bruit du canon s'éloigne qu'on rédige à la hâte pour ne pas oublier ..
On a vraiment le sentiment que Tolstoï écrivain était un précurseur en la matière comme je l'ai l'ai dit plus haut : il ne fichera jamais de toute sa vie, la paix à la guerre. Autant on peut être dubitatif sur le sens révolutionnaire de Tolstoï pour ce qui est d'avoir une responsabilité même minime dans la révolution russe, autant à mon sens ses écrits virulents contre la guerre et les conditions de vie militaire résonnent encore aujourd'hui dans les consciences. Mais s'il n'y a pas à chaque siècle une grande conscience capable de s'élever contre les horreurs de la guerre, alors le sentiment guerrier resurgit : c'est un combat jamais acquis pour toujours chez les humains.