Gretchen riait avec tout le monde, excepté avec M. Théodore ; à peine le voyait-elle entrer, qu’elle devenait grave ; mais en même temps ses grands yeux bleus prenaient une telle expression de tendresse, que le cœur du pauvre garçon fondait d’amour… Il en perdait la respiration et balbutiait des paroles inintelligibles. Théodore rêvait à ces choses ; il revoyait aussi le vieux Reebstock, le père de Gretchen, coiffé de sa grande perruque grise, le regard candide, plein d’une fine bonhomie… et la taverne fumeuse aux poutres basses… l’horloge à cadran de faïence… la lampe suspendue au plafond, dorant tous ces bruns visages de buveurs, de vignerons, le chapeau enfoncé sur les yeux, et le petit gobelet d’étain dans leurs larges mains roides et crevassées. « La vie est sur la terre, se disait-il : cette vie fraîche, cette vie d’amour, de sentiment, de bien-être… Le vin, les beaux fruits, les parfums… et Gretchen… tout cela, c’est la vie terrestre ! » Il frissonnait en songeant à la jeune fille ; il se la représentait si bien, qu’il aurait pu compter chaque fil de sa robe, chaque grain de son collier, chaque inflexion de son sourire à fossettes roses. Aucune nuance ne lui échappait : il regardait les étoiles, et voyait Gretchen… Il écoutait la brise, et entendait la voix de Gretchen… Il rêvait au monde, et Gretchen était là… toujours là… écoutant sa pensée, y répondant… Ô amour !… amour !… qu’es-tu ?… d’où viens-tu ?
Erckmann et Chatrian :
Gens d'Alsace et de LorraineOlivier BARROT signale la publication aux Presses de la Cité (collection Omnibus) de "
Gens d'Alsace et de Lorraine" d'
ERCKMANN-CHATRIAN. Ce gros ouvrage rassemble six des Romans et Contes des deux célèbres Alsaciens.