Les poules préfèrent les cages
Chaque fois que le coeur ou la raison poussent à s'indigner des cruautés infligées à des êtres sensibles pour des motifs qui les dépassent, économiques, scientifiques ou politiques, il est heureux qu'un spécialiste se dresse quelque part pour rétablir la vérité contre les préjugés. Faute de travaux approfondis ou d'études poussées, les ignorants, les imbéciles ou les naïfs ont tendance à croire spontanément, par exemple, qu'une poule, une simple poule, préfère courir au soleil, gratter la terre, battre des ailes et se percher plutôt que de piétiner dans une cage de fer où le jour ne s'aventure jamais. Par bonheur, les savants, ou plutôt, ainsi qu'ils aiment à se présenter eux-mêmes, «les membres de la communauté scientifique», qui se sont penchés sur la question avec des instruments adéquats et des méthodes éprouvées, sont là pour les détromper.
Après avoir étudié «de longues années, et, (selon l'expression du magazine professionnel La France agricole) de façon «relativement sophistiquée», le comportement de «plusieurs groupes de poules», des membres de cette communauté scientifique ont constaté qu'elles manifestaient en semi-liberté une tendance à l'agressivité et au cannibalisme, alors qu'en cage elles se contentaient de s'arracher leurs propres plumes. Les chercheurs, qui n'auront donc jamais trouvé de poules qu'en situation de conflit et en état de stress, en viendraient vite à éliminer d'office le facteur liberté pour se demander si elles n'éprouveraient pas un plus grand «bien-être» en captivité. Dans leur langage, il faut le savoir, «le bien-être d'un animal est jugé satisfaisant s'il se sent en sécurité, n'éprouve pas de douleur, ne présente pas de symptôme d'ennui ou de frustration».
La comparaison impose l'évidence : les poules préfèrent les cages.
En exagérant à peine, la question ne serait donc même pas de se demander comment une poule parvient à survivre en si dure captivité, mais bien de prouver scientifiquement qu'entre la basse-cour et la batterie industrielle, la poule préfère la cage. Il n'y aura bientôt plus lieu de s'étonner qu'à l'aube du XXIe siècle, dans une société «avancée», de haut niveau culturel, scientifique et technique, on se propose de prouver et d'imprimer, en toutes lettres, noir sur blanc, dans des publications officielles destinées à informer ou à convaincre, qu'un être à qui la nature a donné des membres pour courir, des ailes pour voler, un bec pour picorer, lorsqu'il a le choix entre la liberté et la détention préfère être incarcéré
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Livre pessimiste, parfois outrancier mais nécessaire concernant la destruction du vivant et de la nature par les scientifiques, les techniciens et les économistes, sans oublier l'influence des journalistes. La conclusion est belle.
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un petit livre que beaucoup devraient lire pour ouvrir un peu les yeux. Et pas si pessimiste que ça pour moi, plutôt réaliste.
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Le Cercle littéraire de la BnF - Entretien du 14 déc. 2010 .Le Cercle littéraire de la BnF, avec Armand Farrachi, Nadine Satiat, Olivia Rosenthal. Entretien du 14 décembre 2010, présenté par Laure Adler et Bruno Racine.