Après le froid mordant et la
neige grisâtre de «
La route » de
Cormac McCarthy,
Maxence Fermine nous offre une autre ambiance, fascinante et paisible.
Lyrique, douce comme la soie, la
neige se fait passion, d'une sublime blancheur, d'une lumière séduisante, d'un silence réconfortant.
*
Dans le Japon du XIXème siècle, le jeune Yuko a deux passions : la
neige et le haïku. Se rebellant contre son père qui souhaite faire de lui un guerrier ou un prêtre, Yukio choisit une autre voie : il décide d'assouvir ses deux penchants en consacrant sa vie à l'écriture de haïkus vénérant la
neige. Il sera donc poète.
« — La poésie n'est pas un métier. C'est un passe-temps. Un poème, c'est une eau qui s'écoule. Comme cette rivière.
Yuko plongea son regard dans l'eau silencieuse et fuyante. Puis il se tourna vers son père et lui dit :
— C'est ce que je veux faire. Je veux apprendre à regarder passer le temps. »
A chaque saison hivernale, Yuko part seul, dans la montagne, écrire. Apprendre à vivre, observer, contempler le monde, percevoir l'instant, décrire la nature, sa beauté hivernale, à la fois éclatante et immaculée.
L'écriture du jeune homme est certes magnifique, mais pour atteindre la perfection de son art, il doit dépasser la blancheur trop discrète de la
neige et devenir artiste-peintre afin de maîtriser les accords de couleur en rehaussant ses poèmes de petites touches discrètes de couleur.
« La poésie est avant tout la peinture, la chorégraphie, la musique et la calligraphie de l'âme. Un poème est un tableau, une danse, une musique et l'écriture de la beauté tout à la fois. Si tu désires devenir un maître, il te faudra posséder le don d'artiste absolu. Tes oeuvres sont merveilleusement belles, dansantes, musicales, mais aussi blanches que de la
neige. »
Le jeune poète décide donc de parfaire son art en se rendant auprès d'un maître du haïku, Soseki.
Au cours de son voyage, il apprendra à avancer, mot après mot, tel un funambule, en équilibre précaire sur la corde raide de la langue et des émotions.
Rechercher le mot juste, la nuance de couleur la plus proche de la réalité, la lumière la plus pure, exprimer l'émotion la plus sincère, pour ne pas chuter, pour ne pas rester invisible au monde.
« … le plus difficile, pour le poète, c'est de rester continuellement sur ce fil qu'est l'écriture, de vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve, de ne jamais redescendre, ne serait-ce qu'un instant, de la corde de son imaginaire. En vérité, le plus difficile, c'est de devenir un funambule du verbe. »
*
Maxence Fermine écrit avec la sensibilité et la sensualité des auteurs japonais. Sa prose simple, délicate et épurée a des tonalités mélancoliques et musicales, enveloppant le lecteur dans un rêve éveillé et floconneux. Chaque mot est soigneusement choisi, captant l'instant.
« Musique de
neige
Grillon d'hiver
Sous mes pas »
Tout comme les haïkus, l'auteur a su trouver un juste équilibre entre une écriture vantant la beauté délicate et fragile de la
neige et la triste banalité du quotidien.
« Femme accroupie
Urine et fait fondre
La
neige »
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Au centre de la création poétique, l'amour d'une femme.
A certains moments, j'ai eu l'impression que le conte s'invitait dans ce récit. Et cette jeune femme tant aimée m'est apparue telle Blanche-
Neige dans son cercueil de verre attendant son prince charmant.
"Lorsqu'il la vit, Yuko la trouva si belle qu'il en trembla. le haïku qu'il calligraphiait avec soin sur un parchemin de soie en ressentit un vertige. La plume de Yuko glissa sur le papier et forma un signe étrange. Une ligne droite entrecoupée d'une virgule. Comme le dessin d'une funambule sur un fil de beauté."
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Fusion délicate de la littérature française et japonaise, ce tout petit roman se lit comme un long poème.
Le style de
Maxence Fermine m'a séduite. J'ai aimé cette ambiance feutrée, l'écriture épurée et imagée. Je me suis laissée porter par la subtilité du récit, la douceur froide et légère de la
neige, et ce silence agréable si apaisant.
Un roman à découvrir, beau et délicat comme un flocon de
neige.