Cette nouvelle retrace la vie de Benjamin Button, né à 80 ans, et qui toute sa vie rajeunira, jusqu'à mourir comme bébé. C'est le seul rapport entre le film et le livre.
En effet, le père n'abandonne pas son “vieil” enfant, mais au contraire, et je trouve que c'est encore pire, il agit comme si Benjamin était un vrai enfant : il lui donne des bonbons, un cerceau, veut l'envoyer à l'école. Mais l'auteur n'insiste pas tant que ça sur la frustration de Benjamin, qui est évidente. Ce dernier prend plutôt la vie comme elle vient, sans s'en étonner.
Au contraire, le reste de son entourage, son père, sa femme puis son fils, en prend souvent ombrage et lui reproche de ne pas “faire comme les autres”. Au final, c'est le thème central de cette nouvelle : non pas l'anormalité elle-même, dont on s'étonne que les gens n'en fassent finalement que peu de cas, sauf les proches de Benjamin; mais la manière dont elle lui est reprochée, comme s'il le faisait exprès et qu'il ne suffisait que de vouloir pour changer. A la lumière de la biographie de Scott Fitzgerald, je me demande s'il n'y a pas une analogie entre la vie réelle de ce dernier et cette nouvelle : Scott et Benjamin sont mis à l'écart sous prétexte qu'ils ne sont pas adaptés à une société qui ne peut qu'imaginer que le rythme normal est de toujours vieillir, et non de rajeunir.
La deuxième thématique centrale de cette nouvelle est d'ailleurs celle-ci : mettre les gens en face de leur vieillissement inexorable. Or Benjamin rajeunit sans cesse, ce qui suscite de nouvelles jalousies, soigneusement dissimulées par des excuses du type : “il vieillira d'un coup”, etc.
C'est donc une nouvelle qui par son originalité va complètement à rebrousse-poil de la société américaine telle qu'elle était en 1920, mais aussi de toutes les fondations d'une société humaine. Puisqu'il n'y a qu'une seule chose dont on soit sûr, dans la société : c'est que l'on vieillit tous et que l'on finit par mourir. Certes, Benjamin finit par mourir, ou plutôt par arrêter d'exister puisqu'il atteint le stade où il devrait être dans le ventre de sa mère (mère par ailleurs totalement absente et dont on se demande encore comment elle a pu accoucher d'un homme d'un mètre 70 … :) ). Mais il va à l'encontre de toutes les lois humaines, et pour ce crime, il est mis à l'écart.
C'est donc une nouvelle très intéressante à découvrir, qui donne un éclairage différent que celui du film, et bien plus passionnant à mon goût car elle engage à davantage de réflexions sur la nature humaine et le fondement de toute société, ce qui la rend dérangeante (et j'aime quand la littérature est dérangeante …)
De plus, j'ai apprécié de la lire en anglais (certes c'était une édition avec le vocabulaire défini, parce que l'américain des années 20, ce n'est pas évident …), et de plonger au coeur de cette écriture américaine que je n'aime pas trop d'habitude mais qui m'a davantage séduite sous forme de nouvelles. La VO donne une autre coloration au texte, une authenticité plus profonde et une manière de ressentir plus intensément et plus directement ce que l'auteur veut partager.
Je serais donc curieuse de découvrir d'autres nouvelles de
F. S. Fitzgerald, car c'est une autre manière d'aborder cet auteur, en dehors des monuments romanesques que sont
Gatsby le Magnifique et
Tendre est la nuit, qui nous viennent spontanément à l'esprit quand on évoque cet auteur.
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