Tout se mêle en un vif éclat d'ombres trompeuses.
L'ombre d'un jeune malade interné, puis déclaré «poète national»…
Et celle d'un écrivain dont on a à peine reconnu la préface qu'il avait écrite pour présenter les textes du poète déchu. Deux méconnus. L'un, étendard d'une célébrité mythique, l'autre, libertaire, érudit, mal accepté par une société conformiste.
L'un, Émile
Nelligan, recalé trois fois, qui a quitté l'école à 16 ans, mais qui aimait déclamer des poèmes et courait faire lire ses esquisses chez les Pères du Très Saint-Sacrement.
L'autre, Eugène Seers, alias
Louis Dantin, alias Emile Kovar (on a faussement attribué ce pseudonyme à Émile
Nelligan),alias, alias… ecclésiaste n'ayant jamais trouvé la foi mais ayant beaucoup lu, beaucoup écrit, beaucoup voyagé.
Selon la légende qui s'est construite autour d'Émile
Nelligan,
Louis Dantin aurait simplement sélectionné certains de ses poèmes, les aurait colligés et aurait écrit une préface pour ensuite travailler à l'édition du recueil de ce grand génie. Un génie qu'on s'explique bien mal, constate
Yvette Francoli.
Dans le premier chapitre de son essai,
Yvette Francoli établit un parallèle troublant entre divers éléments biographiques d'Eugène Seers et la thématique des poèmes d'Émile
Nelligan. Après avoir effectué une analyse lexicologique des poèmes de
Nelligan, la spécialiste en littérature québécoise a relevé plusieurs termes et autant de thèmes qu'on peut difficilement attribuer au jeune homme.
Ainsi, par exemple, il serait plutôt étonnant qu'Émile
Nelligan, adolescent pratiquement inculte, qui lisait peu, qui n'avait pas voyagé, ait écrit des poèmes dédiés à Ignace Paderewski, à Chopin, des artistes à qui
Louis Dantin vouait une grande admiration…
Dans les chapitres qui suivent,
Yvette Francoli nous raconte la vie d'un homme à la fois passionné et incapable de braver les préjugés de son époque. Pendant vingt ans, il fut religieux sans jamais trouver la foi. Après avoir quitté une première fois sa communauté, il vécut difficilement le rejet de ses parents et retourna chez les Père-du-Saint-Sacrement où il fut dorénavant traité comme un étranger. Se passionnant pour la littérature, il reçut souvent Émile
Nelligan et lui prodigua ses conseils…ou bien fit-il beaucoup plus…
Yvette Francoli présente
Nelligan comme un des nombreux masques derrière lesquels Eugène Seers s'est caché afin de pouvoir donner libre cours à sa passion pour la littérature.
Une réflexion très bien documentée, rendue par une écriture brillante et décapée.